« Nous sommes nombreux à appeler de toutes nos forces au retrait définitif de ce projet de réforme judiciaire »
« J’ai honte et j’ai peur de ce qu’il se passe en Israël », a écrit la journaliste et présentatrice Anne Sinclair dans une tribune publiée dans le quotidien français Le Monde, dans laquelle elle exprime son « indignation » face aux décisions du Premier ministre Benjamin Netanyahou concernant la réforme judiciaire controversée.
Celle qui soutient la solution à deux Etats, et revendique dans le même temps ses « liens indissolubles » et son « attachement indéfectible à la sécurité » d’Israël, a « honte » de voir le chef du gouvernement israélien « prêt à tout pour échapper aux poursuites judiciaires qui le visent depuis si longtemps, y compris, pour cela, à piétiner le conflit d’intérêts auquel il est soumis. Bref, à s’affranchir des règles élémentaires de la démocratie ! », écrit-elle en ajoutant que « la Knesset a déjà voté une loi qui le rend, lui, quasiment intouchable »: « Faire taire la Cour suprême serait un forfait de plus ».
« J’ai honte de voir qu’on a pu – en Israël même – employer le mot de « pogrom » pour une expédition punitive organisée, fût-ce en représailles d’un horrible double meurtre. « Pogrom », un mot qui pour moi appartient à la martyrologie juive, et dont je n’aurais jamais pu imaginer qu’il puisse désigner un jour une action commise par des juifs contre un autre peuple ! J’ai honte que le ministre des finances d’un pays démocratique ait pu appeler à « raser » un village arabe et qu’il ait pu tenir des propos que l’administration américaine amie a qualifiés de « répugnants » ! Et comment, oui, comment, ce même ministre a-t-il osé dire, à Paris, à la mi-mars, que le peuple palestinien n’existait pas ? J’ai honte comme femme et comme personne », poursuit l’ex-présentatrice de 7 sur 7.
« Je me suis très souvent insurgée contre les régimes où règne un islam fanatique, conduits par des mollahs bornés qui soumettent les femmes à des lois rétrogrades, ou qui poursuivent les personnes LGBT. Je suis aujourd’hui indignée de voir au gouvernement d’Israël des hommes pétris d’un judaïsme d’antiquité, qui voudraient renvoyer les femmes à la maison, qui tiennent des propos homophobes et dégradants, ou qui freinent les mesures obligeant les hommes violents à porter un bracelet électronique, alors que, tous les jours, des femmes sont violentées », souligne-t-elle.
Anne Sinclair affirme avoir « beaucoup de raisons d’avoir honte » mais exprime également sa crainte pour la sécurité de l’Etat hébreu « quand les réservistes refusent de se présenter, quand on craint que le mouvement ne gagne l’ensemble de l’armée, que le ministre de la défense, lui-même très inquiet, appelle à une pause dans l’examen de la loi [la réforme judiciaire voulue par le gouvernement] et qu’il se fait limoger par son Premier ministre pour avoir dit la vérité, on mesure l’ampleur des risques que ce dernier fait courir à son pays ! ».
« J’ai peur quand j’entends le ministre de l’éducation, comme en Hongrie ou en Turquie, vouloir nommer les directeurs de la Bibliothèque nationale, cette institution si éminente de l’Etat d’Israël. Le contrôle sur la connaissance entre les mains du pouvoir politique est toujours une mauvaise action. J’ai peur comme journaliste quand je vois les menaces de couper les fonds publics pour Kan, la télévision publique, parce que le gouvernement trouve qu’elle donne trop de place aux critiques le concernant », soutient-elle.
« J’ai peur comme citoyenne, attachée à l’idée d’une démocratie laïque, d’un gouvernement pieds et poings liés aux nationalistes les plus religieux qui vont transformer le judaïsme − et cela nous concerne nous aussi juifs de diaspora, ô combien ! − en une acception purement religieuse et radicale. J’ai peur enfin, comme le craint le président Isaac Herzog, que le pays ne se fracture et qu’éclate une guerre civile. Israël est donc face à la pire menace qui soit : perdre le sens de sa raison d’être et devenir une théocratie illibérale. La démocratie, ce n’est pas seulement la loi de l’élection, ce sont des principes supérieurs et fondateurs. C’est vieux comme le monde de voir un régime arrivant légalement par la voie électorale et imposer des mesures pour accroître son pouvoir et s’éloigner de la démocratie », avance Anne Sinclair.
Cette tribune n’est pas la première sur le sujet de la réforme judiciaire en Israël. Maurice Lévy, président du conseil de surveillance du groupe Publicis, avait lui aussi exprimé ses craintes et avait appelé Benjamin Netanyahou à « trouver un consensus ».
I24NEWS. COPYRIGHTS.