par Léa Masseguin
C’est un verdict historique. La Cour internationale de Justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies, a considéré ce vendredi 26 janvier que le risque de génocide par l’armée israélienne est plausible dans la bande de Gaza. «Au moins certains actes semblent susceptibles de tomber sous le coup de la convention sur le génocide», a déclaré Joan Donoghue, la présidente de l’organe judiciaire basé à La Haye, ordonnant à Israël de «prévenir et punir» l’incitation au génocide.
Cette décision fait suite à la plainte de 84 pages déposée le 29 décembre par l’Afrique du Sud, accusant Israël d’avoir violé la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, établie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste. Devant un panel de 17 juges, des avocats sud-africains avaient demandé au tribunal, mi-janvier, de prendre neuf mesures d’urgence, dont la suspension des opérations militaires israéliennes, la facilitation de l’aide humanitaire et la fin de la destruction de la vie des Palestiniens à Gaza.
A l’issue d’une audience scrutée de près, le tribunal, qui s’est dit compétent pour statuer sur cette affaire, a estimé vendredi que des ordonnances d’urgence étaient nécessaires pour préserver les droits de la population palestinienne. La CIJ a ainsi demandé à Israël de prendre «des mesures immédiates» pour faciliter l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, où les besoins sont toujours plus importants. Elle n’a toutefois pas appelé à un cessez-le-feu dans le territoire soumis depuis cent onze jours à d’intenses bombardements – la mesure pourtant la plus stricte réclamée par l’Afrique du Sud.
Une décision de la CIJ qui s’ajoute à la pression internationale croissante sur le gouvernement israélien.
Si les décisions de la Cour internationale de justice sont juridiquement contraignantes, celle-ci dispose néanmoins de peu de moyens pour les faire respecter. Il ne s’agit par ailleurs que de mesures provisoires dans une affaire plus large, visant à déterminer si Israël commet ou non un génocide dans la bande de Gaza. Le tribunal ne se prononcera sans doute pas sur cette question avant plusieurs années.
Plusieurs spécialistes en droit international ont souligné que même le juge israélien Aharon Barak a voté en faveur des demandes à Israël de prévenir et de punir l’incitation au génocide, ainsi que d’autoriser l’aide humanitaire à Gaza. Seule la juge ougandaise Julia Sebutinde a voté contre.
L’audience n’a évidemment pas eu le même écho côté israélien. Dans une déclaration vidéo postée sur le réseau social X (ex-Twitter), le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a qualifié l’accusation de génocide de «fausse» et «scandaleuse» que les «gens honnêtes du monde entier devraient rejeter». Il a ajouté que son pays continuera à se défendre dans le respect du droit international, ignorant les mises en garde du tribunal. Mais la décision de la CIJ s’ajoute à la pression internationale croissante sur le gouvernement israélien à propos de l’offensive à grande échelle qu’il mène dans la bande de Gaza. Après avoir soutenu leur allié de manière inconditionnelle, les Etats-Unis et l’Europe ont intensifié ces dernières semaines la pression sur Israël pour réduire l’intensité de ses frappes, qui ont fait des milliers de victimes civiles dans l’enclave.
L’administration Biden confrontée à un grand dilemme
Pour la professeure de droit Heidi Matthews, l’existence d’un risque génocidaire plausible à Gaza oblige désormais les Etats «à prendre des mesures concrètes pour prévenir le génocide. […] Par exemple, ceux qui exportent des armes ou des technologies militaires vers Israël doivent cesser», a-t-elle commenté sur X. L’implication pour les Etats-Unis est particulièrement importante puisque l’affaire pourrait être portée devant le Conseil de sécurité des Nations unies, où l’administration Biden sera confrontée à un grand dilemme : continuer à «protéger politiquement Israël en opposant son veto, ce qui isolera encore davantage les Etats-Unis, ou laisser le Conseil de sécurité agir et payer un coût politique interne pour ne pas avoir soutenu Israël», analyse Trita Parsi, vice-président du groupe de réflexion américain Quincy Institute for Responsible Statecraft.
Dans la bande de Gaza, l’heure est au «ressentiment» après la décision de la CIJ, a rapporté le correspondant d’Al-Jazeera à Rafah, Hani Mahmoud. Les habitants sont certes «reconnaissants» envers l’Afrique du Sud pour le dépôt de cette plainte, mais aspiraient surtout à un cessez-le-feu immédiat qui aurait pu les soulager des traumatismes subis par près de quatre mois de bombardements incessants.