En Avril dernier, la tragédie d’Itzik Sayidian, ce jeune homme souffrant d’un syndrome post-traumatique, qui s’est immolé par le feu a d’autant plus frappé les Israéliens, qu’elle a eu lieu juste avant le Yom Hazikaron, la journée du souvenir des morts dans les guerres d’Israël, et qui a donc débuté hier soir. D’un seul coup, le geste désespéré de celui qui avait combattu lors de la guerre de Gaza de 2014, est venu rappeler à tous que la guerre ne fait pas encore partie du passé et que tout le monde est touché par cette violence qui ne finit pas.
C’est la résilience personnelle et celle de la société qui est sollicitée en permanence. Chacun, en Israël, vit avec sa propre expérience de la guerre et du terrorisme. Les familles qui ont perdu un proche, tout d’abord, mais aussi ceux qui ont combattu et perdu un camarade, ou ceux qui se sont retrouvés pris dans un attentat, même quand ils n’ont pas été blessés, ou qui ont connu un ami, un collègue ou un voisin qui a péri. Et en Israël, cela fait beaucoup de monde. Le fait qu’une journée dans l’année soit consacrée à la mémoire de ces victimes, permet de se sentir appartenir à une communauté, de canaliser les sentiments de deuil, de perte ou d’angoisse et tout simplement de se souvenir.
Mais il y a aussi ceux pour qui ces sentiments sont présents tous les jours et pour qui le temps ne suffit pas à réparer. En Israël, on ne parle pas volontiers de ces blessures-là. Les médias font beaucoup pour donner la parole aux familles et aux proches, qui sont interrogés à chaque drame, pour parler de la personne qu’ils ont perdue. On personnalise à chaque fois la victime, pour qu’elle ne soit pas une statistique. Mais il est souvent plus difficile de parler de sa propre expérience, surtout avec ses proches, même quand le traumatisme vécu n’est pas handicapant. En 2008, le cinéaste Ari Folman avait réalisé « Valse avec Bachir », un film autour de son expérience personnelle de la 1ère guerre du Liban de 1982. En présentant ses souvenirs sous forme d’images d’animation, il avait permis à la fois une prise de distance et aussi une identification pour les spectateurs. Quand le film a été projeté au cinéma, ce qui se passait dans la salle était au moins aussi important que ce qui se passait sur l’écran. Beaucoup de parents étaient venus avec leurs enfants, pour la plupart adolescents ou jeunes adultes. Les pères avaient l’âge de Folman, et leurs enfants découvraient pour la première fois ce que leurs pères, jeunes appelés au début des années 80 avaient vécu au Liban et qu’ils n’avaient jamais raconté. A la fin de la projection, beaucoup restaient dans la salle et commençaient à parler entre eux, chacun avec sa famille. Certains des jeunes avaient eux-mêmes combattu lors de la 2e guerre du Liban de 2006 et découvraient ce qu’ils partageaient avec leurs ainés.
Depuis, Israël a connu d’autres épisodes de violence, qui ont tous laissé d’autres cicatrices et qui tissent aussi une sorte de suture commune. Ce sentiment est difficile à comprendre pour quelqu’un d’extérieur. C’est une fragilité et en même temps une force. Il faut seulement apprendre à l’accepter pour la dépasser.
Radio J.
Pascale Zonszain