Israël : Crise sécuritaire, la conjonction de tous les dangers, par Raphaël Jerusalmy

Raphaël Jerusalmy

Ancien officier du renseignement militaire israélien.

Après l’adoption, par la Knesset, ce 24 juillet, de la loi sur « la clause de raisonnabilité », plusieurs milliers de réservistes volontaires de Tsahal menacent de ne plus servir dans leurs postes opérationnels ou de ne pas se rendre aux séances d’entraînement de leurs unités, et ce jusqu’à nouvel ordre.

Peu importe de savoir si et quand ils mettront cette menace à exécution. Et peu importe de savoir dans combien de jours ou semaines leur aptitude au combat diminuera. Le dommage commis est d’ores et déjà énorme et prendra, de l’avis des généraux eux-mêmes, des années à se réparer.

Sur le plan interne, tout d’abord, la sonnette d’alarme tirée par les chefs de Tsahal, mais aussi du Mossad et du Shin Beth, n’a pas été entendue par le gouvernement actuel. Lors de la dernière réunion du cabinet de sécurité, également en date du 24 juillet, le directeur de l’Intelligence militaire et le commandant des opérations de Tsahal ont averti de la baisse alarmante du niveau de dissuasion et du risque d’une diminution de l’aptitude combattante à court et moyen terme. Ils ont également évoqué l’inquiétude croissante des officiers, de carrière comme de réserve, et des soldats, quant au fait que l’adoption de cette loi entraînera des risques pénaux et judiciaires à leur égard, puisqu’Israël ne sera plus considéré comme un état doté d’un système judiciaire indépendant, ni adéquat.

La nation ne pourra plus défendre les défenseurs de la nation… Qui n’ont pas été écoutés. Pas plus que le chef de l’Etat-Major de Tsahal qui, au bout de quatre jours de vaines tentatives, n’obtiendra audience auprès du Premier Ministre qu’après le vote de ladite loi.

Si le chef de l’armée israélienne a tenu a parler directement et personnellement au chef de l’Etat, et non par le truchement du ministre de la Défense, c’est parce que le haut commandement militaire n’a plus confiance en ce ministre dont le rôle traditionnel est pourtant de représenter l’armée au sein de l’arène politique. Pire encore, l’atteinte a été portée à l’image de Tsahal via des insultes fusant de la Knesset, mais aussi par des moqueries émanant du Premier ministre. Le chef des armées a dû spécifiquement requérir, lors de son entretien avec Benjamin Netanyahou, que cessent ces invectives.

En tant qu’armée du peuple, Tsahal est l’ultime bastion d’un consensus. La dernière vache sacrée. L’immense majorité des citoyens respecte et admire les défenseurs de la nation. Mais ces défenseurs sont eux-mêmes des citoyens. Et non des robots. Ils ont une âme et conscience et chacun son opinion. Il est inutile, à ce stade, de les juger. De savoir si ces objecteurs de conscience ont tort ou raison. Il y a là un phénomène regrettable à traiter avant qu’il ne soit trop tard. Déjà, cette remise en question se répand parmi les rangs des conscrits et chez les officiers de carrière. A noter, un net ralentissement de la reconduction des contrats de service dans l’armée de métier.

Le plus grave et le plus difficile à réparer, c’est d’abord la perte de cohésion. La fissure dans ce qui cimente les troupes, c’est-à-dire l’esprit de corps et d’équipe, la confiance et l’unité fraternelle des combattants. Et ensuite, le baisse du niveau de motivation. Ni la technologie la plus avancée, ni les entraînements les plus intenses ne suffisent, si la motivation manque. Une motivation qui, jusqu’à présent, est la véritable supériorité de Tsahal sur les armées ennemies.

Et l’ennemi se réjouit de cet affaiblissement possible, ou du moins apparent, du redoutable adversaire sioniste. Il ne faut pas oublier que la position stratégique d’Israël ne dépend pas uniquement de ses capacités militaires. Il y a aussi la profondeur économique et la capacité à soutenir l’effort de guerre. Or, on constate une fuite des capitaux, des investisseurs et des start-ups qui menace l’économie. Sans compter l’ombre d’une dégradation de la note de crédit qui plane désormais sur le pays.

Au plan international, les différents accords et normalisations avec des pays de la région se voient mis à mal du fait de déclarations intempestives de certains politiciens israéliens. Mais le plus désolant, c’est évidemment le refroidissement des relations avec les Etats-Unis. Et il ne s’agit pas là uniquement d’un déboire diplomatique. Il est important de savoir que Washington observe des critères très stricts quant à la fourniture d’armement ultrasophistiqué à des pays jugés totalitaires ou en passe de le devenir.

Le chef du Mossad a dit cette semaine: « Si la situation atteint une crise constitutionnelle, je serai du bon côté ». Il prône donc l’expectative. Tant que l’on peut se la permettre. Et que les forces de défense, de police et de sécurité parviennent à résister aux ingérences de personnes non qualifiées, tels que messieurs Ben Gvir et Smotrich… Si jamais l’un d’eux était nommé ministre de la Défense, ce ne serait pas que la réserve qui se rebifferait. Mais tous les généraux de Tsahal pour protéger l’armée. Ce que n’a pas fait l’actuel ministre, Yoav Gallant, choisissant la politique plutôt que la défense et la sécurité… Pour une loi qui ne justifie aucunement la précipitation avec laquelle elle a été votée. Alors qu’il y a urgence, pour de bon, par ailleurs.

Malgré tout cela, Tsahal est loin d’être affaibli au point où le voudrait ses ennemis. Il demeure une puissance militaire qui n’a pas son égale dans la région. Si, demain, une menace de guerre se précisait, tous les soldats et officiers, sans exception, rejoindront leurs unités et assureront sans hésiter la défense du pays, quelle que soit leur opinion politique. Et la raison en est simple. Le chef de l’Etat-Major, le général Herzi Halévi l’a déclaré la veille même du vote qui mène les réservistes à la contestation : « Sans armée forte et unie, Israël ne survivra pas comme Etat. »

I24NEWS.

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