Comment perdre une victoire par Sabine Roitman

Avec les accords d’Abraham, Israël a réussi auprès de plusieurs pays arabes une percée diplomatique historique. Ce progrès vers la paix a été mal vécu par l’Iran, la Turquie et autres inconditionnels de la « cause palestinienne », qui est pour eux le carburant d’une politique extérieure agressive permettant de reléguer au second plan leurs désastres intérieurs. Et il ne fait pas de doute que c’est l’Iran qui a poussé le Hamas à l’affrontement avec Israël  pendant le Ramadan suite à des élections palestiniennes escamotées, et ainsi essayé de torpiller le soutien du parti arabe israélien Raam à une coalition gouvernementale.

L’opération « Gardien du Mur» en réponse au déluge de roquettes venues de Gaza est un indéniable succès militaire pour Israël et on ne peut qu’admirer le parcours sans faute de l’armée. Mais que dire de sa communication ? Pas fameuse  malgré ses efforts depuis le cessez le feu : souvent trop tardive et en mode réponse, toujours sur la défensive, rarement dans l’attaque, presque jamais proactive. Or l’actualité n’attend pas, il faut la traiter à chaud  avant que l’adversaire n’impose sa « vérité ».

Rappelons le fiasco de la réaction de Tsahal à la mise en scène de la mort fictive de Mohamed Al-Dura et son incapacité à éclairer rapidement les conditions d’abordage du Mavi Marmara. Avant de détruire la tour Jala où travaillaient Al Jazeera et Associated Press, ne fallait-il pas en prévision d’une réaction des médias américains, préparer à l’avance des explications montrant, preuves à l’appui, que l’immeuble abritait aussi les services du Hamas et les diffuser immédiatement en direction du grand public et pas seulement au gouvernement américain ?

Finalement contraint par les américains d’interrompre les combats, Tsahal a dû se contenter d’affaiblir le Hamas sans l’anéantir. Pour Israël c’est une victoire à la Pyrrhus: malgré sa défaite militaire, le Hamas en sort renforcé dans la rue palestinienne pour avoir brandi l’étendard d’Al-Aqsa, remis le dossier palestinien sur le devant de la scène internationale et, sans doute le plus grave, avoir réussi à fracturer la cohabitation entre les populations juive et arabe d’Israël.

Etonnant de voir comment Israël, qui a pourtant si bien médiatisé sa créativité technologique et sa stratégie vaccinale, s’avère incapable d’en faire autant en communication militaire et politique. La plupart des armées et des gouvernements ont pourtant bien compris que la bataille médiatique était d’un poids tout aussi critique que celle des autres opérations militaires. Après la terre, la mer et l’air, il est temps pour Tsahal d’investir aussi l’espace médiatique et d’y dédier un corps d’armée.

Et il en est capable : la désinformation sur l’invasion terrestre de Gaza a par exemple été une réussite. Des diplômés et étudiants israéliens volontaires ont pu identifier de nombreux cas de fake news, ont réussi à bloquer des comptes Twitter de Gaza qui incitaient à la violence contre Israël, et ont produit des textes, infographies et vidéos dans de nombreuses langues dont l’arabe. L’humour juif pourrait aussi devenir une arme dévastatrice sur les réseaux sociaux et en direction des universités occidentales.

Par une communication efficace, Israël pourrait aussi pallier la faillite des institutions juives américaines qui, malgré leurs moyens colossaux, n’ont pas vu la propagande arabe et la haine d’Israël gangrener leurs universités où professeurs et élèves, en particulier malheureusement nombre d’étudiants juifs, répètent à l’envi qu’Israel est un pays colonialiste et d’apartheid.

Formés à l’école du KGB, les palestiniens eux ont compris depuis longtemps l’importance des mots, des images, des récits fabriqués. Financés par les états arabes et plus récemment par l’Iran et la Turquie, ils ont mis en œuvre des moyens énormes pour se faire conseiller par les meilleurs communicants au monde. Ils savent que la guerre du discours et de l’image précède, accompagne et assure le succès de celle des armes.

Bien maîtrisé, le langage est une arme puissante où chaque expression peut éveiller un sentiment d’adhésion ou de rejet. On ne réagira pas de même selon qu’on parle de « Territoires palestiniens occupés » ou de « Territoires disputés », de « Judée-Samarie » ou de « Cisjordanie », d’ « Implantation » ou de « Colonie », de « Barrière de sécurité » ou de »Mur de séparation ». La rhétorique de propagande repose sur l’inversion des valeurs et les mensonges historiques répétés : « Faites leur avaler le mot, ils avaleront la chose » disait Lénine.

En matière d’opinion il n’y a pas de génération spontanée. Depuis 50 ans certains médias relaient une doxa antisioniste d’autant plus désinhibée qu’elle se présente comme un humanisme et un antiracisme, soutenus par quelques israéliens post-sionistes et juifs gauchistes, toujours mis en avant pour donner bonne conscience à des antisémites proclamés antisionistes. Aussi longtemps que médias et bien-pensants continueront à déresponsabiliser les Palestiniens et à les exonérer de leurs crimes, la paix restera un objectif hors d’atteinte.

Sabine Roitman

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