Pour le 14 Juillet 2021, Marie-Christine Dupuis Danon, la femme de l’Ambassadeur de France en Israël, sera très probablement hyper-active pour accueillir les centaines d’invités. Le Magazine de d’HEC lui a consacré un article très intéressant.
« Coach de dirigeants et spécialiste de la criminalité financière, auteure d’ouvrages sur les stupéfiants, les paradis fiscaux ou les services de renseignements… Marie-Christine Dupuis Danon cultive le goût des questions sensibles ». Dans https://hecstories.fr (Copyrights).
Quand elle n’interviewe pas les patrons des services de renseignement français ou les haut gradés de la gendarmerie nationale pour les besoins de ses livres, Marie-Christine Dupuis-Danon aide des dirigeants internationaux à renforcer leur gouvernance depuis Tel-Aviv, où elle est expatriée pour trois ans. Son cheminement singulier l’a menée des arcanes de la finance internationale, dont elle a exploré les aspects les plus troubles, au questionnement et à la compréhension des ressorts humains qui forgent le monde.
Entrée par la finance.
Dès ses études à HEC, dans les années 1990, alors que le souci d’équité n’est pas encore dans le radar des jeunes diplômés, Marie-Christine éprouve l’envie de contribuer à rendre le monde plus juste. Consciente que l’argent est un enjeu clef des relations internationales, elle se penche sur la géopolitique de la finance.
Un stage, suivi d’une embauche dans un cabinet de conseil mandaté par la Banque mondiale, la plongent dans le grand bain. À 25 ans seulement, elle travaille en contact direct avec les ministres des Finances des pays africains de la zone franc, afin de les aider à restructurer leurs dettes souveraines.
En parallèle, pour relever un défi lancé par un journaliste, Marie-Christine rédige un article sur les anomalies statistiques constatées dans les balances des paiements de certains pays : « Le trou noir des finances mondiales ».
Le sujet plaît tant qu’il fait la une de L’Express. « J’ai gagné une visibilité immédiate dans le domaine du trafic des stupéfiants et du blanchiment d’argent sale », s’étonne-t-elle encore. Une « spécialisation » dans les zones d’ombre de la finance, qu’elle développe ensuite avec la publication de différents articles et ouvrages sur les paradis fiscaux, l’économie de la drogue et la finance criminelle. Elle participe à de nombreux colloques interdisciplinaires sur ces thématiques, où elle croise notamment le criminologue Alain Bauer.
Lorsqu’en 2000, un poste à l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) s’ouvre, la France soutient sa candidature. Elle le décroche.
« Je n’avais pourtant pas le profil de juriste requis », rappelle-t-elle. Responsable des programmes d’assistance aux États membres dans la lutte contre la criminalité financière, Marie-Christine voit ses prérogatives s’étendre du blanchiment d’argent au financement du terrorisme après le 11 septembre 2001.
D’importants moyens sont alors alloués pour accompagner les États dans la mise aux normes législatives et réglementaires de leurs dispositifs antiterroristes. « Mon rôle consistait notamment à sensibiliser les politiques au plus haut niveau sur la nécessité de mettre en conformité leurs gouvernances nationales », explique-t-elle.
Puissance de la maïeutique
Au fil de ces expériences, le prisme d’analyse de Marie-Christine évolue. « J’avais démarré par les aspects financiers, techniques puis réglementaires. Cependant, malgré le renforcement conséquent du corpus juridico-législatif depuis 2001, je constatais que la criminalité financière continuait à prospérer. Pour deux raisons. D’abord parce que les grandes organisations criminelles transnationales sont, hélas, des modèles de performance, d’autant plus efficaces qu’elles sont dénuées de tout frein moral. Ensuite, parce que la dynamique de la gouvernance des grandes entités, publiques ou privées, finit presque toujours par s’essouffler. Les intentions premières, louables, sont souvent dévoyées par la complexité des circonstances et des relations humaines. Ainsi des responsables de haut niveau peuvent, sans en avoir conscience, faire des choix dommageables pour le collectif. » Il apparaît alors crucial à Marie-Christine d’éclairer le cheminement éthique des décideurs.
“ Il faut s’efforcer de regarder le réel tel qu’il est, même s’il est anxiogène. On ne peut pas réparer le monde si l’on occulte sa face sombre.”
Quand elle quitte l’ONU pour des raisons familiales, elle crée le cabinet de coaching C3COM. Il aide les institutions, les entreprises et leurs responsables à améliorer leur gouvernance grâce à une meilleure prise en compte du facteur humain.
« Les dirigeants viennent me consulter sur une problématique précise et s’engagent dans une réflexion plus large au fil de nos échanges. Lors de la prise de décisions majeures, les injonctions contradictoires sont omniprésentes. Poser les dilemmes éthiques permet, dans un premier temps, d’en prendre pleinement conscience. Mes interlocuteurs peuvent ensuite puiser dans leurs convictions personnelles profondes les éléments de réponse qui les aideront à assumer les décisions qu’ils prendront, quoi qu’il advienne. Ma place dans ce processus est de leur ouvrir un espace de dialogue, sans conflit d’intérêts. Je provoque par maïeutique un questionnement qui viendra nourrir et structurer leur réflexion. »
Avec les patrons du renseignement
Cette démarche maïeutique a aussi permis à Marie-Christine de recueillir avec Alain Bauer la parole de quatorze grands patrons des services de renseignement français pour le livre Les Guetteurs. Pour la première fois, ces grands commis de l’État ont accepté de témoigner pour décrire l’évolution du monde du renseignement français, passé du système cloisonné et secret de la guerre froide à un mode de collaboration plus ouvert et agile, afin de faire face au risque terroriste et à la complexité des menaces contemporaines. Le tandem a récidivé avec Les Protecteurs.
« Nous y explorons comment la gendarmerie, présente sur 90 % du territoire national, a évolué dans le temps pour s’adapter à l’effacement des limites entre les mondes ruraux et urbains et à l’émergence de nouvelles formes de délinquance et de criminalité. » Le binôme a en tête un troisième opus, Les Négociateurs, pour clôturer leur exploration des leviers de l’action régalienne, avec les diplomates qui ont été déterminants dans la conduite des grandes négociations internationales. Par ailleurs, Marie-Christine a tissé des liens forts avec l’armée. Auditrice de la 69e session « Politique de défense » de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), elle a planché sur des problématiques secret-défense avec des militaires. Et s’est trouvée naturellement recrutée par Agora 41, le think tank de cyberdéfense de l’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), créé il y a deux ans.
L’impact du Covid-19
Blanchiment d’argent sale, financement du terrorisme, services de renseignements… Pourquoi un tel intérêt pour le « côté obscur de l’argent » ? « Il faut s’efforcer de regarder le réel tel qu’il est, même s’il est anxiogène. On ne peut pas réparer le monde si l’on occulte sa face sombre. »
D’autant que le contexte sanitaire tend à la renforcer. « Chaque crise, globale ou locale, est source d’opportunités pour les organisations criminelles. Ultra-réactives, elles profitent des vides juridiques interétatiques et de la focalisation des forces de l’ordre sur la menace terroriste pour accroître leur emprise. Actuellement, elles s’en prennent aux laboratoires pharmaceutiques et à la chaîne de distribution des vaccins. Et la cybercriminalité financière est aussi en hausse. » La pandémie a néanmoins un aspect positif. « Elle ouvre des opportunités de réflexion, individuelle et collective, sur la place à accorder aux nouveaux acteurs et aux nouveaux modes de collaboration. Aujourd’hui, la logique du profit montre ses limites : les GAFAM sont devenus plus puissants que les États. la gouvernance héritée de l’après-guerre est en décalage avec les besoins de la planète. »
Si les cartes sont à rebattre, Marie-Christine n’adhère pas à un « monde d’après » brutalement salvateur. « Ce raccourci est trompeur : nous n’allons pas passer d’un paradigme à l’autre. Je ne crois pas aux ruptures, mais je crois aux points d’inflexion. » De la finance au coaching, elle n’a jamais cessé d’œuvrer patiemment, à son niveau, pour infléchir les pratiques de gouvernance vers le meilleur.
Un article de Marianne Gérard (Copyrights).