Jacques BENILLOUCHE. En faisant de Hussein Al-Sheikh le numéro deux de son parti, Mahmoud Abbas a implicitement désigné son successeur. Il était temps compte tenu de l’âge avancé du président de l’Autorité palestinienne, 86 ans. Hussein Al-Sheikh, 61 ans, qui supervise la coopération avec Israël sur les questions civiles, succède à Saab Erekat, décédé du coronavirus fin 2020. La décision de le nommer secrétaire général du comité exécutif de l’OLP a été prise le 26 mai 2022 et le désigne comme le deuxième plus haut responsable palestinien.
Cela a été entériné sans vote du comité exécutif qui n’a pas été invité à donner son avis. Sa nomination ne fait pas l’unanimité au sein du Fatah mais elle permet de suspendre temporairement la lutte pour la succession du président. L’importance du poste est telle que si Mahmoud Abbas était dans l’impossibilité de diriger l’AP, alors le président du Conseil national deviendrait automatiquement président par intérim. La position de Mahmoud Abbas sur les institutions sort aussi renforcée.
La nomination d’Al Sheikh confirme un état de fait car il est toujours présent aux côtés de Mahmoud Abbas lors des voyages à l’étranger, lui permettant ainsi de maintenir la communication avec les dirigeants américains et israéliens. Cependant, sa présence dans les réunions diplomatiques n’était pas du bon goût de Riyad Al-Maliki, ministre des Affaires étrangères, mis de ce fait à l’écart.
Hussein al-Sheikh, né en 1960 à Ramallah, est membre du Comité exécutif de l’OLP depuis février 2022. Il est marié et a deux fils, quatre filles et cinq petits-enfants. Il avait déjà été élu au Comité central du Fatah en août 2009 après avoir dirigé l’Autorité générale des affaires civiles de l’AP depuis 2007. À ce titre, il est l’un des principaux contacts avec les autorités israéliennes pour toutes les affaires civiles en Cisjordanie.
Il a été ministre de la Coordination des affaires civiles entre 2013 et 2019 mais, bien qu’il ne soit plus membre du gouvernement palestinien, il a conservé son rang de ministre. Après la guerre de Gaza de 2014, al-Sheikh avait été nommé représentant de l’AP au sein du comité trilatéral de reconstruction de Gaza aux côtés de représentants israéliens et égyptiens ce qui en fait le principal interlocuteur du gouvernement palestinien pour le Mécanisme de reconstruction de Gaza (GRM).
Al-Sheikh a un grand passé de militant depuis son jeune âge ce qui lui valut d’être détenu pendant onze ans en Israël entre 1978 et 1989. Il a ainsi appris l’hébreu. Il est ensuite devenu membre de la Direction nationale unifiée du soulèvement (UNLU) pendant la première Intifada. Après les accords d’Oslo et la mise en place de l’AP, il a servi brièvement dans la sécurité préventive avec le grade de colonel, avant de devenir secrétaire général du Fatah en Cisjordanie en 1999.
Il n’est pas aimé par la population mais Mahmoud Abbas a imposé sa nomination pour assurer éventuellement la transition du pouvoir. En effet, les Palestiniens voient en lui une sorte de dandy qui s’habille en Italie et qui aime la présence de belles femmes autour de lui, et surtout un homme d’appareil intéressé par l’argent. Ils le jugent «opportuniste avant tout, capable d’une flexibilité sans limite».
Hussein Al-Sheikh est issu d’une famille de commerçants de Deir Tarif, réfugiés à Ramallah en 1948. Il n’avait aucun diplôme avant son incarcération à l’âge de 18 ans et il a tout appris en prison, la langue hébraïque et la politique. Jeune, il s’était compromis en prenant parti pour Abou Moussa, chef d’une dissidence prosyrienne du Fatah, qui avait chassé en 1983 de Tripoli le leader Yasser Arafat avec son dernier carré de fédayins qui s’y trouvait ; cependant il ne lui en sera pas tenu rigueur.
Le ministre des Affaires civiles, Hussein Al-Sheikh, est l’une des figures de proue de la hiérarchie de l’Autorité palestinienne et l’un des plus proches conseillers de Mahmoud Abbas. Il est l’interlocuteur d’Israël pour toutes les questions de sécurité et préside le dialogue entre le gouvernement palestinien et l’administration américaine. Il reste très discret et donne peu d’interview.
Il est très conscient de la difficulté de sa tâche et parle avec franchise : «la situation palestinienne est très compliquée. Nous sommes une Autorité sans autorité, sans souveraineté. La souveraineté globale est détenue par Israël concernant la terre, l’air, l’eau, les frontières et tout. Voilà donc la petite base sur laquelle nous essayons de construire. Nous avons traversé une période très difficile sous le président Trump. Je pense que le principal problème que nous avons eu avec l’administration précédente est la question de la répudiation de la légitimité internationale. En revanche, le président Biden a parlé de principes très importants avec le président Abbas que nous pourrions considérer comme une sorte de feuille de route pour nous et pour les Américains. Cela concerne la manière dont il nous est possible d’avancer à partir de maintenant. Il a évoqué le statu quo sur Haram al-Sharif, Sheikh Jarrah, les habitants de Jérusalem-Est, l’arrêt de l’expansion des colonies et l’arrêt des mesures unilatérales. Nous sommes d’accord sur tous ces principes avec le président Biden ; ce sera une feuille de route pour nous et les Américains avec la partie israélienne ».
Après ses années de prison où il a fréquenté de près les Israéliens, Al-Sheikh a acquis une certaine sagesse qui le rend réaliste et pour lui : «le chemin des négociations est le chemin le plus court et le plus proche vers la solution à deux États». Il n’est pas partisan du chaos et des troubles en Cisjordanie. D’ailleurs pour lui : «toute arme autre que celles détenues par les forces de sécurité palestiniennes autorisées est une arme illégale. L’arme du chaos et du désordre peut développer un ensemble de phénomènes qui détruisent la structure sociale, culturelle et éducative du peuple palestinien».
On l’aura compris, après avoir été un jeune fougueux, parfois inconscient dans le combat, Hussein Al-Sheikh est devenu un homme politique modéré, éduqué par les Israéliens avec le sens de la démocratie et du dialogue, après avoir été actif pendant la Direction Nationale Unifiée qui a mené au soulèvement de la première intifada. Sa nouvelle arme est à présent la diplomatie et le dialogue.
Article initialement publié dans Temps et Contretemps.