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Israël-Hamas : pourquoi il est si difficile pour l’Europe de faire entendre sa voix.

EDITORIAL – Les bonnes intentions, mêmes les meilleures, ne suffisent pas à faire une politique. Dans la guerre entre Israël et le Hamas, l’UE est totalement impuissante et même inaudible. La faute à ses divisions, rappelle notre éditorialiste Marc Semo, mais aussi au fossé entre « the west and the rest » qui brouille le message.

Josep Borrell et Israel Katz

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell parle avec le ministre israélien des Affaires étrangères Israel Katz (à gauche) lors d’une rencontre à Bruxelles le 22 janvier.

L’Union européenne est le premier partenaire commercial d’Israël. Elle est aussi le premier donateur d’aides à l’autorité palestinienne. Les « 27 » auraient donc des leviers pour agir même si ceux-ci ne peuvent guère se déployer qu’une fois achevée la phase la plus aiguë des combats. Mais dans cette guerre entre Israël et le Hamas, l’UE est totalement impuissante et même inaudible. Incapable de trouver un accord par exemple sur un appel à 27 pour un cessez-le-feu immédiat, elle ne peut que rappeler des positions de principe aussi justes que répétées sans effet depuis des années sur la « solution à deux Etats », l’un palestinien, l’autre israélien vivant côte à côte.

Révélatrice à cet égard fut dans l’après-midi du 22 janvier la réunion à Bruxelles des ministres des Affaires étrangères de l’UE qui avaient invité pour l’occasion leurs homologues israélien et palestinien qu’ils ont reçus séparément ainsi que ceux de l’Egypte, de la Jordanie et de l’Arabie saoudite.

La seule solution possible.

Trois jours plus tôt le chef du gouvernement israélien Benyamin Netanyahou clamait haut et fort qu’après les attaques du 7 octobre, « Israël doit s’assurer que Gaza ne constituera plus une menace » et que cette exigence « contredit la demande de souveraineté palestinienne ». Il répondait ainsi publiquement au président américain Joe Biden qui, dans un long entretien téléphonique – le premier depuis un mois –, le pressait aussi d’accepter une solution politique fondée sur les deux Etats. Aussi difficile qu’elle soit à construire, surtout sous le choc d’un conflit devenu aussi existentiel pour les Palestiniens que pour les Israéliens, elle reste la seule possible et surtout la seule raisonnable.

« Quelles sont les autres solutions auxquelles ils pensent ? Faire partir tous les Palestiniens ? Les tuer ? » insiste le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell rappelant qu’Israël ne peut construire « la paix » seulement par la guerre. Dans un document, le SAE, le Service d’Action Extérieur, la diplomatie européenne, évoque une « conférence préparatoire pour la paix » à laquelle seraient associées les capitales arabes les plus constructives à commencer par l’Arabie saoudite et où seraient aussi invités les Américains. Le chef de la diplomatie européenne affirme que désormais il ne parlera plus « de processus de paix » mais de « processus de solution à deux Etats ».

Fractures européennes.

Les bonnes intentions, mêmes les meilleures, ne suffisent pas à faire une politique. L’UE n’a guère de marge de manœuvre autonome sur ce dossier. Elle n’a aucun contact direct avec le Hamas qu’elle a classé comme une organisation terroriste. Elle n’est guère prise en considération par un premier ministre israélien jusqu’au-boutiste qui déjà n’écoute même pas vraiment Washington. Mais surtout, elle est divisée. Si les Européens en février 2022 avaient plus ou moins fait bloc face à l’agression russe en Ukraine malgré quelques divergences, la guerre de Gaza a révélé l’ampleur des fractures sur le conflit israélo-palestinien.

On l’avait vu dans dès les premiers jours qui ont suivi les attaques terroristes du 7 octobre, avec le massacre de 1 200 personnes, en écrasante majorité des civils, tués du seul fait d’être juif ou présumé tel. Un véritable pogrom, sur le territoire israélien lui-même, avec des attaques dans les villes limitrophes de la bande de Gaza. Cette tuerie était en cela différente des attentats terroristes des décennies précédentes ou des attaques lancées par les armées arabes. Avec ce carnage, c’est la raison d’être elle-même de l’État d’Israël, construit après la Shoah pour que cela n’arrive jamais plus, qui est mise en cause.

Des positions à lire à l’aune de l’histoire des pays européens

Certains dirigeants européens ont compris d’emblée la portée de l’événement. Ainsi la présidente de la Commission Ursula von der Leyen qui s’est aussitôt rendue sur place non sans susciter de fortes critiques au sein de la bureaucratie bruxelloise. On lui reprochait d’avoir outrepassé ses prérogatives car la politique étrangère de l’Union n’est pas de son ressort, mais surtout d’avoir réagi en Allemande. A l’opposé, l’Espagnol Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, dénonçait l’horreur de ces crimes mais rappelait au diapason de son opinion publique la réalité de la tragédie palestinienne.

Les positions des divers Etats membres sont à lire à l’aune de l’histoire, de leurs rapports avec leur mémoire juive et du poids de leur culpabilité. Ainsi, l’Allemagne comme l’Autriche mais aussi la République tchèque ou les Pays-Bas ont été dès le début de la crise, et restent, les plus ardents soutiens d’Israël. S’ils appellent à des aides humanitaires pour la population gazaouite ils soutiennent toujours le refus israélien d’un cessez-le-feu avec le Hamas avant que l’opération ne soit achevée. D’autres pays comme l’Irlande, traditionnellement pacifiste, ou l’Espagne sont eux en revanche d’autant plus sensibles à la tragédie vécue par les Palestiniens que la question juive n’a guère de place dans leur imaginaire, soit parce qu’il n’y a jamais eu d’importante communauté vivant sur leur territoire ou, comme en Espagne, parce que les Juifs en furent expulsés à la fin du XVe siècle.

Une position française oscillante et confuse

La position française quant à elle fut pour le moins oscillante et confuse, du moins au début. Le chef de l’État voulait aussi éviter l’escalade et les débordements dans un pays où vivent la plus importante communauté juive d’Europe et une très importante communauté de culture musulmane issue de l’immigration. Emmanuel Macron ne s’est rendu en Israël que quinze jours après le massacre, proposant de créer « une coalition contre le Hamas » à l’image de celle montée contre Daech ce qui n’avait pas grand sens alors que nombre de pays arabo-musulmans et surtout leurs populations considèrent le Hamas comme un mouvement de résistance. Puis il a fait volte-face, devenant de plus en plus vocal pour appeler à l’arrêt des bombardements israéliens et à un cessez-le-feu. Cela a énervé les Israéliens sans pour autant ôter l’impression première d’un alignement sur les positions israéliennes et américaines qu’avaient dénoncé dans une lettre commune à leur hiérarchie nombre d’ambassadeurs en poste dans les pays arabes.

C’est en fait toute l’Europe qui est mise dans le même sac par les opinions arabes mais aussi celles de la plupart des émergents et accusée aux côtés des Américains et de pratiquer « le deux poids, deux mesures ». Apparu dès le début de l’agression russe en Ukraine, ce fossé entre « the west and the rest » n’a fait que se creuser. Nombre de pays de ce que l’on appelle le « sud global » ne voyaient pas ce conflit comme une guerre coloniale russe à l’ombre du nucléaire mais comme une affaire entre Européens voire comme une remise en cause salutaire par Poutine de la domination occidentale du monde. Avec la guerre à Gaza ce rejet de l’Occident s’est encore amplifié. Pourquoi s’offusquer des bombardements sur l’Ukraine et pas sur Gaza ? Pourquoi accepter que l’État hébreu puisse depuis des décennies violer impunément, grâce au soutien américain, les résolutions de l’Onu le concernant ?

Certes il y a une bonne part d’hypocrisie dans ces accusations et les pays arabes avaient été les premiers à se désintéresser de la cause palestinienne ces dernières années. Bien peu au sud ont protesté dans le passé contre les 500 000 morts de la guerre syrienne. Il n’en reste pas moins que désormais l’Occident est associé à Israël le colonisateur tandis que le « sud global » se reconnaît dans le Palestinien opprimé. Dans un tel contexte il sera bien difficile pour l’Europe de faire entendre sa voix et a fortiori une voix singulière. Mais c’est plus urgent et plus nécessaire que jamais.

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