Israël-Gaza : l’économie du territoire palestinien sapée par le blocus et les guerres.
Soumise à un blocus d’Israël depuis depuis 2005, devenu permanent en 2007, l’économie dans la bande de Gaza stagne depuis cinq ans. Ces restrictions sont justifiées par la nécessité d’assurer la sécurité de la population israélienne. Seize ans plus tard, et trois jours après l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre faisant 1.400 morts, le pays a annoncé un blocus total empêchant l’entrée de nourriture, de médicaments, d’essence et d’eau. Déjà économiquement affaiblie, la bande de Gaza reçoit désormais l’aide humanitaire, via le terminal de Rafah, l’unique passage non contrôlé par Israël.
Pour l’enclave qui compte 2,3 millions d’habitants, qualifiée par Human Rights Watch de « prison à ciel ouvert », ces aides sont une question de survie. Car la situation était déjà critique avant les attaques.
Gaza, avant la guerre Israël-Hamas
Gaza et la Cisjordanie comptaient plus de 5 millions d’habitants en 2022. Mais selon les projections, à Gaza seule, la dynamique démographique (+2%) est telle que le territoire devrait atteindre 3 millions d’habitants en 2030. A titre de comparaison, la croissance de la population israélienne (9,6 millions, dont quelque 2 millions d’Arabes israéliens), est également dynamique, à +2,2% en 2022, selon les chiffres de la Banque mondiale.
« La bande de Gaza souffre de la pression démographique sur les ressources de base des facteurs de production, ainsi que de la dernière série de guerres répétées qui a conduit à la destruction presque complète des besoins les plus élémentaires », résume à La Tribune Mohammed Qalalwa, directeur général de la direction des statistiques économiques au Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS).
A Gaza, près de la moitié de la population a moins de 18 ans. « Plus de 50 % des jeunes diplômés sont au chômage, le revenu palestinien par habitant dans la bande de Gaza équivaut à la moitié du revenu palestinien par habitant en Cisjordanie ».
Dès 2014, les Nations Unies pointaient la nécessité de développer ses secteurs de bases : les services (plus de 80 %), l’agriculture (12%), dont le secteur de la pêche, le secteur industriel (3%), et 5% pour le secteur de la construction, selon le PCBS. La bande de Gaza a besoin d’investissements et d’entreprises spécialisées dans la reconstruction de bâtiments détruits par les bombardements.
Elle compte 55.000 entreprises qui emploient plus de 300.00 personnes, le secteur privé représentant 80% de l’économie (et 20% public). Mais taux de chômage y est supérieur à 45%, selon le bureau basé à Ramallah en Cisjordanie.
Malgré ces faiblesses, l’économie palestinienne continuait de créer de la richesse en affichant une croissance de 3,9% en 2022 (après 7% en 2021), et un PIB de 19,1 milliards de dollars en 2022. Un rebond après le décrochage de -11% en 2020, lié à la crise du Covid.
L’accélération de la pauvreté en un an
Covid-19, guerre en Ukraine, et ripostes aux attaques du Hamas ne font qu’aggraver une situation déjà alarmante. En 2023, les agences de l’Onu estimaient que 58 % des Gazaouis avaient besoin d’une aide humanitaire et que 29 % des ménages vivaient dans des conditions extrêmes ou catastrophiques alors que ce taux n’était que de 10 % en 2022. En un an, de nombreux foyers ont donc basculé dans la pauvreté.
A Gaza, seul 1 % de la population a accès à une eau potable améliorée et un traitement des eaux usées.
L’espérance de vie y est de 73 ans, contre 81 ans en Israël, parmi les plus élevées au monde.
Dans ces territoires, le développement y est incertain au regard de l’index de capital humain (ICH) mesuré par la Banque mondiale. Cet index, qui calcule les contributions de la santé et de l’éducation à la productivité des travailleurs, y est faible. Il y est de 0,6, contre 0,73 en Israël, selon l’institution de Washington.
Des liens économiques avec Israël
Malgré tout, Israéliens et Palestiniens ont noué de fragiles liens économiques. « 80 % de nos exportations sont destinées à Israël et 60 % de nos importations proviennent d’Israël », rappelle le bureau palestinien des statistiques.
Surtout, l’économie palestinienne repose sur les transferts personnels de fonds de non résidents d’Israël, vers leur territoire d’origine. Ceux-ci n’ont fait qu’augmenter. Ils pesaient plus de 21% du PIB des territoires en 2022 ; une part qui a doublé en dix ans.
« Cette croissance continue a été tirée par la consommation, elle-même stimulée par l’augmentation du nombre de Palestiniens travaillant en Israël, où les travailleurs gagnent plus de deux fois le salaire journalier moyen en Cisjordanie. Les recettes de l’Autorité palestinienne ont augmenté de manière significative, grâce à l’accroissement de l’activité économique et aux efforts fructueux déployés pour élargir l’assiette fiscale », constatait, avant les attaques du Hamas, la Banque mondiale.
Pour 2023, avant le déclenchement de la guerre menée contre l’organisation islamiste, la Banque mondiale craignait les conséquences d’une escalade :
« L’interconnexion des deux économies expose la partie palestinienne à des risques supplémentaires de détérioration, qui pourraient être exacerbés si la récente escalade des affrontements se prolongeait pendant plusieurs mois et entraînait un durcissement des restrictions, notamment en ce qui concerne les mouvements transfrontaliers des travailleurs. »
Les barrières douanière et fiscales sur Gaza
Reste qu’en plus du blocus, les échanges entrant et sortant de Gaza sont strictement contrôlés. « La taille du commerce dans la bande de Gaza avant 2006 atteignait 23 % de la taille totale du commerce de la Palestine. Elle a récemment chuté en dessous de 12 % en 2023 », explique Mohammed Qalalwa.
Sur ce commerce, Israël applique en effet des taxes douanières et des prélèvements sur les recettes fiscales palestiniennes. L’Autorité Palestinienne n’ayant pas le statut d’État, Israël est en effet chargé de collecter les droits de douane et autres recettes en son nom. Ces taxes, gérées par Israël en vertu d’accords de paix provisoires conclus dans les années 1990 et généralement reversées chaque mois, représentent plus de la moitié du budget de l’Autorité palestinienne. Ce mécanisme est d’ailleurs utilisé comme un moyen de rétorsions face aux attaques.
En 2022, ces prélèvements de taxes ont représenté 1,6 % du PIB des territoires, selon la Banque mondiale.
« Les efforts visant à rétablir la connectivité de Gaza avec l’économie de la Cisjordanie et les marchés extérieurs sont essentiels, y compris la délivrance de permis d’exploitation aux commerçants de Gaza et l’assouplissement des restrictions », conclut la banque basée aux Etats-Unis.
Des perspectives assombries après les attaques du Hamas
Sans surprise, le bureau palestinien des statistiques, rattaché à l’Autorité palestinienne, livre des conclusions pessimistes :
« La poursuite de la guerre israélienne contre la bande de Gaza pendant un mois et l’extension de ses effets au cours des deux mois suivants (…) entraînera une baisse du PIB de la Palestine en 2023 d’une valeur estimée à 500 millions de dollars, ce qui équivaut à 3 % par rapport à 2022, alors que l’économie palestinienne était censée enregistrer une croissance de 3 % la même année, » note-t-il.
Pour 2023, le PCBS prévoit une baisse de 5 % du revenu par habitant en 2023 et une diminution de 1,2 % du niveau de consommation, avec une augmentation des taux de pauvreté en Palestine.
Déjà pour cette année, la Banque mondiale anticipait un ralentissement en raison des répercussions de la guerre en Ukraine menée par la Russie et de la montée des violences dans la région. Si des réformes étaient déjà nécessaires dans les territoires, Israël devait y jouer un rôle direct, selon l’institution : « L’Autorité palestinienne ne peut y parvenir seule. Le soutien des donateurs et la coopération du gouvernement d’Israël sont essentiels pour réaliser l’assainissement budgétaire et asseoir l’économie sur des bases plus solides », espérait-elle.