La vague de la hausse des prix se poursuit en Israël, et c’est au tour du prix des œufs d’augmenter. 6,5% seront ajoutés à compter de vendredi au coût de ce produit de base, faisant encore grimper le panier de la ménagère.

Cette majoration s’ajoute à celle de l’eau, des fruits et des produits laitiers, des vêtements et des chaussures, mais aussi du carburant, en attendant l’électricité le mois prochain.

Le coût des biens de consommation en Israël a augmenté de 0,6% au cours du mois de mai, et l’immobilier poursuit sa course infernale rendant l’accès à la propriété impossible pour de nombreux ménages.

Face aux indicateurs qui signalent une inflation galopante de 4,1%, la Banque d’Israël a relevé son taux d’intérêt de référence d’un demi-point à 1,25%, et ne devrait pas s’arrêter là. Un coup dur pour les emprunteurs.

Et si la tendance est aujourd’hui mondiale, Israël est elle touchée depuis de nombreuses années pour plusieurs raisons structurelles.

Une économie « complexifiée »

« L’économie israélienne est devenue une grosse économie, elle s’est complexifiée », explique Yael Ifrah, conseillère parlementaire à la Knesset et spécialiste des questions économiques, à I24NEWS.

« Il ne s’agit plus d’un petit pays de 5 millions d’habitants, le PIB est très élevé, au-dessus de celui de la France ou du Royaume-Uni », rappelle-t-elle. Basée sur un système capitaliste moderne, l’économie israélienne se caractérise par un secteur public relativement important et une high-tech en plein essor qui continue d’attirer de nombreux capitaux…. Et de faire monter les prix. Un taux de chômage bas et une croissance saluée par tous sont les arbres qui cachent une vaste forêt.

« Une grande partie des ménages n’a pas vu ses revenus augmenter malgré la bonne santé économique du pays, hormis dans le secteur public où pratiquement un million de personnes ont amélioré leurs salaires de quasiment 60% sur les 15 dernières années », affirme Mme Ifrah.  « En fait, ce sont les basses classes moyennes qui sont les plus touchées », explique-t-elle, notant par ailleurs que le salaire minimum n’a pas été revalorisé depuis 5 ans.

Or « cette partie de la société en Israël n’est ni politisée ni syndiquée, et c’est donc plus difficile pour elle de se mobiliser ».

Une grogne sociale « molle »

Selon un nouveau sondage réalisé par l’Institut Kantar et publié lundi par la chaîne publique Kan, 44% de la population israélienne estime que le coût de la vie est aujourd’hui la question essentielle. Pour autant, quelques centaines de personnes seulement étaient présentes samedi dernier place Habima à Tel Aviv pour protester contre la hausse des prix.

« La grogne sociale est molle en Israël, elle a toujours été très molle, les Israéliens sont des gens qui manifestent très très peu », souligne Joel Burstein, avocat et promoteur immobilier.

« C’est dû à une grande confiance dans le gouvernement », selon lui, « les Israéliens ont toujours dans la tête que le gouvernement est occupé à autre chose », explique-t-il, tandis qu’ »un Suisse, un Belge ou un Français s’intéresse d’abord à l’économie, tout le reste est secondaire ».

Mais en Israël, « la grogne sociale n’est pas culturelle, ce n’est pas un pays de mouvements sociaux », reconnaît également Yael Ifrah, « les contre-pouvoirs n’existent pas ». « C’est aussi parce qu’une grande partie de la population a adhéré au discours triomphal de la croissance et du capitalisme, et nous n’avons pas encore produit en Israël de contre discours, des voix qui exprimeraient des formes d’anticapitalisme ou d’antisystème comme on en rencontre en Europe, ça n’existe pas ici », affirme-t-elle.

Quant au logement, il demeure le problème essentiel en Israël, alors que les prix de l’immobilier et de la location sont devenus prohibitifs.

« Un monde juif très attaché à la propriété »

« On a aujourd’hui près de trois acheteurs pour un appartement », confie Lorenza Zeitune de l’agence immobilière Lev tel aviv property. Une demande supérieure à l’offre avec des conséquences connues… Les prix des logements ont ainsi grimpé de 15,4% au cours des douze derniers mois, a indiqué il y a trois semaines le Bureau central des statistiques (BCS).

« Certains appartements prennent même 5 ou 6% d’augmentation en quelques semaines », révèle Mme Zeitune. « Un bien au prix du marché se vend en trois semaines », dit-elle, précisant que les Israéliens sont très présents dans ce commerce, contrairement aux idées reçues.

« Le monde juif est très attaché à la propriété », confirme Joel Burstein. Les parents en Israël « éduquent les enfants dans une tradition qui consiste à dire qu’il faut avoir son appartement, donc le marché israélo-israélien est très fort ». Puis « il y a aussi le côté sioniste du monde entier, que ce soit en Amérique ou en Europe, chaque Juif veut un pied-à-terre en Israël ». Qui plus est, « il n’y a pas beaucoup de terrain, il manque des dizaines de milliers d’appartements chaque année, l’Etat essaie de débloquer mais avec à chaque fois 4 ou 5 ans de retard », déplore M. Burstein. Résultat, malgré les contestations et des efforts ponctuels du gouvernement, les prix devraient continuer à grimper ces prochaines années.

« Le dédain de la périphérie »

« On pourrait habiter Hadera, Afula, Tibériade ou Beesheva, qui correspondraient à de lointaines banlieues de Paris, ça aiderait énormément » à faire exploser la bulle immobilière, relève Joel Burstein. Or les infrastructures de transports en commun sont peu développées en Israël, et le projet de construction de trois lignes de métro dans le centre de l’Etat hébreu – le projet de transport public le plus ambitieux du pays– n’a pas eu le temps d’être adopté au Parlement en raison de la dissolution prématurée du gouvernement.

« On est centré sur Tel Aviv et Jérusalem, avec un dédain total pour la périphérie », dénonce Yael Ifrah. « Selon moi, c’est digne d’une nation qui ne se perçoit toujours pas comme un pays urbain, mais comme un pays de campagne où il y a aussi des villes », regrette-t-elle. « Leur sous-équipement le montre bien, les villes n’intéressent personne en Israël », affirme la conseillère parlementaire.

« Dans les kibboutz, il y a une vidéothèque, une salle de sport, une piscine, et des concerts, à Jérusalem, une ville d’un million d’habitants, il n’y a qu’un conservatoire de musique », remarque-t-elle. « On ne sait faire que des routes, et puis, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a un individualisme très fort, les Israéliens n’ont pas du tout la culture des transports en commun », ajoute-t-elle.

Israël, plus national que « foyer »

Par ailleurs, « aucun gouvernement ne prend le temps de se pencher sur des macro-projets à très long terme », explique Joel Burstein, « ils savent qu’ils ne vivront pas longtemps », tandis que de nouvelles élections sont prévues le 1er novembre, un cinquième scrutin en un peu plus de trois ans.

« Fut une époque où les gens votaient pour des grandes idées, représentées par des grands partis », rappelle-t-il.  « Aujourd’hui la politique est devenue une affaire d’homme, d’égo et d’animosité, sans compromis », estime-t-il. Selon Yael Ifrah, « le discours des élus et des institutions de l’Etat n’a pas évolué depuis plus de 50 ans, mais des dégâts politiques et sociaux très importants sont en train d’avoir lieu ». « C’est une société qui n’est plus capable de se soucier de ses faibles », juge-t-elle, et « les coutures sont vraiment en train de craquer, on a un gros problème de cohésion nationale, de biens communs, et d’espaces communs ». « Il est temps en Israël de reformuler un pacte social », conclut-elle.

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