L’un des principaux moteurs de l’innovation, en Israël, dans la Silicon Valley tout comme en France, est la recherche académique. Elle est souvent le terreau sur lequel poussent les pépites qui imposent des technologies de rupture. Une startup française exceptionnelle intéresse beaucoup les ingénieurs et inventeurs israéliens. Il s’agit de Chronocam, active dans le domaine de la vision.

Selon (1) : « Chronocam. L’entreprise est ce qu’on appelle un spin-off, c’est à dire une start-up issue d’un centre de recherche. En l’occurrence, il s’agit de l’Institut de la Vision, qui est affilié à l’université Pierre et Marie Curie, au CNRS et à l’Inserm. Des chercheurs y travaillent depuis 20 ans sur le modèle de la rétine humaine afin de pouvoir le reproduire.

Chronocam a été créée en 2014 à Paris afin de porter ces technologies dans des applications de vision artificielle. « C’est une nouvelle approche de la vision par ordinateur et du machine learning, explique Luca Verre, son CEO et cofondateur. Les capteurs actuels ont évolué à partir d’un besoin photographique : l’objectif était de capturer une image le plus fidèlement possible. C’est ensuite le mobile qui a tiré le développement, mais on s’en sert de plus en plus pour des applications de vision par ordinateur pour lesquelles ce n’est pas efficace, surtout si vous voulez extraire de l’information des images. »

La vision par ordinateur est l’une des applications phares du deep learning, une méthode d’apprentissage qui a revigoré le champ d’étude de l’intelligence artificielle et l’a propulsé comme la nouvelle technologie à la mode. Ses applications sont nombreuses : casques de réalité virtuelle et augmentée, navigation automobile (voitures, drones), systèmes de surveillance plus intelligents…

Du fonctionnement de l’appareil photo à celui de l’œil humain

« Le problème avec les capteurs existants, c’est que beaucoup d’informations sont inutiles car redondantes, reprend Luca Verre. Par ailleurs, l’acquisition se fait à des points fixes dans le temps, par exemple toutes les secondes, et le temps d’exposition est aussi un grand facteur. Ils adaptent ce dernier en fonction de l’éclairage de la scène, s’ils regardent le soleil, un arbre, ou autre chose. Cela ralentit d’autant plus la capture. Il y a aussi la possibilité d’une perte d’information entre chaque image capturée avec le système classique, si un changement survient de manière trop rapide. »

Il s’avère que la rétine humaine ne fonctionne pas comme ça. Il n’y a pas d’image ou d’exposition, elle n’acquiert que l’information du changement. De cette manière, seule l’information pertinente est envoyée au cerveau. La rétine fonctionne comme ça simplement car le modèle biologique n’est pas conçu pour capturer des images mais pour informer sur l’environnement. Celui-ci est en conséquence beaucoup plus efficient pour extraire une sémantique d’un flux visuel.

Un temps de réaction 30 fois plus rapide

Concrètement, cela signifie qu’avec la technologie de Chronocam, chaque pixel de la matrice est indépendant et s’adapte à ce qu’il voit, tandis que les capteurs classiques renouvellent tous les pixels en même temps. Cela permet à la fois un temps de réaction plus rapide lorsqu’un changement se produit (ex. : un piéton traverse la rue) et une bande passante de données à traiter moins importante lorsque l’image change peu. « Je ne pense pas qu’il suffira de rajouter des GPUs pour faire décoller le véhicule autonome, affirme le CEO. Sur la détection des piétons par exemple, nos temps de réaction sont de 20 à 30 fois inférieurs à puissance égale. Il faut entre 5 à 10 images pour récupérer et extraire l’information entre chaque image avec un capteur classique. Entre 300 et 500 millisecondes sont nécessaires. Avec notre technologie, c’est à peine quelques millisecondes. »

 

« Les gens ont rarement questionné la partie acquisition jusqu’à présent, révèle Luca Verre. Ils optimisent le traitement. Je pense à Nvidia, Mobileye, Qualcomm ou Intel, mais ils ne font que contourner ce faisant la problématique de l’acquisition qui n’est pas optimale. Notre force, c’est de nous attaquer au cœur du probème. » Et c’est un succès. Chronocam a déjà effectué deux levées de fonds, recueillant 20 millions de dollars au total auprès d’entreprises comme Bosch, 360 Capital, Intel Capital, Renault-Nissan et le CEA. « Nous sommes les plus en avance sur le sujet, reprend le dirigeant. Il y a des centres de recherche qui travaillent sur cette approche à Singapour et en Suisse mais ils sont en retard. »

Une start-up parisienne… mais internationale

Chronocam compte aujourd’hui près de 40 employés, et avec de beaux profils comme des concepteurs de circuits intégrés (qui viennent notamment de Belgique) ou des profils de mathématiciens pour la vision par ordinateur et le machine learning. 80% des personnes qui la rejoignent viennent de l’étranger.

Un autre avantage de Chronocam, et non des moindres : sa technologie est déjà industrialisable. « Nous utilisons un processus de fabrication standard : le Complementary Metal Oxide Semiconductor (CMOS). Cela reste une technologie propriétaire pour laquelle nous avons 20 brevets déposés, mais nous pouvons utiliser les moyens de production actuels, sans modifications et sans surcoût. Ce n’est pas comme le Lidar, par exemple, qui a beaucoup de contraintes. »

Une technologie qui suscite l’intérêt des plus grands

Qu’une technologie soit prometteuse, c’est une chose, mais c’est son utilisation dans un produit fini qui prouve son impact. « Dans l’automobile, nous avons un partenariat avec Renault-Nissan, ainsi qu’avec d’autres qui ne sont pas publics, détaille Luca Verre. L’un d’entre eux est un constructeur américain, l’autre un équipementier japonais de rang un. Et sur la réalité virtuelle et augmentée, nous travaillons avec Intel sur le projet Alloy… et nous avons discuté avec les plus grands acteurs présents au Mobile World Congress 2017.« 

L’Usine Digitale a pu confirmer ces déclarations auprès de sources indépendantes. Nous avons notamment appris que Huawei s’intéresse de près à cette technologie, de même qu’Oculus et Microsoft. Elle leur permettrait une meilleure efficacité en matière de suivi du positionnement pour la réalité virtuelle. Chronocam aurait par ailleurs des projets en court dans le domaine de la défense et de la surveillance, avec la Direction générale de l’armement (DGA), mais aussi Thales et Sagem.

Si l’entreprise n’a pas souhaité commenter ces informations, elle nous a indiqué travailler avec la Darpa, l’agence de recherche de pointe de l’armée américaine, sur des applications médicales. « C’est un projet d’implant cortical qui va durer quatre ans », précise Luca Verre.

Une double approche : industrielle et médicale

Malgré son potentiel dans l’automobile ou l’électronique grand public, le domaine médical reste l’une des priorités de Chronocam. « Nous poursuivons cette double approche médicale et industrielle car le potentiel de cette technologie est très large. Nous en sommes à la seconde génération du capteur aujourd’hui. La première génération a été adoptée pour le médical par l’entreprise Pixium Vision (elle aussi issue de l’Institut de la Vision). Elle développe des systèmes de restauration de la vue pour les aveugles à l’aide d’une caméra embarquée dans des lunettes. Elle acquiert le visuel de manière bio-inspirée et l’envoie à un implant bio-rétinien. Les premiers implants ont démarré l’été dernier, et il y a eu 20 implantés pour le moment. »

En 2017, Chronocam compte se concentrer sur l’acquisition de nouveaux contrats, et spécifiquement sur des contrats qu’elle souhaite de qualité. « Nous voulons des clients visionnaires, qui nous guident vers les bons choix, qui veuillent réellement un produit. Notre objectif est de définir les produits que nous développerons l’année prochaine. » En 2018, la jeune entreprise se concentrera sur l’automatisation en milieu industriel, et spécifiquement sur la cobotique (cohabitation des robots et des humains en usine). En 2019, ce sera la réalité virtuelle et augmentée. Et en 2021, la voiture autonome. Un programme sacrément chargé.

(1) usine-digitale.fr/

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