Jusqu’en 2010. Le Maroc, Israël et les Juifs.

Quel intérêt peut représenter Israël pour le royaume alaouite ? En fait, dans le monde arabe, le Maroc tient une place particulière vis-à-vis de l’Etat hébreu. Très tôt, le royaume chérifien a souhaité jouer un rôle de médiateur entre le pays juif et ses voisins du Moyen-Orient.

Hassan II ou le médiateur de la paix
Dès le sommet arabe de septembre 1965 à Casablanca, le roi Hassan II incite les chefs d’État présents à une « cohabitation paisible » avec Israël sous peine de guerre. Au lendemain de la défaite de la guerre des Six Jours de 1967, le souverain marocain continue à se distinguer par la recherche d’un compromis entre les différentes tendances arabes.

En 1976, Hassan II poursuit ses efforts et facilite le dialogue ainsi que les rencontres secrètes entre Israéliens et Égyptiens au Maroc. A Fès, Moshé Dayan, ministre des Affaires étrangères et Hassan Touhami, vice-Premier ministre d’Égypte, rapprochent leurs positions en vue des accords de Camp David, précédant de quelques mois la visite historique du président Anouar El-Sadate à Jérusalem.
Le Roi reçoit le Premier ministre israélien Shimon Pérès à Ifrane, les 21-22 juillet 1986, afin de tenter une relance du processus de paix. Mais l’entrevue se solde par un désaccord qui n’entame cependant pas les liens entre les deux pays.

En 1994, dans l’euphorie d’après la signature des accords d’Oslo, Hassan II ordonne l’ouverture d’un bureau de liaison marocain à Tel Aviv et d’un bureau de liaison israélien à Rabat. A cette époque, le Maroc est encore parmi les rares pays arabes à avoir des relations formelles et cordiales avec Jérusalem.
Pour marque la reconnaissance de l’Etat hébreu envers les efforts du royaume chérifien, aux obsèques de Hassan II, le 25 juillet 1999, une forte délégation israélienne, conduite par Ehud Barak récemment élu Premier ministre, assiste aux cérémonies.

Mais quels intérêts sous-tendent la diplomatie marocaine dans le dossier moyen-oriental ? Selon certains analystes, jusqu’en 1999, le roi du Maroc utilise le conflit israélo-palestinien tant pour briller sur la scène internationale que pour ériger son pays en interlocuteur incontournable dans le processus de paix au Proche-Orient, profondément convaincu semble-t-il qu’une solution politique reste la seule issue.

Mohamed VI – le changement dans la continuité
En 2000, suite au déclenchement de la seconde Intifada, le Maroc rompt ses relations diplomatiques avec Israël. Mohammed VI, jeune souverain succédant à son père, décide de fermer le bureau de liaison marocain à Tel-Aviv. Toutefois, les liens ne sont pas totalement rompus. Malgré l’effritement ducessez-le-feu, dès 2003, le Maroc cherche à renouer ses relations avec Israël. Des contacts réguliers reprennent au plus haut niveau entre les deux pays. Le Roi Mohamed VI transmet un message aux responsables israéliens leur annonçant sa décision de reprendre des échanges diplomatiques avec l‘Etat hébreu. Une rencontre réunit à Londres le 27 juillet de la même année, les ministres des Affaires étrangères marocain et israélien.

Ainsi, dans la continuité diplomatique de son père, le nouveau roi rencontre lui aussi plusieurs officiels israéliens : le grand rabbin d’Israël Yona Metzger, le leader du parti Travailliste Amir Peretz ou encore le ministre des Affaires étrangères Sylvain Shalom qui entame une visite officielle de deux jours au Maroc, la première effectuée par un responsable israélien dans le Royaume depuis septembre 2000. Cette visite a été soigneusement préparée par des réunions secrètes entre les responsables des deux pays. Le chef de la diplomatie israélienne se dit « convaincu que le Maroc est disposé à jouer un rôle central dans le processus de paix ». Il ajoute « qu’il est temps que le Maroc et Israël rétablissent des relations plus étroites. Nous avons entretenu de bonnes relations jusqu’à il y a trois ans et nous devrions continuer à les renforcer ». Sylvain Shalom pense qu’une médiation du royaume alaouite pourrait faciliter la mise en oeuvre de la ‘‘feuille de route » pour le règlement du conflit israélo-palestinien. Mais peu à peu, le Maroc s’éclipse de ce dossier épineux.

En mars 2005, la télévision publique israélienne affirme qu’un accord de principe est finalement conclu entre Mohammed VI et le vice-Premier ministre de l’époque, Shimon Pérès, à l’issue d’une rencontre lors de la commémoration du premier anniversaire des attentats de Madrid en Espagne. En 2007, le royaume alaouite réitère non officiellement son désir de rétablir ses relations avec l’Etat hébreu. Selon certaines sources, cette offre reposerait sur un échange avec Israël en vue d’un fort lobbying israélien en faveur de la politique de Rabat sur le Sahara Occidental. Lors des discussions entre les deux chefs de la diplomatie, Mohamed Benaïssa et Tzipi Livni, les pourparlers semblent pourtant essentiellement axés sur le conflit israélo-palestinien.

En septembre 2009, le nouveau ministre des Affaires étrangères du gouvernement Netanyahou, Avigdor Liebermann, rencontre lui aussi en secret à New York son homologue marocain, Taïeb Fassi-Fihri, en marge de l’assemblée générale des Nations Unies.

Un mois plus tard, Tzipi Livni, la chef de fil du parti d’opposition Kadima, participe à une conférence économique internationale au Maroc. Le pays avait pourtant décidé d’annuler son invitation aux représentants du gouvernement israélien, notamment à la vice-ministre de l’Industrie et du Commerce, Orit Noked, invalidant à la dernière minute son visa, en signe de protestation contre le plan de construction de 900 logements dans le quartier de Guilo, à Jérusalem. En dépit du boycott marocain, au grand damne du Likoud et des Travaillistes, Livni décide tout de même de participer à l’évènement, deux jours seulement après avoir soutenu à la Knesset la question de Guilo. La chef de l’opposition israélienne est reçue au Maroc comme un chef d’Etat, le gouvernement ayant mis à sa disposition vingt gardes du corps et bloqué la circulation pour l’occasion.

La presse marocaine
Le Maroc possède une presse apparemment plurielle et dynamique qui fait preuve d’une sorte de liberté de ton rare dans le monde arabe. Elle reste néanmoins corsetée par la censure et surtout l’autocensure.
 Selon les différents instituts de recherches sur la démocratie et la liberté dans le monde, le Maroc est considéré comme un pays partiellement libre. Au niveau de la presse, le paysage semble augurer d’une libéralisation à défaut peut-être d’une réelle démocratisation. Aujourd’hui, le Maroc compte 17 quotidiens et 90 hebdomadaires en français et en arabe ainsi que des journaux spécialisés (économie, informatique, famille) et d’une agence de presse – MAP (Maghreb Arabe Presse). Les quotidiens émanent principalement des partis politiques, ce qui ne joue pas en faveur de leur indépendance. La presse hebdomadaire, surtout économique, est peu tournée vers l’international. Cependant, des sujets inattendus sont traités dans les différentes éditions : le sida, la violence à l’égard des femmes, la violence à l’école côté journaux ; l’image du corps dans l’islam, la politique israélienne, la communauté juive ou le colonialisme côté magazines.

La presse étrangère est largement disponible au Maroc tant qu’elle reste dans les limites fixées par les lois du pays. Le Ministère de la Communication accrédite plus d’une centaines de journalistes étrangers. Malgré cette liberté apparente, l’autonomie journalistique reste restreinte. Bien que la Constitution garantisse la liberté d’expression, la loi sur la Presse interdit la critique de la monarchie et de l’islam.

Ainsi, en octobre 2009, les autorités marocaines ont bloqué la diffusion au royaume du quotidien français Le Monde en raison de caricatures du dessinateur Plantu représentant des membres de la famille royale. La diffamation reste en effet une offense criminelle. De plus, le gouvernement marocain est connu pour émettre des directives et conseiller les publications. Le roi Mohamed VI et le gouvernement exercent un contrôle considérable sur les contenus éditoriaux des médias nationaux. Le gouvernement a le pouvoir de révoquer les licences et de suspendre ou de confisquer les publications. En plus de la censure gouvernementale, il existe une autocensure plus diffuse car les journalistes craignent de fortes amandes, des peines de prison ou des intimidation allant jusqu’à des violence physiques.

La télédiffusion demeure elle aussi dominée par l’Etat mais les chaînes satellites étrangères sont captables. Le roi garde l’autorité de nommer les chefs de toutes les stations de radios et de télévisions publiques.

Internet est accessible à environ 19% de la population. Il n’existe pas de législation officielle régulant son contenu ou son accès pour l’instant mais le gouvernement bloque occasionnellement certains sites et outils en ligne. On peut cependant lire sur certains blogs marocains d’opposition des critiques ouvertes contre le manque de liberté de la presse dans le royaume. Un mal qui semble décidément endémique.

La diaspora juive marocaine
Elle est estimée aujourd’hui à près d’un million de personnes à travers le monde, principalement regroupées en Israël (750.000), en France (100.000), au Canada (50.000), aux Etats-Unis (20.000), au Brésil (12.000) et au Venezuela (12.000). Cette communauté dispersée s’illustre dans de multiple domaines comme les sciences, les affaires, la politique, le show business, ou l’intelligencia.

La diaspora juive marocaine est riche de talents variés qui ont marqué de leur emprunte les pays dans lesquels ils se sont intégrés par leur contribution scientifique, économique, académique ou journalistique.

Tout d’abord, parmi les scientifiques d’origine marocaine travaillant dans la recherche médicale, Lucien Abenhaim, né à Casablanca, est un épidémiologiste reconnu mondialement. De 1985 à 1989, il est chargé de recherche à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Depuis 1999, il enseigne la médecine en France et au Canada. Il a aussi siégé en 2002-2003 au conseil exécutif de l’OMS (Organisation mondiale de la santé).

Côté affaires, plusieurs personnalités d’origine marocaine doivent leur réussite éclatante au monde de la mode, aussi bien en prêt à porter qu’en haute couture. Ainsi Charles Abehsera, industriel du textile né à Mekhnès, est le propriétaire de la marque de confection pour femme Morgan. Le succès de la maison se mesure au millier de points de vente repartis dans 50 pays avec un chiffre d´affaires annuel de l´ordre de 140 millions d´euros et emploie plus de 1.000 salariés en Europe. Dans le luxe, après être passé chez Lancel, Sidney Tolédano, né à Casablanca, arrive chez Christian Dior pour rajeunir l’image de la prestigieuse maison tout en conservant l’esprit. En 1998, il devient le Président-directeur Général de Christian Dior Couture. Aujourd’hui Sidney Tolédano est également PDG de John Galliano France et Président de la société Fendi. Il a été fait Chevalier de la Légion d’Honneur par Jacques Chirac en juillet 2005.
Dans le registre de la publicité, Richard Attias, né à Fès, ingénieur de formation, devient président de Publicis Events Worldwide, un réseau mondial dédié à la communication événementielle et spécialisé dans les conférences internationales, les événements institutionnels et le marketing de grands groupes. Richard Attias a notamment participé à l’organisation du lancement de l’Euro en France en 2000. Il s’est aussi occupé en 2004 du congrès de l’UMP au Bourget lors duquel Nicolas Sarkozy a remporté la présidence du mouvement.

Quant à Amir Peretz, né à Bejaâd, il commence sa carrière politique en tant que maire de Sdérot en 1983 puis devient député travailliste à la Knesset en 1988. Parallèlement, il est élu à la tête de la centrale syndicale Histadrout. Il devient le leader du parti travailliste israélien lors des primaires du parti fin 2005. Il est ensuite nommé Ministre de la Défense en 2006 sous le gouvernement Kadima d’Ehud Olmert. Après l’échec de la seconde guerre du Liban, il perd la présidence du parti travailliste en mai 2007 puis est démissionné du poste de Ministre de la Défense.

Dans le camp religieux, le parti Shass du judaïsme sépharade regroupe un grand nombre de Marocains dont le plus célèbre reste Arié Déri, né à Mekhnès, ancien leader du mouvement.

Si le monde des beaux-arts ou du classique compte moins de Juifs d’origine marocaine, par contre celui du show Biz en reconnaît bon nombre parmi les animateurs télé (Arthur), les chanteurs, les humoristes (Gad El maleh) ou les DJ (David Guetta).

Enfin, la sphère intellectuelle ou académique n’est pas en reste. En France, dans l’univers de la presse, Pierre Assouline, né à Casablanca, est écrivain, biographe et journaliste au Monde et au Nouvel Observateur, ainsi que chroniqueur pour plusieurs radios dont France Inter, RTL et France Culture. Il est également chargé de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. Pierre Assouline est aussi connu comme critique littéraire.

Georges Benssoussan, historien, spécialiste d’histoire juive européenne, de l’antisémitisme, de la Shoah, du sionisme et des problèmes de la mémoire, est directeur de publication de la Revue d’histoire de la Shoah du Mémorial de la Shoah. En 2002, il dirige, sous le pseudonyme d’Emmanuel Brenner, la rédaction d’un ouvrage de témoignages ‘’Les territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire ». Il est le lauréat 2008 du Prix Mémoire de la Shoah, décerné par la Fondation du judaïsme français.

Pour sa part, Élie Cohen, né à Mekhnès, est un économiste français, partisan d’une régulation de l’économie, proche de la pensée sociale-démocrate. Directeur de recherche au CNRS (centre national de la recherche scientifique), il est aussi connu du grand public pour ses participations à de nombreuses émissions de radio et de télévision.

Au sein de l’Université, Armand Abecassis, né à Casablanca, docteur en philosophie générale et comparée, enseigne à la faculté de Bordeaux III. Ecrivain, il a publié plusieurs ouvrages sur le judaïsme.
En Israël, l’université compte une pléiade de professeurs d’origine marocaine, dans toutes les disciplines : sociologie, politique, mathématique, etc. Parmi eux, Robert Elbaz, Professeur de littérature comparée et directeur du Département de langue, littérature et culture françaises à l’Université de Haïfa. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la littérature contemporaine.

 

Noémie Grynberg 2010

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