Tout le monde a entendu ces histoires de mail qui atterrit dans la partie spams des boîtes mail : un prince (ou un ministre) nigérian (ou gabonais) propose à son destinataire de l’aider à récupérer sa fortune en échange d’un dédommagement.
Mais ceux qui croient que ce type d’escroquerie date d’internet se trompent. Il s’agit d’une arnaque bien connue, qui puise son inspiration dans une escroquerie du XVIIIe siècle nommée « lettres de Jérusalem ». Elles essaimaient déjà dès la fin du XVIIIe siècle. En 1836, le célèbre Eugène-François de Vidocq, ancien délinquant et bagnard devenu chef de la Sûreté nationale pendant la Restauration, a rédigé un ouvrage intitulé Les Voleurs dans lequel il “dévoile les ruses de tous les fripons et destiné à devenir le vade-mecum de tous les honnêtes gens”.
Il y entreprend alors de conter la façon dont des prisonniers envoient chaque jour des lettres d’escroquerie, nommées en argot des voleurs « lettres de Jérusalem ». Dans ces courriers, les malfrats ciblent « des personnes riches habitant la province », auxquelles ils assurent qu’ils ont connaissance de l’existence d’un trésor caché. Ils sont évidemment dans l’incapacité d’y d’accéder et réclament l’aide, contre l’assurance de récupérer une partie de la fortune dissimulée.
L’ex-bagnard devenu policier précise que ces lettres sont souvent adressées à des nostalgiques de l’Ancien régime, souvent plus crédules : « Sur cent lettres de ce genre, vingt étaient toujours répondues. On cessera de s’étonner si l’on considère qu’elles ne s’adressaient qu’à des hommes connus par leur attachement à l’ancien ordre des choses, et que rien ne raisonne moins que l’esprit de parti. On témoignait d’ailleurs au mandataire présumé cette confiance illimitée qui ne manque jamais son effet sur l’amour-propre. » Vidocq, dans ses mémoires dresse une copie de cette lettre-type, dont la construction est parfaitement similaire à celles des fameux courriers de prince nigérian :
« Vous serez sans doute étonné de recevoir cette lettre d’un inconnu qui vient réclamer de vous un service : mais dans la triste position où je me trouve, je suis perdu si les honnêtes gens ne viennent pas à mon secours ; c’est vous dire que je m’adresse à vous, dont on m’a dit trop de bien pour que j’hésite un instant à vous confier toute mon affaire. Valet de chambre du marquis de […], j’émigrais avec lui. Pour ne pas éveiller les soupçons, nous voyagions à pied et je portais le bagage, y compris une cassette contenant seize mille francs en or et les diamants de feue madame la marquise. Nous étions sur le point de rejoindre l’armée de […] lorsque nous fûmes signalés et poursuivis par un détachement de volontaires. Monsieur le marquis voyant qu’on nous serrait de près, me dit de jeter la casse dans une mare assez profonde… »
La lettre, évidemment, explique les pérégrinations du faux valet qui l’ont conduit à se retrouver enfermé à la prison du Bicêtre, à Paris, avant de solliciter l’aide de son destinataire en échange de l’emplacement du fameux trésor.
Les lettres de Jérusalem elles-mêmes ne sont évidemment qu’une variante d’une escroquerie plus ancienne encore : la “prisonnière espagnole”, qui remonte au XVIe siècle. Tout comme pour l’arnaque précédente, on fait miroiter à la victime une récompense tout en l’incitant à dépenser une somme d’argent pour en bénéficier. La prisonnière espagnole implique cependant une dimension “romantique” : on fait croire à un riche noble ou bourgeois qu’une princesse imaginaire est retenue par des turcs, et qu’il faut payer sa rançon. Cerise sur le gâteau, la princesse délivrée allait même accorder sa main à son sauveur !
Source : France Culture