UN ARTICLE DE JACQUES BENDELAC. La situation sociale est alarmante en Israël et ce n’est pas seulement pour cause de réforme judiciaire ; la criminalité explose et ravive les tensions judéo-arabes.

Ailleurs, les autorités auraient déclaré l’état d’urgence depuis longtemps mais pas en Israël ; lorsque les victimes sont principalement des citoyens arabes, la tendance à la banalisation de la violence se renforce.

Pourtant, l’heure est grave : depuis le début de l’année, plus de 100 Arabes ont été tués à la suite d’actes criminels, trois fois plus que durant la même période de l’an passé.

En 2023, les citoyens arabes représentent 21% de la population israélienne mais 90 % des meurtres. Des chiffres qui auraient dû préoccuper davantage le gouvernement israélien et l’inciter à agir rapidement ; or celui-ci reste absorbé par la préparation d’une réforme judiciaire et empêtré dans des divisions internes.

Ce n’est que la semaine dernière que le Premier ministre Benyamin Netanyahou a rencontré les députés arabes pour les entendre et réfléchir à un plan d’action pour endiguer le crime organisé. Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir n’a pas été de reste : il a annoncé la nomination d’un commissaire en charge de la lutte contre la violence dans la société arabe.

Banalisation du crime

Certains verront un lien direct entre la réforme judiciaire et l’explosion de la criminalité ; des hauts responsables de la police ont attribué l’augmentation des meurtres au fait que de nombreux policiers sont affectés aux manifestations contre la réforme du système judiciaire.

L’explication est un peu simple ; elle vise surtout à cacher la responsabilité de la police israélienne qui a perdu le contrôle de la situation et semble incapable d’endiguer la vague d’actes criminels qui déferle sur le pays.

Lorsque les victimes sont majoritairement des citoyens arabes, criminalité et terreur se confondent aux yeux de nombreux Israéliens.

Lorsqu’un député jordanien est pris la main dans le sac en Israël avec 200 pistolets et fusils dans sa valise diplomatique, la criminalité devient politique.

L’impuissance des autorités israéliennes se confond alors avec la banalisation du crime. « Les Arabes s’entretuent, c’est leur nature, c’est la mentalité des Arabes » ; ces propos tenus récemment par le chef de la police israélienne à la suite d’un meurtre perpétré au sein de la société arabe en disent long sur l’attitude de la police face à la criminalité dans le secteur arabe.

Choc de culture

Il est vrai que le choc des cultures peut expliquer de nombreux actes criminels qui secouent la communauté musulmane d’Israël.

Une structure familiale traditionnelle, l’honneur de la famille, le pouvoir patriarcal, le faible rôle de la femme, les divisions claniques : ces caractéristiques de la société arabe sont autant de facteurs à l’origine d’actes criminels comme crimes d’honneur, vengeances familiales et règlements de comptes.

La criminalité arabe est aussi, et surtout, le symptôme d’une crise des valeurs associée à une crise morale et identitaire qui affectent une société tiraillée entre tradition et modernisme.

Soixante-quinze ans de cohabitation judéo-arabe n’ont pas suffi à atténuer les différences de culture. Désormais, la violence fait partie de la vie quotidienne de l’Israélien : sur les routes, dans les hôpitaux, les commerces et autres lieux publics, les altercations se transforment vite en actes de violence qui font morts et blessés.

Des mesures d’exception

À situation d’urgence, mesures d’urgence : pour lutter contre les groupes criminels, le gouvernement israélien devrait instaurer l’état d’urgence sécuritaire pour une période déterminée.

Cette mesure exceptionnelle permettrait notamment d’affecter de nombreuses forces de police à la lutte contre la criminalité, à la collecte des armes de contrebande et à des arrestations préventives qui favoriseraient le retour de la sécurité dans les rues.

Or face à l’explosion des actes de criminalité depuis le début 2023, le gouvernement israélien n’a fait que des promesses et des déclarations tonitruantes ; le budget de l’Etat pour l’année en cours vient juste d’être adopté et les ministres ont longtemps improvisé avec les moyens du bord.

En attendant de pouvoir mettre sur place une garde nationale destinée à restaurer la gouvernance dans les rues des villes et villages du pays, le ministre de la Sécurité nationale encourage l’autodéfense : les Israéliens qui détiennent un permis de port d’arme sont incités à sortir armés et la délivrance des permis vient d’être facilitée.

Les racines du mal

Après l’urgence, il faut s’attaquer aux racines du mal : le chômage et le désœuvrement qui frappent beaucoup d’Arabes sont à l’origine de la plupart des actes de violence et de criminalité.

En 2023, les groupes mafieux liés à des clans familiaux n’ont aucun problème à recruter des jeunes Arabes désœuvrés et attirés par l’appât du gain, pour réaliser des actes de violence.

La réduction de la violence et de la criminalité passe aussi par une meilleure intégration de la jeunesse arabe à la société israélienne ; en investissant massivement dans l’emploi, l’éducation, la formation professionnelle et les infrastructures, l’Etat renforcera le sentiment d’appartenance des Arabes à la société israélienne et les éloignera de la violence.

D’ailleurs, les programmes d’aide publique ne manquent pas ; sous les gouvernements Netanyahou (2015) et Bennett (2021), des plans de développement en faveur de la société arabe ont été adoptés et des fonds importants débloqués, mais les résultats tardent à venir…

à propos de l’auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : « Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
Comments
Partager :