« Jusqu’à trois cartons de lait par client » : cette affichette collée dans certains supermarchés d’Israël a pris de court nombre d’Israéliens.

Il faut savoir que l’Israélien a la passion des produits laitiers ; le priver d’un de ses mets favoris ne pouvait pas passer inaperçu.

Certes, ce n’est pas la première fois que le lait vient à manquer sur les étagères des supermarchés ; mais c’est une fois de trop.

Une pénurie incompréhensible pour beaucoup d’Israéliens ; à qui la faute ?

La faute à la vache ?

Il serait facile d’accuser la vache de la pénurie de lait ; eh bien non ! La vache israélienne est la championne du monde pour la production de lait.

Une vache israélienne produit 12.000 litres de lait par an en moyenne ; beaucoup plus que la moyenne européenne (8.000 litres) et américaine (10.000 litres).

Avec 131.000 vaches laitières en 2020, Israël produit 1,6 milliard de litres de lait par an ; c’est beaucoup pour un pays de 9 millions d’habitants.

Sans compter que la vache fournit du lait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ; elle ne connaît ni repos, ni fêtes, ni vacances, ni week-end. Le coupable de la pénurie est ailleurs.

La faute aux fêtes juives ?

Les fêtes juives ont un point commun : elles tombent tous les ans à date fixe (selon le calendrier religieux) et elles sont prévisibles d’avance.

Il est vrai que cette année, les fêtes juives de Rosh Hashana, Kippour et Souccot, se sont concentrées sur le mois de septembre. Résultat : seulement 9 jours ouvrables en septembre.

Cette situation se renouvelle tous les 2-3 ans ; un peu de prévoyance permettrait de constituer des stocks de produits laitiers (qui ont une durée de vie de plusieurs semaines) et de les distribuer en période de fêtes.

Trop facile donc d’accuser le calendrier, cherchons ailleurs.

La faute aux distributeurs ?

Si la vache et le calendrier n’y sont pour rien dans la pénurie de lait, examinons un troisième coupable potentiel : le système de traitement industriel et de distribution des produits laitiers.

Le marché des produits laitiers en Israël est un secteur où les monopoles prospèrent : deux grands groupes, Strauss et Tnouva, accaparent 93% de la production laitière.

Le manque de concurrence explique aussi la cherté de la vie : en Israël, les produits laitiers (lait, fromages et œufs) coûtent 79% de plus que dans les pays de l’OCDE.

Pour maintenir des prix élevés, les monopoles ont tout intérêt à freiner la production de certains produits, voire à créer une « pénurie artificielle ».

La faute aux pouvoirs publics ?

Si les monopoles sont prêts à tout pour tirer les prix vers le haut, c’est le rôle des pouvoirs publics de les en empêcher.

Durant la dernière décennie, Israël a connu une politique libérale d’ouverture à la concurrence mais, curieusement, le marché des produits alimentaires y a échappé : les monopoles se sont maintenus et le consommateur en paie le prix.

Pour éviter une prochaine « pénurie » de produits laitiers, l’actuel gouvernement devra entamer une réforme en profondeur de la filière agricole – notamment en mettant fin aux quotas de production et d’importation.

Oui, Israël est un pays où coule le lait, mais pas tout le temps… Dommage.

à propos de l’auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998 et à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005. Aujourd’hui, il enseigne l’économie d’Israël au Collège universitaire de Netanya. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de « Les Arabes d’Israël » (Autrement, 2008), « Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ? » (Armand Colin, 2012), « Les Israéliens, hypercréatifs ! » (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et « Israël, mode d’emploi » (Editions Plein Jour, 2018). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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