Le service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) traque la désinformation et les tentatives de manipulation de l’opinion.
UN ARTICLE DE PARIS MATCH. « A Viginum, le service de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, qui dépend du secrétariat général de la défense, les équipes sont rodées pour détecter et analyser les manipulations. Parmi les plus récentes, la création de faux graffitis orduriers anti-Macron ou anti-Zelensky, parfois générés par l’intelligence artificielle, dont les photos inondent les réseaux sociaux par le biais de captures d’écran provenant de médias usurpés. « On en a au moins une par semaine, confie l’un des membres. Il s’agit d’influencer l’opinion russe, puis l’opinion française pour dire: regardez, même les médias traditionnels sont en train d’enquêter là-dessus.»
« Portal Kombat »
Dans le cas des étoiles de David taguées sur les murs parisiens en octobre dernier, «il s’agissait de discréditer la parole appelant à la mesure dans le conflit entre Israël et le Hamas, pour renforcer les blocs liés à des causes identitaires et cliver la société», analyse Lova Rinel, chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique.
Viginum a réussi à prouver que des centaines de sites, essentiellement liés à des noms de ville en Russie ou en Ukraine, appartenaient au même système, qu’ils ont dénommé « Portal Kombat ». «Cela permet d’augmenter la viralité d’un contenu, pour persuader le grand public qu’il est crédible. Le Graal étant qu’une fausse information soit reprise par un vrai média», souligne Christine Dugoin-Clément, chercheuse à l’Observatoire de l’intelligence artificielle de Paris 1 PanthéonSorbonne. Pour cette spécialiste de la zone Ukraine-Russie, nous sommes désormais face à une guerre hybride.
«Les Russes ont restructuré le GRU, leur service de renseignements extérieurs, et notamment son centre 161, qui participe activement aux opérations informationnelles, poursuit-elle. L’administration présidentielle russe a formé des comités d’influence secrets liés au Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, dirigé par le puissant conseiller de Vladimir Poutine, Nikolaï Patrouchev. Ces comités attribuent des tâches particulières aux services contre des nations désignées.»
Les élections européennes présentent un risque majeur, selon elle: «L’enjeu est de perturber le processus démocratique, car l’Union européenne est l’un des principaux soutiens de l’Ukraine.» Quant aux Jeux olympiques, ce sera «l’open bar des opportunités, soupire-t-on à Viginum. Tout sera fait pour décrédibiliser l’organisation et provoquer des fuites de données. Mais on est préparés!»
« Poutine ne réagit pas bien lorsque la Russie est critiquée au niveau international, souligne-t-on au Quai d’Orsay, comme lorsqu’il a dû, après l’invasion de la Crimée, en 2014, quitter le G8, redevenu alors le G7. La perspective de voir ses athlètes venir aux JO sans bannière et sans hymne provoque déjà sa fureur.»
Se greffer sur un débat public comme un parasite
En janvier, pour la première fois, une fausse information relative à la mort de 60 mercenaires français en Ukraine a été relayée par le porte-parole du Kremlin en personne, Dmitri Peskov. «Ils utilisent plusieurs techniques, dont une, plus lente, dite stratégie du sachet de thé: il faut attendre que cela infuse pour distiller le poison du mensonge.»
À Viginum, on rappelle que la technique la plus courante consiste à se greffer sur un débat public comme un parasite. «Le but c’est d’utiliser tout un tas de procédés techniques déloyaux pour amplifier la visibilité d’un contenu, avec pour finalité l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Mais attention à ne pas donner trop d’importance aux Russes, qui ne sont pas les seuls à opérer sur le territoire français et qui souvent se plantent, sont démasqués et échouent à impacter leurs cibles.»