Une nouvelle section de Tsahal permet aux femmes religieuses d’être combattantes.
Stimulée par le 7 octobre, une force entièrement féminine prend forme au sein de l’armée, avec une rabbanit pour répondre aux besoins spirituels des troupes pionnières
Il y a environ deux ans, lorsque Adva Bucholtz, alors âgée de 19 ans, a commencé à envisager les options qui s’offraient à elle après le lycée, elle se montrait moins encline que nombre de ses pairs religieux à laisser les lignes du code orthodoxe freiner ses ambitions.
Adolescente, elle avait déjà défié les normes de pudeur traditionnelles en enfilant un maillot de football pour jouer devant des foules comprenant des hommes. En 2020, cette attaquante et milieu de terrain prometteuse avait intégré la première équipe féminine professionnelle de football de la capitale, l’Hapoel Jerusalem.
Mais sa décision de choisir non seulement l’armée plutôt que le service national, mais aussi de s’entraîner pour un poste de combattante, en a surpris plus d’un.
Originaire de l’implantation religieuse de Neve Daniel, en Cisjordanie, et ancienne élève d’un lycée orthodoxe réservé aux filles, Bucholtz reconnaît qu’elle-même hésitait à rejoindre une unité de combat mixte de Tsahal.
« Il est assez inhabituel que des filles issues de mon lycée participent à des opérations de combat. Le message que nous recevons à l’école, et dans notre environnement en général, c’est qu’il vaut mieux laisser ce type de service aux hommes », confiait-elle en novembre, peu avant son enrôlement.
Lorsque le groupe terroriste palestinien Hamas a lancé, le 7 octobre 2023, l’attaque la plus meurtrière contre des Juifs depuis la Shoah, déclenchant une crise d’otages et une guerre sur plusieurs fronts, de nombreux jeunes Israéliens ont été inspirés non seulement à participer à l’effort de guerre, mais aussi à s’enrôler dans des unités de combat.
Parmi eux, Bucholtz et d’autres femmes religieuses qui, depuis le pogrom du 7 octobre, se sont enrôlées dans des unités de combat en nombre apparemment sans précédent.
Pour répondre à la demande, l’armée a inauguré en novembre son tout premier peloton de combat exclusivement féminin destiné aux soldates pratiquantes, avec une conseillère spirituelle et une structure de commandement exclusivement féminine. Quarante futures combattantes forment cette première promotion, dont bon nombre viennent de communautés où, jusque-là, le service militaire, même dans des rôles non combattants, reste largement tabou.
Alors que Tsahal tente de résoudre les problèmes d’effectifs liés à la guerre multifrontale en cours, les partisans du projet estiment que cette initiative pourrait attirer un intérêt croissant de la part d’un vivier encore largement inexploité : celui des jeunes femmes sionistes religieuses très motivées. Ces dernières découvrent qu’il est possible de défendre leur pays sans compromettre leur foi.
« Chaque jour, je reçois des appels téléphoniques de jeunes filles religieuses qui souhaitent rejoindre la nouvelle unité de combat », témoigne le rabbin Ohad Teharlev, directeur du séminaire post-bac Midreshet Lindenbaum, qui a collaboré avec Tsahal à la création de ce peloton adapté aux besoins des femmes religieuses.
« Et il y a aussi de nombreuses jeunes femmes qui servent déjà dans des unités mixtes et qui souhaitent être transférées dans cette nouvelle unité religieuse non mixte », ajoute-t-il lors d’un entretien accordé au Times of Israel en février.
Tsahal n’a pas répondu aux demandes répétées du Times of Israel sur le peloton nouvellement formé ni sur les données historiques du nombre de femmes orthodoxes pratiquantes servant dans des unités de combat.
Mais selon Ohr Torah Stone, l’organisation qui chapeaute Midreshet Lindenbaum et 31 autres institutions religieuses, environ 3 500 diplômées des lycées religieux nationaux pour filles, soit 44 % du nombre total de diplômés, se sont enrôlées dans Tsahal en 2024.
Parmi elles, environ 350 ont choisi de servir dans des unités de combat, d’après Ohr Torah Stone, qui précise que ces chiffres sont basés sur des données communiquées par l’armée.
Ces données marquent une progression par rapport à 2017, où environ
2 700 jeunes femmes issues du système scolaire national-religieux — soit 34 % de leur promotion — s’étaient engagées dans Tsahal, selon une analyse publiée en 2018 par Idit Shafran Gittleman pour l’Institut israélien de la démocratie (IDI). Cette étude citait des statistiques internes de l’armée qui n’avaient pas été rendues publiques.
Des chiffres comparables ont également été rapportés pour l’année 2021, selon le média Ynet.
L’idée de créer cette unité est venue de Tsahal elle-même. Engagée sur plusieurs fronts depuis 2023, l’armée cherchait à mobiliser un vivier encore peu sollicité de femmes idéalistes et très motivées, prêtes à servir leur pays.
« Ce n’est pas nous qui avons approché Tsahal, c’est Tsahal qui est venue à nous », a déclaré le rabbin Kenneth Brander, président de l’organisation Ohr Torah Stone.
Cette nouvelle unité féminine est intégrée au Combat Intelligence Collection Array, qui relève du Corps de défense des frontières de Tsahal. Les soldates y recevront une formation au combat et au maniement des armes équivalente à celle des soldats des bataillons mixtes chargés de la surveillance des frontières jordanienne et égyptienne — tels que Bardelas, Caracal et les Lions de Jordanie.
Une fois leur instruction terminée, les recrues seront déployées sur la même frontière « calme » que ces unités mixtes, où elles auront pour mission de surveiller les mouvements suspects, détecter les infiltrations et tendre des embuscades contre les trafiquants d’armes et de drogue, a précisé le colonel Ohad Teharlev.
Les femmes seront formées pour faire face à des situations de combat si nécessaire, mais elles ne franchiront pas la frontière, ne participeront pas à des campagnes terrestres ni à des opérations antiterroristes, comme celles menées par les brigades d’infanterie Nahal, Givati ou Golani, a précisé Teharlev.
« Mais elles possèdent les capacités physiques et l’entraînement au maniement des armes nécessaires pour riposter face à des terroristes, si la situation l’exige », a-t-il ajouté.
Elles le font pour elles
La législation israélienne impose à tous les citoyens juifs — hommes comme femmes — une période de service militaire obligatoire de deux à trois ans, sauf en cas d’exemption spécifique.
Outre les exemptions quasi systématiques accordées aux ultra-orthodoxes, l’armée autorise également les femmes issues de milieux religieux à renoncer au service militaire. Elles peuvent alors se porter volontaires dans le cadre d’un service national, généralement d’une durée d’un à deux ans, dans des hôpitaux, des écoles ou auprès de populations défavorisées.
En vertu d’un accord de longue date entre Tsahal et le Grand Rabbinat d’Israël — entériné dans la loi, les femmes diplômées d’écoles religieuses féminines peuvent obtenir automatiquement une exemption du service militaire pour raisons religieuses.
Il y a plus de vingt ans, Teharlev a joué un rôle clé dans l’intégration des femmes orthodoxes pratiquantes au sein de Tsahal, en créant des passerelles vers des fonctions non combattantes, principalement dans les unités de renseignement et d’éducation.
Bien que ces options restent controversées au sein des segments les plus conservateurs du sionisme religieux, Teharlev estime qu’il est temps de pousser le concept un peu plus loin, en canalisant l’ardeur au combat de jeunes femmes comme Bucholtz, tout en leur permettant de préserver leurs valeurs religieuses et leurs règles de conduite spirituelle.
La première condition posée est une absence totale d’hommes dans l’unité.
« En raison des nombreuses problématiques de genre que soulèvent les unités de combat mixtes, aucun rabbin sérieux ne pourrait y consentir », explique Teharlev. « Désormais, avec une section fondée sur une stricte séparation des sexes, respectueuse des exigences religieuses, et bénéficiant d’un encadrement spirituel continu assuré par une éducatrice, il n’y a plus d’obstacle halakhique. »
Dans cette unité, les femmes pourront prier ensemble et étudier la Torah, sans que cela soit obligatoire.
« Si vous êtes une femme pratiquante, le cadre que nous avons mis en place, fera en sorte que vous soyiez entourée. Nous vous rendrons visite régulièrement, nous veillerons à ce que vous ayez une mentor spirituelle, et nous nous assurerons que tous vos commandants soient des femmes », a affirmé le rabbin Kenneth Brander, président de Ohr Torah Stone.
Bien que le service militaire des femmes religieuses ait gagné du terrain au sein de la communauté ces dernières dizaines d’années, de nombreux membres du courant national-religieux restent – fermement – opposés à cette idée, a fortiori à l’intégration de femmes dans des rôles de combat, et ce malgré les garde-fous spirituels désormais en place.
« La séparation totale entre les sexes n’existe pas dans Tsahal », a déclaré le rabbin Shlomo Aviner, figure éminente du courant sioniste religieux le plus rigide, connu pour son influence dans une large partie de la communauté.
Dans un entretien accordé au Times of Israel, il a qualifié de « mauvaise idée » le fait d’autoriser les femmes à servir dans Tsahal, sous quelque forme que ce soit, y compris dans une unité de combat exclusivement féminine.
Mais pour Brander, une telle approche ignore la réalité sur le terrain.
« Que nous le voulions ou non, les femmes religieuses s’enrôlent », a-t-il déclaré. « On peut s’opposer au phénomène, le dénoncer, mais ma responsabilité est de veiller à ce que ces jeunes femmes disposent d’un cadre halachique respectueux et adapté à leur engagement. »
Aviner, 81 ans, a également soutenu que l’ouverture de certains rôles militaires aux femmes, qu’elles soient religieuses ou non, nuirait à l’armée dans son ensemble.
« L’introduction de femmes dans les unités de combat abaisse les standards et les aptitudes opérationnelles des soldats », a affirmé Aviner, reprenant une idée ancienne et largement répandue qui continue de faire débat en Israël, aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
Le professeur Yuval Heled, spécialiste de la physiologie humaine et ancien physiologiste en chef du corps médical de Tsahal, a lui aussi critiqué par le passé la politique de l’armée consistant à recruter des femmes pour des postes dans l’infanterie de manœuvre ou les forces spéciales. Selon lui, d’un strict point de vue coût-bénéfice, il est peu rationnel de consacrer autant de ressources à identifier les rares femmes physiquement aptes à servir dans ces unités d’élite.
Heled s’est toutefois déclaré favorable à la création d’une unité exclusivement féminine au sein du réseau de renseignement de combat.
« Le risque que ces femmes soient confrontées à des combats au corps à corps est très faible », a déclaré le lieutenant-colonel (réserviste) Heled.
« Les exigences physiques n’ont rien à voir avec celles de l’infanterie, et encore moins avec celles des forces spéciales. Elles conduiront des véhicules, tendront des embuscades contre des trafiquants de drogue ou surveilleront des zones à distance. »
« Elles devront peut-être porter des charges lourdes, mais cela ne devrait pas nous empêcher de recruter des femmes », a-t-il ajouté. « Les femmes sont tout à fait capables de conduire des chars, d’être pilotes de chasse ou de servir dans ce type d’unités semi-combattantes. Et vous avez l’avantage supplémentaire de recruter des femmes très motivées et désireuses de contribuer ».
Le père de Bucholtz, Yishai, s’était confié au Times of Israel en février, alors que sa fille était à mi-parcours de sa formation de base. Il avait reconnu que l’entraînement était physiquement exigeant pour Adva, mais estimait qu’elle semblait en mesure de le supporter. (Depuis son enrôlement, Bucholtz n’est plus autorisée à s’exprimer dans les médias, conformément au protocole habituel de Tsahal.)

« Je la vois rentrer à la maison épuisée. C’est très intense. Mais l’ambiance semble bonne, et elle a l’air heureuse », raconte-t-il. « Je suis peut-être naïf, mais j’ai une confiance fondamentale dans Tsahal : je crois qu’ils ne lui feront pas faire des choses inadaptées à la physiologie d’une femme. »
Il ajoute qu’à l’exception d’un incident isolé au cours duquel Adva et les autres recrues ont dû courir et s’entraîner en présence d’un commandant masculin, Tsahal a tenu sa promesse de maintenir une stricte non-mixité.
« Bien que je pense qu’Adva ait pu se débrouiller dans une unité mixte, la non-mixité présente un véritable avantage : il y a un langage commun », poursuit-il. « Les femmes peuvent prier, demander des jours de repos pour des raisons religieuses, sans se sentir gênées, tandis que les autres [non pratiquantes] poursuivent leur entraînement. »
Selon Teharlev, plusieurs raisons pratiques justifient l’importance de ce cadre non mixte et religieux pour les femmes pratiquantes.
« Sur le terrain, il y a peu d’intimité pour se changer ou se laver. Et l’entraînement au combat est bien plus intense et physique que le travail dans un bureau. Cela crée une proximité qu’il faut gérer autrement », explique-t-il.
La nouvelle unité est composée de femmes issues de parcours variés.
TIMES OF ISRAEL