Tout est (presque) dans l’ombre. C’est un secret de polichinelle: l’industrie militaire israélienne est très demandée par Taiwan. Le vice-ministre taïwanais des Affaires étrangères, François Wu, a déclaré que son pays « souhaite une coopération de toutes sortes avec Israël », ajoutant que des « progrès » ont été réalisés.
Wu avait tenu ces propos lors d’une interview accordée à la chaîne israélienne Channel 12, quelques jours avant son arrivée secrète en Israël, malgré l’absence de relations officielles entre Israël et Taïwan, comme l’a révélé la chaîne. Channel 12 a indiqué que la visite de Wu visait à « explorer les possibilités de coopération en matière de sécurité », en particulier concernant le projet de système de défense aérienne multicouche développé par Taïwan, baptisé « T-Dome » (Dôme taïwanais). Dans ce contexte, M. Wu a fait part, lors de l’interview, du souhait de Taïwan d’acquérir des systèmes de défense israéliens tels que le Dôme de fer ou le système Arrow.
Par ailleurs, Channel 12 a expliqué qu’« Israël a également besoin de Taïwan » car il s’agit d’une « superpuissance en matière d’armement », un point également soulevé par la représentante du ministère israélien des Affaires étrangères à Taïwan, Mia Yaron. Tout en soulignant que Taïwan est le premier producteur mondial de semi-conducteurs, notamment de puces de pointe, Mme Yaron a insisté sur le fait que le secteur de haute technologie israélien a besoin de ces puces. « Nous nous efforçons de développer davantage d’accords et de domaines de coopération pour l’économie israélienne », a-t-elle déclaré.
FRANCE INFO. Pour avoir la paix, il faut se préparer à la guerre. Cet adage romain semble résumer la stratégie de Taïwan face aux menaces d’une invasion chinoise. Taipei a rapporté, vendredi 5 décembre, que Pékin avait déployé des navires sur des centaines de kilomètres, dans le cadre d’« opérations militaires » constituant une « menace » pour la région. Une semaine plus tôt, le dirigeant de l’île, Lai Ching-te, avait proposé une hausse de 34,5 milliards d’euros du budget de la défense sur plusieurs années. « L’objectif est d’atteindre un haut niveau de préparation des forces de combat interarmées pour dissuader efficacement les menaces de la Chine d’ici 2027 », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.
L’annonce reflète les inquiétudes croissantes sur le risque d’une attaque de Pékin contre Taïwan. Fin mai, le secrétaire d’Etat américain, Pete Hegseth, a ainsi averti sur une menace potentiellement « imminente », rapporte la BBC(Nouvelle fenêtre). La Chine « prépare l’armée nécessaire pour le faire et s’y entraîne, tous les jours », a assuré le ministre, évoquant l’échéance de 2027.
La date ne sort pas de nulle part. Selon la CIA, le président « Xi Jinping aurait demandé à ses généraux d’être prêts d’ici 2027 pour une invasion », explique Alexandre Gandil, chercheur à l’université Bordeaux Montaigne et auteur de Kinmen, un archipel entre Taïwan et la Chine. « Cette date correspond aussi à deux faits marquants : le centenaire de l’armée populaire de libération (APL) et le 21e Congrès du Parti communiste chinois, où il est probable que Xi Jinping briguera un quatrième mandat consécutif. »
« Réunifier » la Chine, pacifiquement ou par la force
Fin novembre, le chef d’Etat chinois a redit, lors d’un appel avec Donald Trump, que la réunification avec Taïwan était un enjeu international majeur, selon un média d’Etat. L’île est « considérée par Pékin comme une part inaliénable de son territoire depuis 1949 », et la victoire des communistes qui a mis fin à 25 ans de guerre civile, rappelle Marc Julienne, directeur du centre Asie à l’Ifri. A cette époque, les nationalistes défaits se sont réfugiés à Taïwan, avec 2 millions d’habitants venus du continent.
« Depuis, l’objectif [de Pékin] est d’achever l’unification de la Chine. Après la prise de contrôle du Tibet et la rétrocession de Hong Kong par le Royaume-Uni, Taïwan est la dernière pièce manquante. »
Marc Julienne, chercheur à l’Ifrià franceinfo
Ces dernières années, la Chine – qui ne reconnaît pas le régime de Taipei – n’a cessé d’accroître la pression militaire sur l’île de 23 millions d’habitants, située à quelque 200 km de ses côtes. Les exercices navals et aériens autour du territoire se sont multipliés, passant « d’un avion par semaine » à « des patrouilles quasi quotidiennes, avec jusqu’à une cinquantaine d’avions repérés en 24 heures« , illustre Marc Julienne. En novembre, Reuters(Nouvelle fenêtre) révélait aussi que l’APL avait mené des exercices de débarquement impliquant des bateaux civils, « peu chers, nombreux et déjà largement utilisés dans la marine marchande en Chine ».
Autant de manœuvres qui permettent au régime de Xi de montrer que ses forces sont « capables d’encercler Taïwan ou de créer une zone d’exclusion aérienne », souligne Marc Julienne. S’agit-il de préparatifs en vue d’une offensive, ou d’une intimidation pour dissuader Taipei de déclarer l’indépendance ? « Les deux ne sont pas mutuellement exclusifs », répond le chercheur. « La Chine veut casser toute volonté taïwanaise de lui résister, affaiblir le soutien des Etats-Unis et du Japon à Taipei, en montrant qu’elle a la capacité de vaincre, insiste-t-il. Mais tous ces exercices permettent aussi de former et d’entraîner la marine et l’aviation à toutes les situations possibles, de monter en compétences. »
Officiellement, la doctrine de Pékin reste d’unifier la Chine de manière pacifique. « C’est la solution la moins chère, la moins meurtrière et la moins risquée », note Marc Julienne. D’abord, parce qu’une conquête par la force impliquerait « de pacifier le territoire, et l’APL n’a pas encore les techniques » nécessaires pour faire face à « la résistance ou l’insurrection » de la population, estime le chercheur Alexandre Gandil. Ensuite, parce qu’une invasion militaire exposerait la Chine à un conflit avec les Etats-Unis, partenaire majeur de Taipei.
Certains redoutent de voir Donald Trump rechigner à soutenir Taïwan, après l’avoir vu tergiverser sur l’aide américaine à l’Ukraine. Mais une invasion chinoise aurait également des conséquences sur l’économie mondiale, dépendante de l’industrie des semi-conducteurs de l’île. « Taïwan est aussi un verrou qui confine la Chine dans un espace maritime restreint. (…) Si Pékin en prenait le contrôle, les Américains ne pourraient plus aller et venir comme ils le souhaitent, y compris vers leurs bases en Corée du Sud et au Japon », pointe Marc Julienne.
Taïwan prépare sa résistance
Consciente de ces risques, la Chine a « toute une panoplie d’autres scénarios pour parvenir à exercer un contrôle effectif sur Taïwan », assure Alexandre Gandil. Le régime chinois déploie déjà une « politique de front uni », visant à « identifier des personnes non hostiles à son discours, favorables à la réunification, et qui peuvent lui servir de relais à Taïwan », poursuit-il. Un véritable réseau d’influence chargé de saper toute envie d’indépendance sur l’île.
Autre option potentielle pour contraindre Taïwan à revenir dans son giron : la mise en œuvre d’un blocus ou d’une quarantaine, par exemple « en organisant des exercices militaires prolongés qui en bloqueraient les accès maritimes et aériens », détaille Alexandre Gandil. Coupée du monde, déstabilisée, Taïwan se retrouverait alors obligée d’ouvrir des négociations avec son puissant voisin.
« Les lignes rouges de la Chine pour s’arroger un recours à la force sont assez vagues. Le Parti communiste chinois peut par exemple estimer que les possibilités pour une réunification pacifique sont épuisées, sans en préciser les critères. »
Alexandre Gandil, chercheur à l’université Bordeaux Montaigneà franceinfo
La menace d’une opération militaire est donc jugée crédible par le Parti démocrate progressiste (DPP) taïwanais, au pouvoir depuis 2016. Ces dernières années, l’exécutif a déjà allongé le service militaire obligatoire de quatre à douze mois, augmenté ses dépenses de défense et développé l’industrie des drones. La nouvelle hausse annoncée par Lai Ching-te doit aussi servir à accélérer le déploiement du « T-Dome », un bouclier antimissiles. « La stratégie taïwanaise s’articule autour de l’idée du conflit asymétrique », face aux moyens humains et militaires supérieurs des forces armées chinoises, explique Alexandre Gandil. « L’objectif est de dissuader la Chine de procéder à une invasion, mais aussi d’avoir les capacités d’y résister. »
Une résistance qui ne se limite pas au terrain militaire. « Il y a une volonté de sensibiliser la population, de former les civils à réagir en cas d’attaque », portée « par le gouvernement mais aussi des mouvements associatifs », poursuit le chercheur. L’exercice annuel de l’armée taïwanaise a ainsi pris une ampleur inédite en 2025. Durant dix jours – deux fois plus longtemps que d’habitude –, les militaires ont mené des simulations d’attaques, impliquant pour la première fois des civils et des acteurs privés, comme des supermarchés, rapporte le Guardian(Nouvelle fenêtre). Loin de se cantonner à leurs bases ou à la dizaine de plages où un débarquement chinois est théoriquement possible, soldats et réservistes se sont rodés au combat urbain, alors que plus de 50 000 personnes étaient formées au secourisme.
« Xi pourrait être mécontent et nous attaquer »
Pour le principal parti d’opposition taïwanais, le Kuomintang (KMT), le risque est justement que la Chine prenne ces préparatifs pour une provocation. « De leur point de vue, cette réponse sur le plan militaire alimente les tensions dans le détroit. Le KMT accuse le gouvernement de faire courir Taïwan à sa perte, en rendant la perspective d’une invasion plus concrète », décrypte Alexandre Gandil. Des divergences d’opinion qui traversent aussi la population taïwanaise. Le président Lai « est fou dans sa façon de parler à la Chine », critique ainsi une habitante, auprès de la BBC(Nouvelle fenêtre). « Xi Jinping pourrait un jour être très mécontent et nous attaquer », redoute-t-elle.
Selon la radio britannique, plus de la moitié des Taïwanais soutiennent toutefois la hausse du budget de la défense. « Il y a dix ans », le risque d’invasion était « une préoccupation extrêmement lointaine » pour les habitants, constate Alexandre Gandil. « Si la pression mise par Pékin reste peu perceptible dans leur quotidien », la menace chinoise est de plus en plus présente dans les esprits, affirme le chercheur. « On a même vu un business se développer ces derniers mois, autour de la vente de sacs de survie en cas de blocus, détaille-t-il. On trouve aussi des formations pour savoir comment fuir Taïwan s’il y a une invasion, ou comment y résister. »
« Il est difficile de déterminer l’esprit de résistance et la détermination de la population en cas d’invasion. Mais l’exemple de l’Ukraine, où la forte mobilisation des habitants a permis d’empêcher l’armée russe d’arriver jusqu’à Kiev, a beaucoup inspiré les Taïwanais. »
Marc Julienne, chercheur à l’Ifrià franceinfo
A ce jour, Taipei comme Pékin se préparent donc à la possibilité d’une escalade militaire. Et leurs voisins aussi. Début novembre, la nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi, a déclaré qu’une attaque contre Taïwan pourrait justifier l’envoi de troupes pour défendre l’île, provoquant une crise diplomatique d’ampleur avec la Chine. « Nous devons envisager le pire », a jugé la dirigeante conservatrice.
-
Une fête juive ciblée, un Français tué, des passants « héroïques »… Ce que l’on sait de l’attaque meurtrière sur une plage en Australie
-
: Récit
« Il n’y a pas de case ‘en prison’ dans la déclaration d’impôts » : le quotidien chamboulé de la famille de Christophe Gleizes, journaliste incarcéré en Algérie
-
« Regardez mon fils sur cette photo » : en Chine, les parents font la promo de leurs enfants dans des marchés pour