Netanyahou bientôt chez Mohammed VI… À quoi faut-il s’attendre ?

Yehuda Lancry et Jamal Amiar.

Mohammed VI dispose d’importants arguments pour convaincre Benjamin Netanyahou d’évoluer sur le dossier palestinien.

L’invitation, lancée par le Roi Mohammed VI au Premier ministre Netanyahou, à se rendre en visite officielle au Maroc revêt une dimension particulière. Pour la première fois, elle donne “droit de cité” en terre chérifienne à un Premier ministre israélien issu des rangs du Likoud, et intervient 30 ans après les premiers accords d’Oslo dans lesquels le roi Hassan II et le Maroc ont été des soutiens importants.

Les deux prédécesseurs de Netanyahou, Peres et Rabin – tous deux travaillistes et promoteurs de la paix israélo-palestinienne – étaient considérés comme des interlocuteurs privilégiés, cultivant une remarquable proximité avec feu Hassan II, intercesseur visionnaire et inlassable de la paix israélo-arabe.  37 ans, donc, après la première visite publique d’un chef de gouvernement travailliste israélien au Maroc à l’invitation du roi Hassan II, Shimon Peres en juillet 1986, Benjamin Netanyahou devrait être reçu au Maroc par le roi Mohammed VI avant la fin de cette année 2023.

Quels impacts peut avoir cette visite annoncée sur le plan bilatéral et sur la relance du processus de paix israélo-palestinien ?

Signataire des accords d’Abraham et de la reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara, Netanyahou, naguère éloigné et intransigeant sur la question palestinienne, devient un partenaire fréquentable. Même si Hassan II n’avait rencontré que des travaillistes, les Marocains et la communauté internationale savent que c’est un Premier ministre du Likoud, Begin, qui a reçu Sadate à Jérusalem, signé les Accords de Camp David, et ordonné l’évacuation de la péninsule du Sinaï et de ses colonies.

C’est un autre Premier ministre du Likoud, Sharon, qui a également ordonné d’évacuer la bande de Gaza en 2005, ainsi que quatre colonies juives du nord de la Cisjordanie. La visite de Netanyahou au Maroc, qui suscitera certainement la ferveur de son électorat d’origine marocaine en Israël, s’inscrit comme une nouvelle étape importante du renforcement de la coopération entre le Royaume et Israël.

Les échanges économiques, scientifiques, académiques, culturels et touristiques, les transferts de haute technologie, en progression, bénéficieront d’un élan que pourrait couronner la mise en œuvre, tant attendue, d’un accord de libre-échange et sur la protection des investissements entre les deux pays. Ces relations économiques, sécuritaires, militaires, académiques, agricoles et dans le transfert de technologies sont appelées à se poursuivre. Du stade de l’échange, les deux États et les entreprises sont déjà passés à celui de l’investissement et de la co-production, notamment dans l’agriculture et le militaire.

Sur le plan diplomatique, outre ce développement accéléré que connaissent les relations bilatérales depuis trois ans, Netanyahou n’a pas hésité, en juillet dernier, à désavouer son ministre des Affaires étrangères, Éli Cohen, qui avait publiquement lié l’annonce de la reconnaissance israélienne sur le Sahara à la tenue du second Forum du Néguev au Maroc.

Netanyahou sera-t-il à la hauteur de l’enjeu ? 

La coopération sécuritaire, sur fond de menaces terroristes et d’instabilité régionale, focalisera à l’avenir l’attention des deux partenaires. Après une série de visites inédites de l’ancien chef de la diplomatie Yaïr Lapid, de dirigeants du Conseil national de sécurité, et de personnalités israéliennes, dont le ministre de la Défense Benny Gantz, le chef d’État-major Aviv Kochavi et le commandant de l’armée de l’Air Tomer Bar, c’est au tour du Premier ministre, hiérarchiquement détenteur de toutes les compétences, d’ouvrir la concertation directement avec le roi Mohammed VI, chef suprême des Forces armées royales, sur les modalités de la coopération défensive entre les deux pays.

Sur le plan de la gestion de la relation entre Israël et les Palestiniens, Mohammed VI, fidèle à son engagement pour la cause palestinienne, saisira l’occasion de cette rencontre pour signifier à Netanyahou la nécessité, pour Israël, de se défaire de sa perception erronée des Palestiniens comme un « non-partenaire » et de réactiver le dialogue avec l’Autorité palestinienne au plus haut niveau.

Compte tenu de la composition du gouvernement israélien et de sa coalition de soutien, du poids accru acquis, par certains ministres et parlementaires fossoyeurs de paix, d’aucuns pyromanes de vocation, Netanyahou devra offrir à son interlocuteur les gages d’une démarche crédible et maîtrisée avec l’Autorité palestinienne.

Pays édificateur de paix, en symbiose avec l’autre grande monarchie du monde arabe, l’Arabie Saoudite, le Royaume du Maroc pourrait également jouer son rôle naturel d’intercesseur et de facilitateur entre Riyad, Israël et les Palestiniens. Vaste projet qui exigera de Netanyahou de s’élever à la hauteur de l’enjeu ! Il s’agira pour lui d’éviter les dérives et les provocations avec les Palestiniens, en intensifiant les mesures de confiance symboliques et pratiques avec l’Autorité palestinienne. Il lui faudra se comporter en homme d’État.

À quoi s’attendre donc d’une prochaine rencontre entre Mohammed VI et Netanyahou ? 

Un renforcement de l’axe Rabat-Tel Aviv-Washington est certain, celui-ci comprenant déjà d’autres partenaires régionaux. Sur le plan des alliances, la proximité d’un accord israélo-saoudien, adossé à un nouvel arrangement sécuritaire et militaire américano-saoudien, va prolonger l’axe États-Unis-Maroc-Israël vers Riyad via Le Caire, en incluant les émirats du Golfe.

Si, hier, l’existentiel guidait Marocains et Israéliens dans leur relation, puis la coopération sécuritaire et militaire, aujourd’hui, il faut y ajouter le développement des affaires, de la coopération économique et le containment de l’Iran. En ce sens, au vu des intérêts de la stabilité et de l’intégration régionales vivement souhaités par les parties marocaine, américaine et certains de leurs alliés, Mohammed VI dispose d’importants arguments pour convaincre Netanyahou d’évoluer sur le dossier palestinien.

Cela ne se fera pas sans peine : Netanyahu dispose actuellement de partenaires gouvernementaux opposés à toute concession territoriale, tandis que l’opposant Yaïr Lapid, et une partie de l’establishment sécuritaire israélien, sont opposés au volet du nucléaire civil saoudien de l’accord actuellement en négociations dans les coulisses diplomatiques.

Mohammed VI et Netanyahu peuvent faire l’histoire

Mais, même si cet objectif régional ambitieux ne devait être atteint que partiellement, la relation bilatérale offre à elle seule une marge de progression non négligeable : le passage, au niveau diplomatique, de bureau de liaison à celui d’ambassade de part et d’autre, ainsi que la finalisation d’accords de libre-échange et de protection des investissements.

La visite au Maroc, venant après la reconnaissance sur le Sahara, constituera un événement important pour Netanyahu, le roi Mohammed VI, Israël et le Maroc.

Netanyahou et Israël ouvrent une brèche dans leur isolement diplomatique actuel et Mohammed VI et le Maroc réaffirment la pertinence de leur politique au Sahara et sur le plan diplomatique en général.

Presque autant que lors de l’Accord tripartite du 22 décembre 2020, cette séquence israélo-marocaine de juillet 2023 ouvre une nouvelle dynamique. Il n’y a aucune raison de douter que celle-ci ne soit pas porteuse de nouvelles de progrès sur le dossier palestinien dans une perspective d’intégration régionale incluant la Cisjordanie, Gaza et l’Autorité palestinienne. Les intervenants sont nombreux mais le désir de paix et de prospérité l’emporte dans la région.

Au terme d’une vie politique bien remplie, Netanyahou est-il prêt à s’engager sérieusement avec les Palestiniens, les Saoudiens et les Marocains pour une paix des braves qui rendrait justice aux Palestiniens, améliorerait la sécurité d’Israël, intégrerait mieux son pays dans son environnement régional et lui ouvrirait les portes de la coopération avec l’Arabie saoudite et d’autres demain ? Ce sera tout le challenge de Mohammed VI, sachant que Netanyahou a déjà rencontré Mohamed Ben Salman en novembre 2020.

37 ans après la rencontre entre Hassan II et Shimon Peres, il ne fait aucun doute que la réception de Netanyahu par Mohammed VI est aussi liée à des progrès sur le dossier palestinien. On se souvient de la déception de Hassan II après sa rencontre avec Shimon Peres en juillet 1986. Au cours de sa longue vie politique, Benjamin Netanyahu a souvent démontré qu’il était capable de trancher et d’être audacieux contrairement à ce que la justice et son opposition parlementaire lui reprochent. C’est certainement ce que beaucoup attendent de lui aujourd’hui sur le dossier de l’occupation et des Palestiniens, et de l’intégration régionale. Netanyahou et Mohammed VI peuvent faire l’histoire.

Yehuda Lancry est ancien maire de Shlomi (Nord) et ancien vice-président de la Knesset. Également ancien ambassadeur d’Israël à Paris et aux Nations unies, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le Messager meurtri qui raconte son expérience diplomatique et des évènements plus personnels. Il préside la Chambre de commerce et d’industrie Israël-Maroc dont le siège est à Tel Aviv.

Jamal Amiar, journaliste, professeur et formateur en communication, il est l’auteur du récent Le Maroc, Israël et les Juifs marocains; culture, politique, diplomatie, business et religion (2022); son prochain ouvrage, Le Maroc et les Palestiniens, est à paraître en 2024. Il vit au Maroc. www.jamal-amiar.com

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