EDITORIAL. JEAN CORCOS. Trois jours après l’élection du 1er novembre, Jacques Benillouche titrait son analyse à chaud des résultats « Israël en route vers une théocratie ». Un titre qu’on pouvait juger réducteur et provocant, comme celui choisi pour le mien. Mais sur le fond, alors que le nouveau gouvernement entré en fonction début janvier n’a pas encore fait voter de lois impactant fortement le quotidien de la population, force est de constater que cette crainte est largement partagée, et cela pour des raisons tout à fait objectives.

Les seuls alliés de Benjamin Netanyahu pour assurer sa survie politique sont cinq partis religieux : deux partis ultra-orthodoxes ashkénazes ; un parti orthodoxe séfarade – le Shas d’Aryeh Deri, délinquant multirécidiviste et dont la nomination comme ministre a fait l’objet d’un arrêt négatif de la Cour Suprême ; le parti kahaniste et suprémaciste d’Itamar Ben Gvir, et le parti « messianiste » de Bezalel Smotrich – dont le chef spirituel soutient l’établissement d’une théocratie – , associés dans une même liste pour l’élection. Électron libre élu avec ces derniers, l’homophobe Avi Maoz et son micro parti Noam, dont le quotidien Haaretz vient de publier un portrait inquiétant, que Netanyahu a nommé vice-ministre « chargé de l’identité nationale juive d’Israël ».

Quelle vision des femmes ont en commun ces différentes « nuances de noir » ? Comme dans toutes les religions monothéistes, l’idéal féminin n’est pas associé à un quelconque pouvoir dans le Judaïsme. Certes, le patriarcat n’est pas une invention religieuse. Mais la « loi divine » a longtemps accompagné une domination masculine. Les religions ont longtemps freiné toute évolution ; et la libération du corps féminin a été le fruit d’une longue lutte, avec par exemple le droit à l’avortement qui remonte seulement à une cinquantaine d’années en France ; ou la révolte des Iraniennes, qui au bout de 40 ans descendent dans la rue en refusant de sortir voilées.

Cette domination s’affirme dans l’exercice du culte, avec toute la symbolique associée : la religion catholique s’articule hiérarchiquement sur un Pape et des clergés tous masculins ; l’islam réserve la portion congrue aux femmes, en termes de statut personnel ou d’exercice du culte ; et le Judaïsme orthodoxe – celui des origines, et avant la naissance des courants libéraux au 19e siècle – a sévèrement codifié les droits des femmes, alors même que le récit biblique mentionne des héroïnes ayant joué un rôle déterminant dans l’histoire juive, de Deborah qui fut Juge et Prophétesse à la Reine Esther.

Deux exemples marginaux, mais frappants de discriminations : les autorités rabbiniques ont décrété le chant de la femme impur (la voix exprimant la nudité, la halakha stipule qu’une femme ne doit pas chanter en présence d’hommes, de peur de les détourner de la prière) ; avec la même notion d’impureté et de tentation, les médias ultra-orthodoxes refusent de publier des photographies féminines, et cela a été particulièrement abject quand ils ont mentionné récemment des victimes du COVID.

Une analyse de la nouvelle Knesset révélait un recul indéniable de la proportion de femmes parmi les députés : elles étaient 35 dans l’Assemblée sortante, elles ne sont plus que 29 dans la nouvelle. Si on rapporte ces chiffres au total de sièges (120), elles représentent aujourd’hui moins d’un quart des élus, alors que par comparaison en France le pourcentage d’élues est de 37% – et ce n’est pas du tout un record dans l’Union européenne.

Mais si on examine plus en détail l’affiliation des députées israéliennes, le constat est encore plus accablant : elles sont seulement 9 appartenant à la nouvelle majorité, et 20 à l’opposition. Pour rappel aussi, ce qui doit être vécu comme une gifle dans une bonne partie de l’électorat féminin : deux dirigeantes de partis – Ayelet Shaked pour le parti de droite Yamina et Zehava Gal-On pour le parti de gauche Meretz – ont disparu des bancs de la Knesset : la faute au mode de scrutin qui, du fait d’un seuil à 3,5% des voix, a éliminé de l’Assemblée leurs formations. Faut-il rappeler, aussi, que les alliés orthodoxes de Netanyahu interdisent toutes candidatures féminines dans leurs listes ?

Ceci ne pouvait que se refléter dans la composition du nouveau gouvernement, par comparaison au précédent. Voici la liste des ministres femmes du cabinet Netanyahu (on relèvera au passage certains intitulés loufoques) : cinq du Likud, Miri Regev aux transports, Galia Gamliel au « renseignement », Idit Silman à l’environnement, Gadit Distel Atbaryan à la « diplomatie publique » et May Golan « rattachée au Premier ministre » ; et deux ministres du parti de Smotrich, dont Orit Struck chargée des « missions nationales » et qui a tout de suite frappé très fort en suggérant que des médecins refusent de soigner des patients « à l’encontre de leurs convictions religieuses ». Soit 7 sur 37 au total, alors qu’elles étaient 8 sur 26 dans le précédent cabinet. À noter, enfin, que le pourcentage actuel est tout à fait indigne au regard des normes actuelles dans les pays démocratiques.

Des femmes donc qui peuvent légitimement se sentir marginalisées dans la représentation politique, alors même qu’elles sont montées en responsabilités dans tous les secteurs de la société civile, de l’économie et aussi dans l’armée, institution vitale pour un pays dont la sécurité est toujours menacée. Faut-il rappeler aussi que cette ascension ne date pas d’hier ?Israël a été un des premiers États dirigés par une femme Premier ministre, Golda Meïr.

Longtemps avant que les personnels des armées se féminisent à travers le monde, Tsahal était fier de faire défiler ses soldates, soumises au service militaire obligatoire comme les jeunes appelés de 18 ans ; mais aujourd’hui, elles sont en plus admises dans quasiment toutes les unités combattantes ; et elles sont de plus en plus nombreuses dans les différentes unités de la police.

Comment beaucoup d’entre elles ne seraient pas révoltées, en pensant aux dirigeants du Judaïsme ultra-orthodoxe, qui ont obtenu par leur chantage que Netanyahu dispense les élèves des Yeshivas de faire leur service militaire, alors qu’elles risquent leur vie pour assurer la sécurité de grossiers personnages les stigmatisant comme « impures » ?

Par une amère ironie, alors que Yair Levin, ministre de la Justice du nouveau Gouvernement, veut faire voter dans les plus brefs délais une série de lois destinées à détruire l’indépendance de la Justice et tout recours possible auprès de la Cour suprême – j’y reviendrai dans un autre article -, se dressent contre lui deux femmes qui ont encore les plus hautes responsabilités : Esther Hayut, présidente de la Cour, et Gali Baharav-Miara, procureure générale de l’État.

D’une manière plus concrète pour le statut des femmes et leur défense contre les discriminations, on peut noter déjà une information révoltante si elle se concrétisait : « Israël devrait ne pas adhérer à la Convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences envers les femmes.

C’est en effet une demande du parti de Bezalel Smotrich, à laquelle Benyamin Netanyahu a décidé d’accéder et qui figure dans l’accord de coalition. Le ministre sortant de la Justice, Gideon Saar, avait fait pression pour qu’Israël adhère au traité international de 2011 signé par 45 pays et l’Union européenne, qui oblige les gouvernements à adopter une législation permettant de poursuivre les violences domestiques et les abus similaires ainsi que le viol conjugal et les mutilations génitales féminines. » lit-on dans le Nouvel Obs.

Suzan Weiss a écrit un long et très documenté article sur son blog dans le Times of Israël, intitulé « Quatre raisons pour lesquelles la clause dérogatoire devrait terrifier les femmes ». Elle a fondé l’ONG «Justice pour les femmes », et suit de près ce qu’ont été les actions – et les limites – de la Cour Suprême pour leur défense.

Extrait du début : « La « clause dérogatoire » proposée, un mécanisme qui permettrait à la Knesset d’Israël d’annuler une décision de la Cour suprême jugeant une loi inconstitutionnelle, est mauvaise pour nous, Israéliens – hommes, femmes, minorités, personnes de quelque orientation sexuelle que ce soit. C’est particulièrement mauvais pour les femmes juives lorsque leurs droits sont contestés au nom de la religion, de Dieu et du peuple juif. »

Suzan Weiss donne des exemples précis pour quatre domaines.

1° La ségrégation sexuelle. En 2011, la Cour a jugé que la ségrégation coercitive dans les bus publics était une violation de l’égalité et de la dignité. Cela a pris quatre longues années ;

2° La discrimination au travail. La Cour Suprême a accepté la plupart des requêtes réclamant l’égalité des chances en matière d’emploi, elle est parvenue aussi à ouvrir aux femmes la voie pour siéger dans les conseils religieux municipaux, ou soumettre leur candidature à des postes administratifs clés au tribunal rabbinique d’État ;

3° Les services religieux. Normalement ils devraient pouvoir être proposés à tous les citoyens sans discrimination, alors que le rabbinat maintient son refus d’admettre dans les mikvehs – bains rituels – des femmes célibataires ;

4° Les droits de propriété des femmes mariées. Pour rappel, la Halakha (loi juive) considère qu’il n’y a pas de propriété commune dans un mariage, tous les biens et revenus appartenant exclusivement à son mari. La Cour Suprême a pu faire pression pour que la loi civile s’applique exclusivement, mais demain un retour en arrière n’est pas du tout exclu.

Un hasard de calendrier a fait que je fasse une lecture détaillée d’une note récente de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) – « Maghreb : l’impact de l’islam sur l’évolution sociale et politique » -, en vue de l’interview de son auteur, Madame Razika Adnani.

Elle relève un impressionnant recul des libertés, surtout en Tunisie où la nouvelle constitution de juillet 2022 supprime toute référence aux droits de l’homme, et en Algérie où la liberté de conscience n’est même plus reconnue. Elle relève en parallèle le retour en force de l’islam, dans les constitutions, mais aussi dans le cadre juridique et note que « le renforcement du discours religieux a fait reculer le droit.

Des individus de plus en plus nombreux prétendent imposer les lois de la religion et l’autorité des traditions, même quand elles vont à l’encontre de la loi, convaincus qu’elles sont plus légitimes, qu’il est de leur devoir de croyant « d’ordonner le convenable et interdire le blâmable ». Bien entendu, tout ceci s’accompagne d’un recul des combats féministes, et de la prolifération de signes ostentatoires comme le voile islamique.

Et si ce cauchemar se transposait en Israël, et plus rapidement qu’on ne l’imagine ?

Cet article a été publié le 23 janvier 2023 sur le site « Temps et Contretemps »

à propos de l’auteur
Bénévole au sein de la communauté juive de Paris pendant plusieurs décennies, il a exercé le métier d’ingénieur pendant toute sa carrière professionnelle. Il a notamment coordonné l’exposition « le Temps des Rafles » à l’Hôtel de Ville de Paris en 1992, sous la direction de Serge Klarsfeld. Producteur de 1997 à 2020, sur la radio Judaïques FM, de l’émission « Rencontre » ; après avoir été consacrée au monde musulman pendant une vingtaine d’année, cette série a traité ensuite des affaires internationales. Président délégué de la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF (2009-2019), il a rejoint en 2012, comme nouveau vice président représentant la communauté juive, la « Fraternité d’Abraham » association laïque pour le rapprochement entre Judaïsme, Christianisme et Islam.
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Israël, le dé

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