MANAGEMENT. Dr Raphaël H Cohen, Academic Fellow et Directeur académique de la spécialisation leadership entrepreneurial de l’Executive MBA : « Les cadres toxiques font non seulement inutilement souffrir leurs collègues mais réduisent dramatiquement la compétitivité de leur employeur. Ils induisent des coûts énormes mais largement sous-estimés du fait qu’ils sont invisibles.

L’expression « sales cons » dans les entreprises a acquis ses lettres de noblesse grâce à Robert Sutton, professeur émérite de Stanford. Il lui a consacré un ouvrage qui s’est vendu à plus de 115’000 exemplaires. Pour un livre de management, c’est considérable. Le sujet est tellement endémique et en phase avec la triste réalité qu’il a même reçu en 2007 le Quill Award du meilleur livre de business. Personnellement, j’apprécie particulièrement la liste des nuisibles dans le titre de la première version française Objectif Zéro-sale-con – Petit guide de survie face aux connards, despotes, enflures, harceleurs, trous du cul et autres personnes nuisibles qui sévissent au travail.

Lorsque je demande aux cadres qui viennent suivre mes cours sur les leviers de l’engagement qui n’a jamais connu un « sale con », personne ne lève la main ou lorsqu’une personne le fait, c’est qu’elle a mal compris la question. Cela montre qu’il y en a beaucoup trop en circulation. Ma mère disait avec raison que si on devait mettre tous les sales cons en orbite, on ne verrait plus le soleil…

Si les dirigeants tolèrent autant la « sale connerie », c’est parce qu’ils ont la conviction que les « sales cons » sont performants. Il est vrai qu’ils contribuent d’une manière ou d’une autre au succès de l’entreprise car, si ce n’était pas le cas, ils auraient été éliminés depuis longtemps. Leur performance est en réalité une illusion d’optique car elle occulte d’autres coûts. Parmi ces coûts invisibles figure la performance réduite de tous ceux qui souffrent de la maltraitance des sales cons. Leur toxicité aboutit immanquablement à un niveau d’engagement réduit de leur entourage. Qui dit engagement réduit dit automatiquement performance réduite.

Un effet répulsif sur les talents.

Plus grave encore que le manque d’engagement de ceux qui subissent le « sale con », c’est le départ des talents. En effet, les meilleurs collaborateurs ne perdent ni leur temps ni leur énergie à composer avec un supérieur ou un collègue toxique : comme ils sont bons, ils n’ont aucune peine à trouver un emploi ailleurs. Les « sales cons » ont donc un effet répulsif: ils éloignent les talents. Les entreprises qui tolèrent la « sale connerie » se retrouvent immanquablement avec les moins talentueux. Cela entraîne évidemment une performance moindre, qui est de surcroît accentuée par le manque d’engagement de ceux qui restent. Difficile de préparer l’avenir quand les talents vont ailleurs.

Ce que la plupart des dirigeants, DRH inclus, ignorent, c’est le coût du départ d’un cadre. Ayant été mesuré, il s’élève en moyenne à 3 fois le salaire annuel du cadre qui part. Ce coût n’étant pas visible, il contribue à l’illusion d’optique qui aveugle les dirigeants qui tolèrent les « sales cons ». Leur perte de crédibilité augmente encore ce coût…

Le plus étonnant est que si le « sale con » vole quelques centaines de francs dans la caisse, aucun dirigeant n’hésite à s’en séparer. Cela signifie d’abord qu’on peut très bien s’adapter à l’absence de ses compétences mais aussi, et ce qui est plus écœurant, que le vol de quelques francs est considérablement plus insupportable que de laisser des employés subir la maltraitance du « sale con ».

Pour soulager les dirigeants du dilemme de garder ou non un « sale con » performant, il suffit de mettre en place des règles de gouvernance qui guident leur action et qui assurent la sécurité psychologique de tout le monde. C’est aussi le meilleur moyen d’éviter le coût considérable du départ de n’importe quel cadre et pas seulement des talents. Comme je l’ai déjà souligné dans mes précédentes chroniques, une bonne gouvernance est un indispensable levier de performance et de rétention des talents ».

Cet article a initialement été publié sur Le Temps le 19 mars 2020.

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