L’annonce de la disparition du Rav Haïm Kanievsky, âgé de 94 ans, était tombée vendredi après-midi, un peu plus de deux heures avant l’entrée du Shabbat. Et tous les Israéliens, religieux ou non, avaient aussitôt compris l’ampleur de l’événement. Les obsèques du chef du monde harédi, le courant orthodoxe du judaïsme lituanien, allaient mobiliser l’ensemble de sa communauté. Autrement dit, rendre inaccessible dès dimanche matin, toute la région de Tel Aviv, autour de la ville de Bnei Brak où le Rav Kanievsky avait vécu et où il allait être inhumé. Et tout le monde s’est préparé en conséquence au dispositif sans précédent, mis en place par la police israélienne, pour canaliser les centaines de milliers de personnes qui se dirigeraient vers Bnei Brak, de toutes les villes orthodoxes du pays. Tous ceux qui pouvaient passer en télétravail sont restés chez eux, les autres ont avancé ou reporté leurs déplacements. Des universités et des écoles ont assuré leurs cours par vidéo. Bref, toute la région du Gush Dan s’est retrouvée sous cloche. Et cela n’a étonné personne.
Il faut dire que la crise sanitaire est passée par là et que les Israéliens se sont habitués aux consignes de confinement. Et puis la catastrophe de Meron, fin avril dernier, lors du pèlerinage de Lag Ba’Omer, qui avait fait 45 morts et des centaines de blessés, est toujours vive dans les esprits. Tout le monde a donc compris qu’il fallait s’organiser pour éviter un nouveau drame. D’autant que l’ensemble de la société israélienne est aussi devenue plus familière des usages et des traditions du monde ultra-orthodoxe. Là encore, c’est la pandémie de Covid qui a modifié les rapports et la perception mutuelle des différentes composantes de la population israélienne.
A chaque épisode important de la crise sanitaire, le grand public israélien a compris l’importance des prises de position du Rav Kanievsky sur le confinement, la fermeture des lieux d’étude ou sur la vaccination. Et il guettait puis accueillait avec soulagement ses décisions appelant la communauté harédite à respecter les consignes sanitaires fixées par le gouvernement. Cette population à part, régie par un système de règles d’un autre temps, était aussi un élément inséparable de la société israélienne et consciente de ses responsabilités collectives.
Le Rav Kanievsky n’aura passé que cinq ans à la tête du courant ultra-orthodoxe lituanien, suffisamment pourtant pour se faire connaitre du public israélien, alors qu’il était depuis des décennies une figure majeure du secteur harédi. Il restait un tenant du conservatisme orthodoxe et n’hésitait pas à s’exprimer contre les dangers de l’exposition de sa communauté à la modernité. Le sionisme politique n’avait pas non plus sa place dans son système de pensée, mais le Rav Kanievsky avait consacré une large place de son étude et de ses commentaires aux commandements spécifiquement liés au retour du peuple juif en Israël et qui n’avaient pu être appliqués durant la période de l’exil.
Ce rapport complexe à l’Israël moderne, qui ne reniait pas la réalité mais maintenait une approche conservatrice servait de repère à la société harédite israélienne. Avec la disparition du Rav Kanievsky, disparait aussi cette autorité consensuelle. Des défis colossaux pour les ultra-orthodoxes qui valaient bien de leur laisser hier les routes du Gush Dan pour aller rendre hommage à leur guide disparu.
Pascale Zonszain
Radio J.