Tsahal pour les Israéliens, c’est d’abord l’armée du peuple. Le symbole est fort, c’est d’ailleurs ainsi que l’avait voulu David Ben Gourion dès la création de l’Etat. Ce qui passait donc, évidemment, par un service militaire obligatoire.
Sauf que, dès 1948, il a fallu prendre en compte les étudiants de yéchiva. A l’époque, Ben Gourion accepte la demande des rabbins du courant orthodoxe et accorde un sursis aux jeunes gens qui peuvent justifier d’études religieuses, un sursis qui se transformait ensuite en exemption complète de service militaire. Mais aux débuts de l’Etat, la mesure concernait environ 400 personnes par an. Depuis, la démographie a suivi son cours et aujourd’hui, ce sont en moyenne 11.000 jeunes gens ultra-orthodoxes qui arrivent chaque année à l’âge de 18 ans, celui de la conscription.
Et cela fait déjà une vingtaine d’années que le problème a commencé à se poser et qu’on a cherché des formules pour intégrer ce segment de population dans les rangs de Tsahal ou au moins pour encadrer leur exonération de service militaire.
Après les dérogations personnelles, on a essayé de confier aux directeurs de yéchiva en fonctions de quotas de conscription, le choix de décider quels élèves poursuivraient leurs études et quels élèves iraient à l’armée.
Mais cela n’a pas fonctionné non plus. Et la Cour Suprême a conclu qu’il fallait régler le problème par une vraie législation. Une loi a été votée en 2014, elle a été invalidée par la Cour Suprême trois ans plus tard. Et depuis, de crise politique en élections anticipées, le problème a été repoussé. Mais cette fois, il n’y a plus le choix, d’autant que les partis orthodoxes qui siègent dans la coalition poussent à une solution rapide.
Dans leur esprit, il faut une exonération définitive et générale de service militaire pour les jeunes gens ultrareligieux, mais aussi leur permettre d’entrer dans la vie active, sans attendre l’âge de 26 ans, ce qui est le cas aujourd’hui s’ils ne font pas l’armée.
Le projet à l’étude, et qui devrait être présenté à la Knesset dans les prochaines semaines, propose de ramener l’âge d’exemption de service militaire à 23 ans, ce qui permettrait aux jeunes ultra-orthodoxes d’entrer plus tôt sur le marché du travail, sachant qu’à cet âge, ils sont souvent déjà mariés et pères de famille.
Seulement, que 11.000 jeunes gens soient libérés des obligations militaires, c’est bien, mais que deviennent tous les autres, la majorité des jeunes Israéliens, qui eux n’ont pas le choix ? Pour réduire cette inégalité, le projet de loi prévoit justement une aide financière aux soldats pendant et après leur service. Sauf que cela risque finalement de creuser les disparités et de porter atteinte au principe d’égalité.
Compenser financièrement les jeunes qui font leur service militaire ne règle pas le fait qu’une partie de leurs concitoyens du même âge seront exemptés de service, du seul fait de leur mode de vie. Il y a donc un risque de système à deux vitesses et un véritable dilemme, pour l’ensemble de la société israélienne comme pour son armée. Si l’on se fonde sur le principe initial, c’est tout le peuple qui doit porter à égalité le fardeau de la défense du pays.
Mais Tsahal sait aussi qu’il lui serait extrêmement difficile d’adapter son fonctionnement à la très stricte pratique des ultrareligieux. Le système antérieur avait l’avantage de cacher la poussière sous le tapis. Maintenant, il va falloir trouver une solution sinon équitable, du moins acceptable. Et le débat ne fait que commencer.
Pascale Zonszain