Les experts sécuritaires sont unanimes: l’opération Aurore est un succès militaire incontestable. L’opération elle-même n’a même pas duré trois jours et il n’y a pas eu de blessés, ni quasiment de dégâts côté israélien. La direction du Jihad islamique a, elle, été décimée, le Hamas n’a pas volé à son secours.
Le Mont du Temple est resté relativement calme en dépit du pèlerinage de plusieurs milliers de fidèles juifs à l’occasion du jeune de Ticha Beav commémorant la destruction des deux Temples de Jérusalem. Les Palestiniens des Territoires et de Jérusalem-Est, ainsi que les Arabes israéliens, sont restés silencieux. Quant au Hezbollah, second « proxy » de l’Iran au nord d’Israël, il n’a pas bronché.
Le palmarès est donc en lui-même impressionnant. Mais il prend une dimension nouvelle lorsqu’on le replace dans le contexte de la campagne électorale actuelle. Et il suscite plusieurs interrogations majeures: quels impacts cette opération aura-t-elle sur les élections législatives du 1er novembre? Qui en ressort gagnant? Et qui risque d’en faire les frais?
Les gagnants
1. Yair Lapid: incontestablement, le Premier ministre sort renforcé de cette opération. La semaine dernière, avant le déclenchement des hostilités, durant les trois jours d’attente et de paralysie dans le pourtour de Gaza qui ont précédé l’assaut, certains responsables Likoud s’étaient moqués de Lapid : « Comment un homme qui a fait son service militaire dans Bama’hané, la revue de Tsahal, pourra-t-il gérer une crise sécuritaire à Gaza ? » Eh bien la réponse ne s’est pas faite attendre ! Lapid a parfaitement géré la crise.
Avec le soutien expérimenté d’un chef d’état-major « offensif » comme Aviv Kohavi, et avec la coopération du ministre de la Défense Benny Gantz, Lapid a réussi habilement à tirer son épingle du jeu. A tel point que, ce lundi, dans les bastions du Likoud que sont les villes « frontalières » de Sderot et Nétivot, on saluait la détermination et surtout l’esprit d’initiative de Lapid « qui a été le premier à frapper le Jihad avant que celui-ci ne frappe ». Lapid a d’ailleurs joué le jeu jusqu’au bout, en invitant dimanche Benyamin Netanyahu pour un briefing sécuritaire d’une heure.
« Comment un homme qui a fait son service militaire dans Bama’hané, la revue de Tsahal, pourra-t-il gérer une crise sécuritaire à Gaza ? »
En débutant l’opération sur un coup d’éclat (l’élimination de Tayssir El Djabari) et en la concluant très rapidement, Lapid a certainement marqué des points sur le plan électoral. Mais il n’est pas certain que cela se répercute automatiquement sur le nombre de mandats que son parti Yesh Atid obtiendra dans les prochains sondages.
Par contre, il est nettement probable que cela lui fasse gagner des points sur son « aptitude à être Premier ministre ». Jusqu’à présent, Netanyahu caracolait en tête. Mais, depuis le début de son mandat et spécialement depuis qu’il a accueilli Joe Biden en Israël, Lapid a réussi à combler une partie de l’écart qui le sépare traditionnellement du chef du Likoud.
Le succès de l’opération pourrait encore le réduire sensiblement. Seul bémol: Lapid ne pourra plus dire, comme l’a fait Bennett, que durant son mandat les localités du Sud du pays sont restées paisibles…
2. Benny Gantz: Le ministre de la Défense était omniprésent durant cette opération, ce qui est normal en soi. Mais ce qui est moins évident, c’est qu’il ait su travailler main dans la main avec un Yair Lapid avec lequel il entretient des relations complexes et qui est aujourd’hui son plus solide rival électoral. Le fait que Gantz et Lapid aient su mettre de côté ces rivalités et rancœurs pour travailler le plus efficacement possible est encourageant. Cela devrait aussi faire gagner des points à Gantz.
Les perdants
1. Benyamin Netanyahu: Pour la première fois depuis 15 ans, l’ancien Premier ministre s’est retrouvé à un poste d’observateur lors d’une opération militaire. Un poste qu’il déteste. Certes, il a d’emblée apporté son soutien au gouvernement, à Tsahal, et aux habitants du pourtour de Gaza. Mais la photo sur laquelle on le voit recevoir du Premier ministre un briefing sécuritaire ne lui a pas fait de bien.
Imaginez: le Mr Sécurité d’Israël obligé d’écouter les estimations sécuritaire d’un « simple sergent », sans expérience militaire! Qui plus est, la rapidité de l’opération a rappelé aux Israéliens que l’opération Bordure Protectrice de l’été 2014, la plus importante conduite par Netanyahu, avait aussi été la plus longue − 50 jours interminables −, et avait donné l’impression de s’enliser. Bien que l’électorat du Likoud soit particulièrement fidèle, il n’est pas exclu que l’opération précipite les indécis du Likoud, soit vers Bleu Blanc soit, ce qui serait moins probable, vers Yesh Atid.
2. Avigdor Liberman: Celui qui avait promis d’éradiquer le Hamas en 48 heures est resté muet comme une carpe pendant les 3 jours de l’opération. Même si lui aussi dispose d’une solide base électorale au sein de la communauté russophone, il est possible que certains de ses électeurs, parmi les laïcs, soient séduits par la gestion de Lapid et aillent voir ailleurs.
3. Les partis arabes: il est vrai qu’officiellement il s’agissait là de la première opération militaire réalisée alors qu’un parti arabe Raam siégeait dans la coalition. Cependant, la Knesset est dissoute et les élections approchent. Par conséquent, difficile de parler encore de Raam comme d’un parti de coalition. La réaction discrète de Mansour Abbas au début de l’opération a été le reflet du positionnement des partis arabes: « Nous ne pouvons pas faire grand-chose », a reconnu Abbas.
La Liste arabe, elle, s’est montrée plus critique, accusant dès vendredi dernier Lapid de lancer l’opération à des fins politiques. Mais, au-delà, il semble que chaque militaire israélienne qui se déroule durant une campagne électorale refroidit l’électorat arabe israélien, et à pour conséquence de faire baisser son taux de participation.
L’exemple le plus flagrant avait été le boycott des élections de mai 1996 (les premières remportées par Netanyahu) à la suite du tir malencontreux d’un missile israélien qui avait tué plus de 80 femmes et enfants à Kfar Kana, au Liban, lors de l’opération « Raisins de la colère ». Cette abstention avait couté de facto à Shimon Peres son poste de Premier ministre….
Enfin, il reste encore un peu moins de trois mois avant les élections. En terme de vie politique israélienne, c’est une éternité! D’ici le 1er novembre, d’autres développements politiques diplomatiques et sécuritaires peuvent surgir et avoir un impact déterminant sur le résultat du scrutin. Mais pour l’instant, Lapid et Gantz peuvent se frotter les mains.