XERFI Un article de Benoit Heilbrunn. La méritocratie est souvent brandie comme une vertu cardinale, un idéal indépassable du monde de l’entreprise. La fusion spontanée entre le capitalisme et de la théorie darwinienne nous porte à croire que l’entreprise est un monde de gagnants qui sélectionne les meilleurs talents. Pourtant, la réalité est plus nuancée. Dans son essai « La Tyrannie des médiocres », Daniel Milo met en lumière une vérité dérangeante.

Même si l’obsession de l’excellence, de l’innovation et de la performance continue à dominer, rien ne suppose un dessin naturel supposant l’élimination ou l’infériorisation de ceux qui possèdent juste assez de ressources pour vivre et se reproduire, sans chercher l’héroïsme ou les exploits. Il suffit de s’adapter à moindre frais, nous dit, il d’être juste, good enough.


Cela permet d’expliquer pourquoi l’incompétence et l’insignifiance deviennent des forces dominantes dans des organisations qui se veulent efficaces et innovantes ?


La première clé de cette revanche réside dans la nature même de la médiocrité. Les médiocres, contrairement aux talents, ne menacent personne. Ils avancent masqués, arborant une façade conforme et docile qui les rend étrangement sympathiques. Leur manque de compétences aiguisées les préserve des jalousies et des rivalités féroces. On les ignore, mais c’est précisément cette invisibilité qui les protège. Pendant que les talents s’affrontent et s’usent dans des batailles d’ego, les médiocres tissent patiemment leur toile.


Les entreprises, aveuglées par leurs propres idéaux, tombent souvent dans le piège de la promotion de ces éléments sans éclat. La conformité et l’obéissance sont récompensées au détriment de la créativité et de l’audace. « Ne rien faire de travers » devient la norme.


Daniel Milo souligne également un phénomène pervers : l’effet de seuil. À partir d’un certain niveau hiérarchique, la compétence devient moins visible que la capacité à naviguer dans les eaux troubles de l’entreprise. Les médiocres excellent dans ce jeu, utilisant la flatterie, les alliances stratégiques, et une prudence excessive pour se maintenir et progresser.


Le problème est que cette revanche des médiocres crée un environnement toxique. Les véritables talents, découragés, cherchent des horizons où leurs compétences et leur ambition seront reconnues et valorisées. Les entreprises se retrouvent alors piégées dans un cercle vicieux où la médiocrité se perpétue et se renforce.


Pour combattre cette tyrannie de la médiocrité, il faut une révolution culturelle. Les entreprises doivent réapprendre à valoriser le talent, l’originalité et le courage. Cela implique de repenser les critères de promotion, de favoriser la transparence, et de créer un environnement où la prise de risque est encouragée, et non punie. Les leaders doivent être formés à reconnaître et à cultiver les véritables compétences, même lorsque celles-ci menacent le statu quo.


En somme, la revanche des médiocres trahit l’esprit même de l’entreprise, conduisant à une érosion du talent. Daniel Milo nous exhorte à ouvrir les yeux, à dénoncer et combattre cette tyrannie insidieuse. Pour que nos entreprises prospèrent, il est temps de rétablir la compétence à sa juste place.


Référence : Daniel Milo, La survie des médiocres. Critique du darwinisme et du capitalisme, Gallimard, 2023.

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