CULTURE. Basé sur le livre d’Alan Light The Holy or the Broken, le film de Daniel Geller et Dayna Goldfine Hallelujah: Leonard Cohen, A Journey, A song (traduit de façon très réductrice par Hallelujah. Les Mots De Leonard Cohen pour la version française) retrace la vie de Leonard Cohen à travers le prisme de son incroyable Hallelujah.

L’originalité majeure du film réside dans l’angle narratif choisi. Quel fil conducteur plus puissant qu’Hallelujah pour revisiter la biographie de Cohen telle que tous ses fans la connaissent peu ou prou? De l’enfance juive confortable et morne à Montréal, en effleurant le charme de l’île grecque d’Hydra, les femmes qui passent, toute une vie vibre devant nous, au son de cette voix de légende; une vie que Cohen lui-même évoque comme une “présence marginale aux frontières de la scène musicale de ces trente dernières années.”

Ainsi, pas à pas le documentaire relate comment Cohen, «touché, enfant, par l’intensité des paroles entendues à la synagogue […] arracha la Parole divine du ciel et la rendit à nouveau utilisable » (John Cale), réconciliant « sainteté et désir » dans une chanson devenue, pour certains, « un mode d’emploi pour être au monde » (Brandi Carlile).

Le documentaire tisse patiemment des images d’archives, des interviews contemporaines, des enregistrements de conversations avec Larry « Ratso » Sloman du magazine Rolling Stone (« Ratso comprend mon boulot», affirmait Leonard Cohen) et nous laisse découvrir comment Hallelujah est devenue au fil des années et des versions « un être à part entière, avec son existence propre » (Brandi Carlile encore).

Poète et romancier reconnu, Leonard Cohen avait plus de 30 ans quand il débuta sa carrière musicale. Judy Collins, chanteuse de folk américaine, se souvient de lui à ses débuts, fuyant la scène, terrorisé, incapable de chanter et rongé par le doute: « Je ne sais pas chanter, je ne sais pas jouer de la guitare et ce truc, est-ce que c’est même une chanson? » Ces prémices délicates mettent en perspective les dernières images de Leonard Cohen, le jour de son 75e anniversaire en 2008, interprétant magistralement Hallelujah devant 50 000 personnes réunies dans le stade de Ramat Gan, en Israël. Ce n’est pas si mal, finalement, pour une chanson tout simplement refusée par la maison de disques Columbia en 1984.

Il a fallu cinq ans pour écrire Hallelujah. Les nombreux carnets de note de Cohen défilent à l’écran, furtifs fragments de pages, bouts de lignes, preuves des innombrables versions du texte. Cette longue gestation est commentée laconiquement par l’auteur: “Le vieil adage qui dit que la première idée est toujours la meilleure ne marche vraiment pas pour moi”. L’auteur canadien avait des ambitions presque démiurgiques, allant de tentatives formelles en tentatives formelles, désirant ancrer son texte “dans les profondeurs du monde profane”.  Ce monde impénétrable dans lequel, explique Leonard Cohen, “tu tends le poing ou tu dis Hallelujah, j’ai tenté de faire les deux ”

Aux deux tiers du film, un changement d’orbite s’opère, nous éloignant de Leonard Cohen lui-même pour nous présenter (quelques-unes) des trois cents versions répertoriées d’Hallelujah. Ainsi, John Cale revient sur la nécessité pour lui de réécrire des paroles dont la spiritualité initiale appartenait à Cohen seul. Bono rappelle que c’est “la voix angélique” de Jeff Buckley qui permit à la chanson d’accéder à l’universel. Et, en miroir inversé, des images d’un Leonard Cohen moine zen, dépressif sur le Mont Baldy, nous apprenons qu’Hallelujah atteint une renommée mondiale (et des ventes conséquentes, à hauteur de deux millions et demi de copies) en tant que bande-originale de Shrek (dans une version expurgée de toute connotation sexuelle, cela va de soi). Noël 2008: trois versions d’Hallelujah sont respectivement à la première, deuxième et trente-sixième places des charts britanniques, interprétées par la gagnante d’X Factor Alexandra Burke, Jeff Buckley et par Leonard Cohen himself. Shrek, American Idol, X Factor… difficile d’imaginer meilleurs biais pour pénétrer le monde profane!

Quand Leonard Cohen fait référence à Tennessee Williams, nous touchons le cœur du film: “La vie est une pièce plutôt bien écrite, sauf le troisième acte.” Pour le chanteur comme pour la chanson, le troisième acte fut, en fait, extrêmement bien écrit. En 2008, Leonard Cohen commença une tournée époustouflante qui dura cinq ans.

Un succès qui suggère que Leonard Cohen a donné une voix à un public qui ressentait, comme lui, l’impérieuse nécessité de réconcilier dans leurs vies “the holy and the broken”.

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