Daniel Haïk – i24NEWSPlusieurs experts considèrent qu’Israël ne doit pas se laisser séduire par les « sirènes » de la paix si la contrepartie doit être une Arabie Saoudite nucléaire

Il a été difficile de suivre les manœuvres diplomatiques enclenchées cette semaine par les Saoudiens. En début de semaine, des rumeurs persistantes en provenance de Riyad annonçaient le gel des pourparlers avec Israël et le durcissement des exigences de Mohammed Ben Salman (MBS) dans le dossier palestinien. Tout semblait alors indiquer que le prince héritier, conscient de la faiblesse interne de Netanyahou, allait en profiter pour faire grimper les enchères de la normalisation. Et puis brusquement, mercredi, quelques heures après la rencontre entre Joe Biden et le Premier ministre israélien, MBS a totalement renversé la vapeur en annonçant dans une interview soigneusement préparée à Fox News que « chaque jour nous rapproche un peu plus d’un accord avec Israël » !! Comme s’il avait attendu une sorte de feu vert tacite d’Israël et des États unis avant de confirmer, pour la première fois, l’existence de pourparlers entre Jérusalem et Riyad.

AP Photo/Susan Walsh
AP Photo/Susan WalshLe Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou

Il ne faut pas faire la fine bouche : les propos de MBS dans cet entretien sont quasi-révolutionnaires et historiques. Ils révèlent officiellement l’aspiration réelle de Riyad à normaliser ses relations avec l’État d’Israël ! Certes, ce n’est pas une surprise à proprement parler, puisque sans le feu vert tacite des Saoudiens, les Émirats, et surtout Bahreïn, n’auraient jamais adhéré aux accords d’Abraham en 2020. Mais tout de même ! Là, c’est l’homme fort du Royaume, l’un des leaders les plus puissants au monde qui le reconnaît. Et ce n’est pas tout, MBS s’est exprimé très clairement sur deux autres points qui focalisent l’attention des Israéliens :

Le dossier de la cause palestinienne

« Ce dossier est très important pour nous », a dit MBS… « Il faut améliorer les conditions de vie de la population palestinienne ». À Jérusalem, cette déclaration a rassuré. Riyad n’a, pour l’instant, pas la moindre intention d’exiger un règlement du conflit israélo-palestinien comme condition d’une normalisation avec Israël. Elle peut se contenter de gestes plus symboliques comme l’apport d’une aide économique israélienne à la population palestinienne. Un meilleur niveau de vie, oui, mais un État palestinien, pas pour l’instant ! Et ces propos sous-entendent que ce sont les Américains, plus que les Saoudiens, qui voudraient remettre sur la table des négociations le principe de « deux états pour deux peuples ». C’est Washington plus que Riyad qui entend sortir de la naphtaline cette vieille notion ! Et, dans l’absolu, ce sont même les Européens qui voudraient remettre ce principe sur le tapis, plus que les Saoudiens eux-mêmes. Avec sa petite phrase, MBS indique qu’il n’est, certes, pas insensible à la cause palestinienne, mais qu’il n’entend pas que celle-ci lui obstrue la voie d’une normalisation avec la puissance régionale qu’Israël est devenue. Biden et Blinken sont ceux qui veulent promouvoir ces « deux Etats pour deux peuples », d’abord parce qu’ils y croient vraiment, et ensuite parce qu’ils doivent rassurer l’aile gauchisante du parti démocrate qui se renforce de jour en jour, surtout en perspective des présidentielles de novembre 2024.

Leon Neal/Pool Photo via AP
Leon Neal/Pool Photo via APLe prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane

Le dossier du nucléaire saoudien

Par contre, sur ce second point, le prince héritier a eu une petite phrase qui risque d’embarrasser les Israéliens. « Si l’Iran doit disposer du potentiel nucléaire, nous en voulons aussi ! Une déclaration qui ne précise pas s’il s’agit d’un potentiel nucléaire civil ou militaire, mais qui semble révéler, là aussi au grand jour, les véritables aspirations de Riyad: si les Iraniens chiites doivent devenir une puissance nucléaire, les Saoudiens sunnites ne voudront pas être en reste. Côté israélien, on hésite encore quant à la position à adopter sur le sujet. Plusieurs experts considèrent qu’Israël ne doit pas se laisser séduire par les « sirènes » de la paix saoudienne et que, si la contrepartie doit être une Arabie Saoudite nucléaire (même civil) il est préférable de ne pas donner suite, quitte même à abandonner cet accord historique.

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AP Photo/Susan WalshLe président américain Joe Biden

Pour l’instant, Benjamin Netanyahou adopte une approche plus nuancée : lui qui a fait du nucléaire iranien son principal cheval de bataille diplomatique propose aujourd’hui « d’accompagner » les Saoudiens dans leur démarche afin de pouvoir mieux les contrôler. Une manière pour Israël de rester vigilant. Mais attention, Israël pourrait réclamer et obtenir en échange plusieurs contreparties des Américains : d’abord une garantie que, jamais, l’Arabie Saoudite ne pourra se doter de potentiel nucléaire militaire. Mais, également, des engagements bien quadrillés sur le fait que ce programme civil ne pourra jamais devenir militaire, ainsi que des promesses américaines garantissant à Israël une supériorité militaire et voire même, peut-être, une alliance stratégique améliorée !

Yonatan Sindel/Flash90
Yonatan Sindel/Flash90Le ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir

Au lendemain de Yom Kippour, Benjamin Netanyahou devra lui aussi manœuvrer habilement pour trouver la voie médiane qui puisse satisfaire Riyad sans fâcher l’aile droite de son gouvernement (Smotrich et Ben Gvir). S’il sait se montrer habile (à savoir s’il est capable de maîtriser ses déclarations intempestives envers ses adversaires politiques de Kaplan), il pourra même parvenir à normaliser les relations avec les Saoudiens, tout en conservant Ben Gvir dans son gouvernement. Si, par contre, Ben Gvir devait s’entêter, ou si, sous la pression de l’administration Biden, les exigences américaines et saoudiennes devaient augmenter, Netanyahou pourrait alors déposer, soit sur le bureau de Benny Gantz, soit sur celui de Yaïr Lapid, une vaste proposition de remaniement ministériel. En échange d’un gel total de la réforme à long terme, Lapid, peut-être plus que Gantz, pourrait envisager un tel cas de figure. Le chef de l’opposition a déjà fait un petit pas dans cette direction en annonçant, jeudi, qu’il soutiendra, avec Yesh Atid, tout accord de normalisation avec l’Arabie Saoudite (sans toutefois entrer dans le gouvernement). Apres un silence de 10 jours de la part du chef de l’opposition depuis son retour de Washington, voilà qui est plutôt de bon augure !

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