Que savons-nous vraiment de la géographie du commerce mondial et de la guerre de position que se livrent les grandes régions du monde ? Que la Chine submerge l’Occident. Que l’Allemagne a bien résisté jusqu’à peu, au détriment de ses partenaires, et en portant l’offensive sur les marchés émergents. Que l’Europe excédentaire demeure une puissance commerciale de premier plan, même si elle est sur le déclin. Mais en réalité, rarement ces faits stylisés sont confrontés aux chiffres concrets. Je vais tenter ici de donner une vision panoramique des grandes tendances ou ruptures de tendance qui caractérisent le commerce mondial depuis 20 ans.
L’UE, une puissance commerciale en recul
Première question, où en est vraiment l’UE (prise dans son ensemble et élargie ici au Royaume-Uni), en tant que puissance commerciale après plus de 20 ans d’offensive des pays émergents ? En première analyse, elle résiste et peut même se targuer d’être de loin encore la première puissance commerciale au monde si l’on en juge par le poids de ses exportations dans le commerce mondial. Et après avoir ployé, et même décroché au cours des années 2000, elle semble avoir plutôt stabilisé ses positions depuis 10 ans. La Chine ne cesse d’accroître sa part du gâteau, mais elle semble loin de détrôner la vieille Europe. C’est malheureusement une illusion d’optique, qui tient au fait que ces données les plus standards intègrent les échanges intra-communautaires. Or, pour juger de la puissance commerciale de l’UE en tant que zone, sur un pied d’égalité avec d’autres vastes territoires, il faut éliminer ces échanges inter-régionaux. Vu sous cet angle, aucun doute n’est permis. L’UE a perdu depuis 10 ans son statut de première puissance commerciale, en ligne avec le déclin de son industrie, et le fossé avec la Chine ne cesse de se creuser.
La redistribution du commerce mondial : pays avancés vs émergents
Sortons maintenant de notre ethnocentrisme européen, et regardons le partage du commerce mondial à travers la guerre de position que se livrent les pays avancés et émergents. Sans surprise, le commerce mondial s’est profondément recomposé, avec une explosion des exportations des émergents, notamment dans les années 2000, et un recul relatif des pays avancés. Le commerce semble à présent se stabiliser sur un partage équilibré entre ces deux groupes de pays. Mais il faut regarder de plus près ce qui s’est réellement passé. Une décomposition plus fine montre que l’explosion commerciale des émergents s’est d’abord opérée sur les émergents eux-mêmes. C’est le commerce intra-émergent qui a bondi, réduisant mécaniquement la part relative du commerce intra-zone des pays développés. Ce qui a été vécu comme une invasion des produits à bas coûts par les Occidentaux est d’abord une effervescence du commerce entre pays en forte croissance et une intégration croissante de ces derniers. Cela ne retire rien au fait que simultanément les pays avancés ont perdu du terrain sur les marchés émergents, tandis que les émergents ont accru leur part sur les marchés avancés.
L’offensive stratégique de la Chine auprès des pays émergents
La Chine est, sans surprise, un acteur clé de la redistribution des cartes. Avec une insertion déséquilibrée sur le marché mondial. Contribuant beaucoup plus à la hausse des exportations mondiales qu’à celles des importations. Une asymétrie qui fait qu’elle ne constitue pas un moteur du commerce mondial pour l’Occident, mais bien un frein. Un constat bien moins vrai pour les autres pays émergents, dont la part dans les importations chinoises ne cesse de progresser et domine très largement celle des produits occidentaux.
Surtout, ce que montrent clairement les données, c’est que la Chine a déplacé l’offensive. Le jeu principal ne se joue pas directement sur les marchés occidentaux, même si la part chinoise a graduellement progressé. Mais d’abord sur les marchés émergents. C’est sur ce terrain que la Chine taille des croupières aux États-Unis et à l’Europe. Il suffit de regarder la part de la Chine dans les importations des pays émergents et de la comparer à celle des pays avancés, pour comprendre que c’est d’abord sur sa périphérie que le monde développé perd la guerre commerciale et que la Chine opère sa conquête, sur les marchés d’Amérique du Sud, d’Afrique, de Russie. Et au fond, si les pays avancés reculent sur leurs propres marchés, ils sont bien moins débordés que sur le grand large.
Bref, la guerre commerciale a tout d’une guerre froide, déplaçant l’offensive sur les marchés périphériques et divisant la planète en deux blocs qui s’intègrent d’abord commercialement sur eux-mêmes.
OLIVIER PASSET.
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