i24NEWS: Le prince Mohammed Ben Salman affirmait récemment que « l’accord de normalisation avec Israël se rapprochait de jour en jour », alors qu’en avril dernier, lorsque l’Arabie saoudite et l’Iran ont rétabli leurs relations diplomatiques, les analystes le considéraient comme enterré…

Michaël Horowitz: Je nuancerais ces deux affirmations. L’accord n’était pas hors de portée à l’époque, et il n’est pas non plus nécessairement imminent aujourd’hui, parce qu’il reste des difficultés. Mais c’est vrai que les choses se sont accélérées en quelques mois contre toute attente, et ceci pour une raison principale : le dynamisme de la diplomatie américaine, qui veut essayer d’atteindre plusieurs objectifs en négociant cet accord. Il y a tout d’abord un enjeu de puissance et d’influence dans la région. En chapeautant l’accord Iran-Arabie saoudite, la Chine a essayé de s’imposer comme une puissance émergente au Moyen-Orient, une puissance qui pourrait, à terme, faire de l’ombre et même reléguer celle des Etats-Unis.

Washington a aussi conscience de l’inquiétude que la perception d’un retrait américain provoque chez ses alliés traditionnels, dont l’Arabie Saoudite, des inquiétudes qui ont poussé certains alliés à développer leur horizon stratégique en tissant des liens plus forts avec la Chine. L’administration Biden utilise la possibilité d’un accord pour tenter de rassurer l’Arabie Saoudite, et de discuter d’un accord qui donnerait à Riyad des garanties de sécurité concrètes – ce que le Royaume demande depuis quelques années.

La troisième raison est plus « domestique » pour les Etats-Unis. Donald Trump et Joe Biden pourraient s’affronter l’année prochaine, et les accords d’Abraham restent un élément positif du bilan de Donald Trump. En finalisant un accord entre Israël et l’Arabie saoudite, le président américain taperait encore plus fort que son prédécesseur. Il y mettrait aussi sa “patte”, en faisant ce que Trump n’a pas fait, c’est- à-dire en liant la dynamique d’Abraham à une dynamique de résolution du conflit israélo-palestinien. Les démocrates veulent ainsi transformer les accords d’Abraham en leur faveur.

C’est ce qui fait que cette négociation est assez atypique, elle ne se joue pas tant simplement entre Israël et l’Arabie Saoudite, qu’entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite d’un côté, Israël et les Etats-Unis de l’autre. Washington n’est pas que médiateur, il est pleinement partie à ces négociations.

i24NEWS: Quels sont les intérêts concrets de l’Arabie saoudite à un tel accord ? Et d’Israël ?

Michaël Horowitz:  L’Arabie saoudite veut s’assurer des garanties de sécurité américaine. Je crois que les Saoudiens n’ont pas de doute sur le fait que l’accord avec l’Iran n’effacera en aucun cas la rivalité historique qui les “désunit”. Il s’agit tout au plus d’une “trêve” entre deux grands rivaux, qui font un temps semblant de s’entendre – mais ne dorment pas sur leurs deux oreilles.

Différents éléments, comme le conflit au Yémen, pourraient tout remettre en cause très vite comme cela a souvent été le cas entre ces deux puissances dans l’histoire. Une escalade sur le dossier nucléaire est envisageable. L’Iran a souvent utilisé le Golfe pour faire pression sur les Etats-Unis.

C’est ce qui fait que Riyad cherche un garant. L’Arabie Saoudite avait été choquée par le manque de réaction américaine à la frappe sans précédent qui avait frappé ses installations pétrolières en 2019 – on était alors sous l’administration Trump. Depuis, le Royaume cherche à retrouver son équilibre, et à convaincre Washington de lui donner des garanties concrètes, tout en bâtissant ses propres garanties – sous la forme d’un programme nucléaire domestique. Cela explique pourquoi les Saoudiens ont demandé, dans le cadre d’un accord avec Israël, une assistance américaine pour bâtir un programme nucléaire. La nuance importante qu’il faut comprendre c’est que Washington n’a jamais rejeté une telle demande, mais que les Américains mettent certaines conditions de non-proliférations, pour s’assurer que ce programme civil ne se transforme pas en programme militaire. Ce sont ces conditions dont les Saoudiens ne veulent pas : ils veulent envoyer le message qu’ils sont prêts à sauter le pas, si leur ennemi historique, l’Iran, acquiert la bombe. Le Prince Ben Salmane l’a d’ailleurs dit très clairement dans son interview récente: si l’Iran acquiert la bombe, l’Arabie Saoudite sera la suivante.

i24NEWS: Quelle est donc la place d’Israël dans ces négociations?

Michaël Horowitz: Vous le comprenez, Israël est presque un détail pour l’Arabie Saoudite, mais ils sont d’accord, disons, pour le mettre « dans un package ». Je ne dis pas que les relations avec Israël ne serait pas importantes. Il y a bien sûr des synergies importantes. Israël compte de nombreuses ressources en termes d’intelligence artificielle ou de cyber sécurité qui pourraient intéresser l’Arabie saoudite, qui cherche à se moderniser. Mais le cœur de l’intérêt Saoudien est à Washington plus qu’à Jérusalem.

i24NEWS: Tout le monde y gagnerait, mais pas du tout les mêmes choses en quelque sorte ?

Michaël Horowitz: Pour Israël, cette paix serait un symbole incroyable, qui arriverait aussi à un moment opportun pour Netanyahou, politiquement. Joe Biden, lui, battrait Trump sur son propre terrain, tout en réaffirmant le rôle primordiale de Washington au Moyen Orient et en rassurant ses alliés. Il y a aussi, bien sûr, comme je l’ai évoquée, la question palestinienne – celle qui pourrait faire capoter les négociations par ailleurs, et qui me rend plus sceptique sur les chances d’un accord. Il est assez intéressant de voir que les Etats-Unis sont plus exigeants sur le dossier palestinien que les Saoudiens. Là où Joe Biden parle de deux États, le prince Mohammed Ben Salmane se contente d’exiger « l’amélioration de la vie des Palestiniens ». On est loin de l’initiative de paix saoudienne précédente, qui demandait un retrait complet d’Israël sur la base des frontière d’avant 1967 ! Au final, ce que l’Arabie Saoudite cherche avant tout, lorsque l’on parle du conflit israélo-palestinien, c’est de ne pas faire de vague dans le monde arabe, et de pouvoir dire qu’ils ont fait avancer la paix.

Cela exige un quatrième partenaire – qui rendent ces négociations encore plus difficiles : l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Riyad veut absolument éviter de recevoir des critiques de Ramallah et a donc invité l’Autorité à formuler ses propres conditions.

i24NEWS: Quelles sont ces demandes ?

Michaël Horowitz: Sous l’influence d’un conseiller pragmatique d’Abbas, Hussein al-Sheikh, Ramallah a décidé de ne pas faire de demandes qui torpilleraient l’accord. Une reconnaissance à l’ONU, des mesures de soutiens à l’autorité, et un plus ample contrôle palestinien sur certaines zones de la Cisjordanie “suffiraient”. Pour Abbas, cela lui permettrait de finir son règne, jusqu’alors marqué par une paralysie totale, par une victoire en demie teinte. Reste à savoir si cela est acceptable pour Israël, bien sûr, et c’est là que le bât blesse.

i24NEWS: C’est ce qui vous fait douter qu’un accord est imminent ?

Michaël Horowitz: Je ne crois pas que cet accord puisse se faire avec le gouvernement israélien tel qu’il est, et les Américains doivent aussi s’en rendre compte. Il est possible que cela arrange Washington d’utiliser la perspective d’un accord (bien réelle) pour faire pression sur Benjamin Netanyahou. Les Américains ont beaucoup de mal à gérer leurs relations avec ce gouvernement, et c’est une “prise” utile pour forcer Netanyahou à garder ses alliés de l’extrême droite sous contrôle. Mais force est de constater que ça ne marche pas. C’est à se demander si Washington ne mise pas, en fait, sur un changement de coalition, qui verrait Netanyahou se passer de ses alliés incommodes d’hier. Ce pourrait être un arrangement temporaire, qui verrait les parties d’opposition à Netanyahou approuver un accord avec l’Arabie Saoudite, ou même un vrai changement politique. Ce n’est pas un scénario probable pour l’instant, mais la politique israélienne nous réserve souvent des surprises.

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