EDITORIAL DE DANIEL HAÏK. Netanyahou a de bonnes raisons d’hésiter : soit il continue à clamer son innocence, soit il accepte un accord de plaidoyer revu à la baisse
C’est un véritable tremblement de terre que la chaine 13 de la télévision israélienne a provoqué ce jeudi soir en révélant la tenue, il y a quelques jours, d’une réunion à huis clos organisée à l’initiative des trois juges du tribunal de district de Jérusalem qui qui président le procès-fleuve de Benjamin Netanyahou.
Lors de cette réunion, en présence des représentants du Parquet (partie civile) et des avocats de la défense (ceux du Premier ministre), la présidente du tribunal, Rivka Friedman-Feldman, a adressé une mise en garde ferme aux avocats du Parquet: « Vous allez avoir le plus grand mal à prouver le chef d’accusation de corruption dans le dossier 4000, dit dossier Bezek-Walla. Le bien de l’Etat vous oblige à parvenir à un accord de plaidoyer », a affirmé la présidente.
En quelques mots, Rivka Friedeman-Feldman et ses deux assesseurs ont porté un coup très dur, peut-être même fatal, au Parquet israélien et à sa crédibilité. Voici pourquoi :
Carton jaune: Cette mise en garde intervient après l’audition de tous les témoins de la partie civile y compris les 3 témoins à charge Nir Heffetz, Shlomo Filber, et Ari Harow. Des témoins qui, pour le Parquet, devaient tous consolider les chefs d’accusation contre le Premier ministre, en particulier dans le dossier 4000. Cela signifie très clairement que les juges n’ont pas été convaincus par les témoignages qu’ils ont entendus. Et donc, avant même que les témoins de la défense ne se présentent à la barre pour abonder dans le sens de Netanyahou, ces juges adressent un solide carton jaune à la partie Civile et lui disent : « Nous ne pourrons pas condamner Netanyahou pour corruption ! ». Beaucoup d’Israéliens clairvoyants l’avaient déjà compris, en particulier en entendant les témoignages des trois témoins à charge qui ont détaillé les moyens de pressions qu’ils ont subi de la part du Parquet pour lui offrir « la tête de Netanyahou », comme l’un d’eux l’a confirmé.
Ran Nizri avait raison : dans les 3 dossiers, 1000, 2000 et 4000, le seul renfermant un chef d’accusation est le dossier 4000. Les autres ne parlent que de fraude et d’abus de confiance. Ceux qui suivent de près la procédure contre Netanyahou savent qu’au sein même du Parquet, les juristes étaient, d’emblée, partagés quant à l’accusation de corruption dans le dossier 4000. Certains estimaient qu’il fallait inculper Netanyahou de corruption dans les 3 dossiers. D’autres, comme l’un des hommes forts du Parquet à l’époque, Ran Nizri estimaient qu’il serait impossible de prouver la corruption dans aucun des dossiers. Finalement, sous la pression du Procureur général et grand artisan des dossiers contre Netanyahou, Shaï Nitzan, le conseiller juridique de l’époque Avichaï Mendelblit a « coupé la poire en deux » et a inculpé Netanyahou de corruption uniquement dans le dossier 4000 ! Il est désormais évident que Ran Nizri avait raison. Au passage, Ran Nizri qui était le plus brillant des très hauts fonctionnaires du Parquet aurait mérité d’être l’actuel conseiller juridique du gouvernement. Mais son positionnement trop « soft » dans les dossiers Netanyahou lui a porté préjudice et l’a écarté du poste. Et c’est donc une inconnue, Gali Baarav-Miara qui a été désignée par l’ancien ministre de la Justice Gideon Saar. Nous reviendront à eux dans quelques instants.
La pression des juges s’intensifie
Les juges du tribunal de district de Jérusalem appellent donc désormais les deux parties à parvenir à un accord de plaidoyer, et ils précisent « pour le bien de l’Etat ». Une formule « non-juridique » qui est un aveu : les juges ne vivent pas dans une tour d’ivoire. Ils mesurent parfaitement l’impact dramatique que ce procès a sur l’ensemble de la population israélienne. Ils comprennent qu’il y a un lien direct ou indirect entre l’effervescence autour de la réforme judiciaire et le procès Netanyahou. Ils savent également que l’issue d’un tel procès est encore lointaine. Ils sont conscients que s’ils condamnent le Premier ministre, cela fera bondir ses supporters et que s’ils l’acquittent cela fera bondir ses opposants ! Ils en appellent donc au bon sens des deux parties afin de trouver un arrangement qui permette d’apaiser les tensions.
– Il faut souligner qu’il y a plusieurs semaines, ces mêmes juges avaient adressé, plus discrètement, une recommandation à la conseillère juridique Galit Baarav Miara en lui « suggérant » d’entamer une procédure de médiation dans le but de mettre fin au procès. Mais la conseillère n’avait, semble-t-il, pas compris l’appel du pied des trois juges, et elle avait repoussé cette suggestion. Désormais, on estime que Galit Baarav-Miara pourrait modifier son approche, ne serait-ce parce que son mentor, Gideon Saar, a immédiatement réagi aux révélations de Channel, en se prononçant en faveur d’un accord de plaidoyer.
La grande inconnue: que va faire Benyamin Netanyahou?
Rappelons que juste avant le départ de Mendelblit, le Premier ministre avait repoussé une proposition de compromis parce qu’elle maintenait le fameux « sceau de l’infamie »(Kalone, en hébreu) qui aurait empêché Netanyahou de revenir dans la vie politique. Cette fois, le Premier ministre est en position de force face à un Parquet qui est maintenant dos au mur. Netanyahou a de bonnes raisons d’hésiter : soit il continue à clamer son innocence et donc laisse le procès se prolonger pendant encore quelques années avec une probabilité qu’il soit tout de même condamné pour fraudes ou abus de confiance, à une peine de travaux pour la collectivité, sans incarcération. Soit il accepte un accord de plaidoyer revu à la baisse par le Parquet, sans « sceau de l’infamie ». On devrait le savoir assez vite, après le témoignage, dimanche, dans le dossier 1000, du milliardaire israélien Arnold Milchian qui a fourni le couple Netanyahou en champagne et cigares.
Traduire les responsables en justice
Une chose est sure: l’information de la chaine 13, qui, comble de l’absurde, a toujours été à la pointe de la campagne anti-Netanyahou(!), n’a pas surpris les supporters inconditionnels de Bibi. En apprenant la nouvelle, ils ont entonné le fameux refrain de Netanyahou : « Il n’y aura rien car il n’y a rien ». Pour eux, cela ne fait plus aucun doute : le Premier ministre a bel et bien été victime d’une machination d’envergure ourdie par le puissant Parquet israélien, une partie de la police et même, par une partie de la classe politique, afin d’écarter du pouvoir par voie de Justice un Netanyahou qui restait indétrônable dans les urnes. Pour eux, l’avertissement des juges est un acte d’accusation contre Shaï Nitzan, Avihaï Mendelblit et l’ex-patron de la police Rony Alcheich. Ces derniers doivent rendre des comptes : pour ces années d’enquêtes policières et judiciaires, pour les dizaines d’enquêteurs qui se sont focalisés sur les dossiers du Premier ministre, pour les dizaines de millions de shekels qui ont été prélevés des deniers publics depuis 2017 pour tenter d’inculper, puis de condamner Netanyahou et, même affirment certains, pour les cinq consultations électorales provoquées indirectement par leur acte d’accusation !
Pour l’ensemble des citoyens israéliens, la mise en garde des juges confirme d’abord l’intégrité de ces derniers. Et c’est en soi une bouffée d’air pur. Mais cet avertissement met le doigt sur les maux graves dont souffrent des pans entiers de la justice israélienne, notamment la politisation du Parquet, du bureau du procureur général et du conseiller juridique. Et au-delà, ces révélations permettent de mieux comprendre pourquoi tant d’Israéliens aspirent à une véritable réforme du système judiciaire israélien, que ce soit via le programme de Yariv Levin ou via d’autres projets plus consensuels.
DANIEL HAÏK.