La Chambre de Commerce France-Israël a eu le plaisir de recevoir Daniel Saada, Ambassadeur d’Israël en France lors de l’Assemblée Générale de la CCFI le Mercredi 26 mai dernier. Il a accepté de se prêter au jeu de l’interview menée par Henri Cukierman, Président de la CCFI. Trois axes principaux ont été abordés :
- Les manifestations de violences dans les villes “mixtes” israéliennes.
- Le Hamas, le Hezbollah, l’Iran.
- La capacité d’Israël à faire face à la crise de Gaza et du Covid-19 malgré 2 ans de gouvernement provisoire.
Henri Cukierman: « Comment expliquer les manifestations de violences dans les villes “mixtes” israéliennes ? Comment se comparent-elles aux manifestations en France ou aux Etats-Unis? »
Daniel Saada: « Vous avez surement entendu les propos déplacés qu’a tenu dimanche dernier le Ministre des Affaires étrangères français qui a évoqué le risque d’Apartheid en Israël et auxquels le Premier Ministre Benyamin Netanyahu vient de réagir très vigoureusement en dénonçant des propos inacceptables.
Je prends cette double déclaration pour répondre à ta question parce que je crois qu’on est vraiment au cœur du sujet. Ce qui se passe dans les villes mixtes en Israël n’a strictement rien à voir avec de l’Apartheid. Il y a une sorte de d’obsession de toujours vouloir projeter sur le conflit israélo palestinien et sur ce qui se passe en Israël d’une manière générale des schémas qui n’ont rien à voir avec la réalité, puisque là on ne parle même pas du conflit israélo-palestinien puisqu’on parle des frontières censées être sures et reconnues d’Israël. Vous avez entendu comme moi à de très nombreuses reprises le schéma de la colonisation, le schéma du génocide, maintenant on parle de ce schéma de l’apartheid alors que nous savons tous qu’il n’y a strictement rien à voir entre ce qui se passe actuellement à l’intérieur d’Israël et de l’apartheid.
Ce développement est évidemment très inquiétant, il nous a tous surpris mais fondamentalement, rien n’a été remis en cause de l’intégration de la minorité arabe israélienne qui est une minorité importante puisqu’elle représente plus de 20% de la population.
Les villes dans lesquelles ces manifestations, ces heurts souvent très violents ont eu lieu, et je suis conscient qu’il y a eu des actes terribles qui se sont déroulés, des attaques contre des synagogues, le lynchage à Bat-Yam d’un citoyen arabe israélien, l’inverse également à Yaffo, sont des villes ou il y a d’autres problèmes que la relation entre juifs et arabes.
Ce sont des villes dans lesquelles il y a une très grande disparité sociale, ce sont des villes dans lesquelles il y a une très grande détresse sociale, ou il y a énormément de problèmes de grand banditisme, on parle notamment de la ville de Lod qui a “brillé” pendant ces événements.
En règle générale il n’y a pratiquement pas une semaine sans qu’il y ait des événements criminels à Lod, des voitures qui explosent, des éliminations aussi bien d’ailleurs à l’intérieur de la communauté juive israélienne ou de la communauté arabe israélienne.
Cela montre bien que c’est sur ce terreau extrêmement fragile et extrêmement difficile que les appels du Hamas à la guerre fratricide, à la remise en cause de cette intégration des arabes israéliens se sont developpés.
On a bien vu que, d’abord dans les grandes villes, les grandes localités arabes de Galilée il n’y a pas eu d’évènement, il en va de même à Haïfa, la grande ville qui est ce symbole de la coexistence en Israël puisque 40% de la population est arabe israélienne et on a bien vu que les choses n’ont pas été remises en cause dans ces endroits.
Donc oui, c’est inquiétant, oui c’est nouveau, oui il y a des éléments qui tirent une sonnette d’alarme peut-être parce que nous n’avons pas suffisamment pris en compte ces problèmes sociaux économiques, ces problèmes sociétaux qui se déroulent dans ces villes et qui ont provoqué ces évènements.
On ne peut pas séparer les arabes israéliens qui sont à l’origine, il faut le rappeler et le reconnaître, des palestiniens qui se sont retrouvés à l’intérieur des frontières de l’état d’Israël en 1967, donc on ne peut évidemment pas les couper complètement de la problématique du conflit israélo palestinien mais je crois que 73 ans après la création de l’état nous pouvons, avec beaucoup de fierté, et c’est pour ça que le terme d’apartheid me révolte, dire que nous avons réussi à relever ce défi qui semblait impossible en 1948.
En 1948, au moment de la création de l’état, j’invite ceux qui s’intéressent à l’histoire à lire les différents carnets qui ont été publiés de Ben Gourion années après années, les dirigeants de l’époque se demandaient comment ils allaient pouvoir intégrer ces quelques centaines de milliers de palestiniens qui se trouvaient à l’intérieur d’Israël, des frontières de 48 que nous considérions à juste titre au départ comme appartenant à ce peuple qui a voulu nous jeter à la mer, qui a essayé de tuer dans l’œuf l’embryon de l’état avant même qu’il soit créé, qui s’est associé aux armées des 7 états arabes qui ont attaqué Israël.
Ça a duré plusieurs années et ça a été un défi qui a été très difficile à surmonter, à relever mais encore une fois 73 ans après nous pouvons être fiers de nos réalisations, nous avons réussi justement à faire exactement le contraire de l’apartheid.
La seule exception légale dont les citoyens arabes israéliens disposent c’est l’obligation de conscription militaire parce que nous avons toujours considéré qu’on ne pouvait pas leur imposer de devoir se retrouver dans des situations où ils pourraient se retrouver dans des conflits presque familiaux mais je précise que s’ils veulent, ils peuvent s’engager, nous ne leur interdisons pas l’accès à l’armée, il y en a qui se portent volontaires, quelques centaine par an, qui souhaitent remplir leurs obligations militaires mais c’est la seule exception, c’est la seule « inégalité », tout le reste est absolument linéaire. Au contraire, il y a même des règles de dispositions légales de discrimination positive à l’égard des représentants de ce qu’on appelle les minorités en Israël ça veut dire, les arabes israéliens, les druzes, etc, qui eux bénéficient comme moi à l’intérieur de la fonction publique israélienne de postes que ce soit l’administration centrale ou que ce soit une ambassade, et j’ai beaucoup de collègues qui sont arabes israéliens.
Il y a quelques jours, au début de la crise de Gaza, notre Ministre a demandé de réunir les 8 ambassadeurs des 8 ambassades concernées par le conflit les plus importantes il y avait Washington, Bruxelles, l’Union européenne, Londres, Berlin, le Caire, Aman, New York … et j’étais très fier de constater, quand je regardais l’écran zoom, que sur les huit, trois de mes collègues étaient des arabes israéliens.
Ce n’est pas représentatif, parce que là ça fait un pourcentage important, mais ils ne sont pas en poste au Cameroun ou au Paraguay, ils sont en poste dans des capitales et dans des lieux importants donc ça montre bien qu’il y a incontestablement une réussite dans le système extrêmement original que nous avons mis en place en Israël et qui a permis d’abord de trouver la solution pour ne pas tomber dans le régime de l’apartheid ou dans le régime de l’exception ce qui au départ n’était pas évident. Je le dis avec franchise, jusqu’ à la fin des années 50, au début des années 60 la plupart des grandes villes et des localités arabes de Galilée se trouvaient sous un régime de militaires, le droit commun ne s’appliquait pas, ces règles exorbitantes du droit commun se sont levées progressivement il a fallu attendre pratiquement la fin des années 60 pour que le régime général s’applique à tous parce que nous avions des craintes, parce que ce n’était pas facile, parce que c’était un défi important, parce qu’ il y avait autour de ces communautés énormément de suspicions et plus de 73 ans après nous avons réussi ce défi.
On parle non seulement de “l’israélisation” de ces communautés, de ces arabes israéliens, il y a quelque chose de commun qui s’est développé pendant ces 61 ans et qui s’applique aux arabes israéliens et récemment j’ai même entendu parler non seulement de « l’israélisation » des arabes israéliens mais aussi de leur “ashkénisation”, pour vous dire le défi est amplement relevé. »
Henri Cukierman: « Avec le Hamas, doit-on s’attendre à une guerre tous les 5 ou 7 ans ou est-ce qu’Israël va réussir à se sortir de ce guêpier ? La proposition israélienne de n’apporter une aide financière à Gaza que si elle contourne le Hamas a-t-elle une chance d’être retenue par de grands donateurs comme les USA, les EAU, l’Arabie Saoudite ? Si oui, comment mettre en œuvre une telle politique ? »
Daniel Saada: « Il me semble que ce conflit est un peu différent de ce que nous avons vécu depuis la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza, depuis 2006-2007 puisque nous avons eu un premier conflit en 2008, en 2012, en 2014 et celui-ci. Il me semble que cette fois-ci, d’abord il y a plusieurs paradigmes qui ont qui ont changé.
Vous avez constaté comme moi, que la France comme l’ensemble des grands pays occidentaux ont clairement établi à la fois la légitimité d’Israël à se défendre de l’agression du Hamas et également la manipulation, l’exploitation qui a été faite par le Hamas des événements de Jérusalem pour essayer de justifier cette agression.
Ce sont des éléments de langage que nous avons entendu aussi bien de la bouche du Président de la République, du Premier Ministre, à l’Assemblée nationale ses propos n’avaient pas été suffisamment clairs il a été obligé d’aller le lendemain au Sénat pour clarifier sa position et puis pour l’ensemble des déclarations, mais sur le plan européen et dans l’ensemble du monde occidental ça a été très clair.
Donc le premier paradigme c’est qu’il n’y a plus les débats qu’il y avait par exemple lors de la guerre de Gaza de 2014, ou il y avait une sorte de mise dos à dos des responsabilités des uns et des autres. Aujourd’hui je crois qu’il est clair pour tous que le Hamas est une organisation terroriste qui ne cherche qu à essayer de déstabiliser la région et que cela entre dans le jeu de liaison et des tentatives de déstabilisation de l’Iran dans la région, donc il n’y a plus de doute possible sur la question.
Le deuxième paradigme, me semble-t-il c’est aussi celui que l’on entend ces derniers jours, c’est qu’il ne s’agit pas simplement d’obtenir un cessez-le-feu comme nous l’avons obtenu mais c’est évidemment une solution à long terme que l’on doit trouver, car il est évident qu’on ne peut pas se permettre de vivre dans l’attente de la prochaine déflagration.
Celle-ci a permis de montrer de manière très claire l’ampleur de la prolifération des armes en provenance de l’Iran notamment, mais aussi, et il y a un article dans le Monde de la semaine dernière très intéressant sur les exportations de savoir-faire militaire et balistique puisque on se pose tous évidemment la question de savoir comment un tel arsenal a-t-il pu être accumulé par le Hamas.
Donc, aujourd’hui, on sait que la reconstruction de Gaza, la poursuite de l’aide y compris humanitaire ne pourra pas se faire sans que l’on trouve la solution, d’abord pour empêcher qu’elles puissent continuer de renforcer le Hamas, segundo, que les matériaux puissent être utilisés par le Hamas pour continuer à développer son arsenal, mais également pour trouver des solutions durables pour le démantèlement des armes, pour le désarmement du Hamas.
Alors je n’ai pas de solution, je sais que c’est quelque chose de très compliqué dans l’histoire des relations internationales récentes. Il n’y a pas beaucoup d’exemples ou on a réussi à désarmer des états ou des groupes armés. Il y a peut-être l’exemple des FARCS en Colombie avec l’accord qui avait été passé entre les parties, il y a le relatif succès du désarmement des armes non conventionnelles de Syrie ou sous l’égide de l’ONU qui est intervenu dans les dernières années mais il n’y a pas énormément d’exemples ou la communauté internationale a réussi à trouver les solutions pour désarmer un groupe terroriste.
Je ne sais pas comment on va réussir à relever ce défi mais ce qui me semble être clair c’est que la question est posée. Je l’ai entendu également dans les propos du secrétaire d’État Blinken à Jérusalem avant de quitter Israël. Il est clair qu’on ne pourra pas revenir comme auparavant. Il faut que les choses changent, comment vont-elles changer? Quelles sont les solutions? Je crois qu’il va falloir beaucoup de médiation des uns des autres, les Etats du Golfe sont évidemment parties prenantes.
On pensait que le premier conflit régional ferait voler en éclats ces accords. C’est en tout cas ce que certains observateurs avaient dit à l’automne lorsqu’ils ont été signés. Et on voit qu’ils ont résisté aux vicissitudes de ces derniers jours. Donc on voit bien que en effet ces pays devront jouer un rôle.
Je pense notamment au Qatar, ce n’est pas un pays de l’Alliance d’Abraham, mais c’est un pays qui soutient financièrement la bande de Gaza et le Hamas. Il faudra faire en sorte que l’argent qui est acheminé ne puisse pas arriver dans les caisses du Hamas.
C’est le défi de la société palestinienne avant d’être celui de la société israélienne, ce n’est pas un défi facile c’est le défi dans lequel nous nous trouvons actuellement puisque l’irrédentisme du Hamas sert pour l’instant de drapeau à la cause palestinienne alors qu’il n’y a aucune logique à cela.
C’est absolument contraire à tous les intérêts palestiniens, ils oublient qu’en 2007 et 2008 le Fatah a été battu et jeté de la bande de Gaza. Il y avait une guerre fratricide qui avait fait des milliers de blessés, des centaines de morts mais évidemment toutes ces choses-là sont très vite oubliées lorsqu’il s’agit de criminaliser Israël. »
Henri Cukieman: « Que peut-il se passer avec le Hezbollah ? Peut-il lancer une offensive de même type ou a-t-il été dissuadé par la riposte israélienne ? »
Daniel Saada: « La question se pose en effet et elle a toujours été posée. Le Hamas est le bras armé de l’Iran, ils agissent aussi en fonction des intérêts de l’Iran, outre les intérêts spécifiques du Hamas qui étaient liés à l’annulation des élections palestiniennes à la fin du mois d’avril et à ce sentiment de frustration qu’ils ont ressenti puisqu’ils étaient pressentis comme étant les grands vainqueurs des élections non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie, Il y a aussi certains intérêts iraniens. La décision de l’Autorité palestinienne d’annuler les élections avait été ressentie comme une sorte de confiscation de la victoire qu’ils auraient dû avoir dans les urnes et c’est la raison pour laquelle ils se sont lancés dans cette escalade pour avoir cette victoire dans la rue, cette victoire par les armes.
Comme je disais, il y au aussi certains intérêts iraniens, je rappelle évidemment que les négociations sont toujours en cours pour la réintroduction des Etats-Unis dans l’Accord de Vienne. Il y a également des élections en Iran qui se déroulent dans les prochains jours. Donc il est évident que l’Iran avait besoin de faire entendre sa voix sur le plan régional et c’est l’utilisation qui a été faite du Hamas. Votre question est pertinente, pourquoi si ils ont utilisé le Hamas, n’ont-ils pas utilisé le Hezbollah en ouvrant un 2e front comme en 2006 lors de ce que l’on a appelé la 2e guerre du Liban avec un front à Gaza et un front dans le Nord? Il semble que la réponse à cette question se trouve essentiellement sur des développements intérieurs libanais.
Il semble qu’il y a un certain assouplissement de la position du Hezbollah notamment du fait de la politique extrêmement active voire pro active de la France au Liban depuis l’explosion du mois d’août au port de Beyrouth et pour essayer de sortir le Liban de la dégringolade dans laquelle ce pays se trouve et la position du Hezbollah est une position extrêmement fragile, extrêmement sensible compte tenu de la main mise qu’ils ont sur l’appareil politique libanais et le rôle néfaste qu’il joue à l’intérieur même de cet appareil politique.
Donc il semblerait, parce que ce n’est qu’une lecture d’intérêt, que le Hezbollah et leurs amis iraniens soient arrivés à la conclusion que le Momentum n’était pas réuni pour ouvrir un front au Nord en sachant que la réaction israélienne risquait de mettre à bas ce très léger équilibre qui permet malgré tout au Hezbollah de se maintenir et de continuer à jouer ce rôle à l’intérieur de la classe politique libanaise. »
Henri Cukierman: « Est-ce que le risque d’intervention israélienne en Iran sur les endroits où se trouvent les centrifugeuses par exemple augmente d’un cran si la conférence de Vienne remet sur la table le JPCOA, ce qui impliquerait plus de ressources financières en Iran et de probabilité de réactiver différents fronts ?
Daniel Saada: « Il semble que les choses ont évolué entre 2015 et 2021 sur la négociation du JPCOA dans la mesure ou en 2015 il y avait nettement un intérêt iranien autant qu’un intérêt Occidental.
Peut-être plus un intérêt iranien parce que nous étions en 2015 à l’issue du 3e régime de sanctions qui avait débuté en 2005 donc c’était là l’issue de la 3e série de sanctions, l’économie iranienne, la société iranienne était dans une situation de détresse, l’économie était exsangue et il y avait une volonté iranienne qui n’était pas moins importante que la volonté des protagonistes occidentaux d’arriver à un accord.
Aujourd’hui je crois que nous sommes dans une situation totalement différente parce qu’il faut prendre en compte l’accord gigantesque qui a été signé entre l’Iran et la Chine qui permet à la Chine de se procurer les matières premières dont elle a besoin notamment le gaz et le pétrole iranien et qui va permettre de faire affluer vers l’Iran des dizaines de milliards de dollars dans les 5 années qui viennent.
Donc l’Iran ne se trouve plus dans la même situation d’isolement et de détresse économique et sociale qui faisait qu’en 2015, ils avaient accepté un certain nombre de choses.
Parallèlement il y a du côté Occidental, même si il y a la volonté des Etats Unis de revenir dans cet accord, une meilleure compréhension des faiblesses de l’accord de 2015 à savoir que si en 2015 on avait été vers cet accord pour essayer de signer un cadre pour permettre de limiter les activités de prolifération nucléaire de l’Iran, on avait mis de côté les 2 autres aspects qui sont le problème balistique est ce qu’on appelle dans les chancelleries, les activités de déstabilisation régionale de l’Iran. iIl y a aujourd’hui une prise en compte très nette chez plusieurs parties occidentales notamment la France, c’est important de le souligner, de pouvoir essayer d’inclure dans le nouvel accord ces aspects, les choses sont très différentes de 2015.
Pour résumer, il n’y a pas la dépendance de l’Iran à un accord. On va attendre de voir le résultat des élections mais l’Iran ne se presse pas. Au début les plénipotentiaires qui sont arrivés à Vienne avaient évoqué la possibilité d’arriver à un accord en 3 semaines.
On a dépassé les 4 semaines et demi. Donc on voit bien que l’optimisme de mise qui était au départ, et notamment parce qu’on pensait que l’annonce américaine de revenir à son accord est aussi quelque chose de particulier, on n’annonce jamais le résultat de la négociation à laquelle on veut arriver, c’est un peu l’alphabet, donc quand les américains sont allés à Vienne en disant nous voulons revenir à l’accord, c’est en fin de compte annoncer d’ores et déjà la concession qu’ils sont prêts à faire.
Pour les Iraniens c’était une victoire anticipée donc les choses sont très différentes, nous ne sommes plus du tout dans la même optique. Que va-t-il se passer ? Est-ce que ça nous rapproche ou est-ce que ça nous éloigne d’une intervention militaire israélienne ? Cela fait maintenant 15 ans que la question du nucléaire Iranien est sur la table, on a déjà tenu 15 ans, on va voir ce qui va se passer dans les semaines et les années qui viennent. Je n’ai pas d’informations et si j’en avais je ne ferai pas comme les américains, je ne les annoncerai pas.
Il semble incontestable que la diplomatie a prouvé qu’il y avait la possibilité de retarder l’échéance mais toutes les options doivent rester ouvertes. »
Henri Cukierman: « 2 ans de gouvernement provisoire semblent ne pas avoir pesé sur l’efficacité israélienne alors que le pays devait faire face au Covid et au Hamas, est-ce exact ?
Daniel Saada: « J’ai évoqué plus tôt Ben Gourion et les années du début de la création de l’Etat d’Israël. Nous avons mis en place en 1948 un système qui est magnifique et qui était idéal pour le petit pays que nous étions et la petite population que nous étions puisque c’est le système de proportionnelle intégrale avec circonscription unique.
Nous sommes pratiquement le seul pays au monde à avoir ce système, (les italiens ont un système un peu identique mais qui n’a pas de liste unique), et en plus avec un seuil d’éligibilité qui est très bas et le problème c’est que ce sont des lois fondamentales.
Nous n’avons pas de Constitution en Israël, nous suivons la tradition de Common Law, c’est à dire de lois fondamentales qui ne peuvent être changées que à la majorité des 2/3, ce qui veut dire que sur 120 députés il faut 81 voix pour pouvoir changer ces lois fondamentales.
Israël n’a pas échappé à ce qui s’est passé dans tous les grands pays du monde occidental, ou il y a eu petit à petit l’érosion des grands blocs. Aux Etats Unis on commence à le constater un petit peu même si ça résiste à cause du système électoral qui lui la-bas les renforce, mais en Angleterre, dans tout le reste de l’Europe on a vu comment les 2 grands blocs ce qu’on appelle la gauche et la droite, petit à petit ont connu cette érosion et l’émergence de nouveaux partis, les verts, l’extrême droite, la gauche radicale.
Tout ça fait que, en Israël, nous n’avons pas échappé à cette évolution et nous avons aujourd’hui dans les bonnes années, 60-65 députés des 2 grands blocs donc il nous faut trouver 15-20 députés des petits partis qui accepteraient de voter une loi qui les desserviraient.
On a essayé à 2-3 reprises d’augmenter un petit peu le seuil d’éligibilité parce qu’au départ il était à 2,5 aujourd’hui il est à 3, 75, ça nous permet d’avoir un tout petit peu moins d‘éparpillement. Puisqu’on ne peut pas changer une loi fondamentale, on s’est dit peut être, faisons une loi normale pour que le Premier Ministre soit élu au suffrage universel direct, on avait fait en 1996 des élections qui avait eu lieu après l’assassinat de Itshak Rabin, c’était Mr Netanyahou qui avait été élu, en 1999 Mr Barak et en 2001 Mr Sharon et ensuite on a abandonné le système puisque c’était une loi normale, on l’a aboli à une majorité relative parce qu’on s’est rendu compte qu’en élisant le Premier Ministre au suffrage universel direct on n’avait pas solutionné le problème.
On l’avait même d’une certaine manière amplifié parce que les électeurs israéliens considéraient que comme ils avaient mis un bulletin dans l’urne pour choisir entre 2 personnalités, ils avaient fait un vote utile et donc ils pouvaient se permettre de s’éparpiller sur le vote à la Knesset.
Et c’est pendant ces 3 élections que nous avons eu la Knesset la plus morcelée, on a eu des partis farfelus ou moins farfelus avec des partis corporatistes, des partis sépharades de gauche, sépharades de droite, ashkénazes religieux, non religieux, de retraités, de la feuilles vertes pour la légalisation du cannabis etc.
Donc on a on a été obligé d’annuler cette loi. On s’est rendu compte que ça ne résolvait pas le problème et il est question aujourd’hui de la ré-établir parce qu’il y a un vrai problème autour de la personnalité du Premier Ministre (il semble que la question soit : est-ce qu’on veut maintenir ou pas le Premier Ministre ?)
Donc ce sont des débats qui ont lieu actuellement à la Knesset. Mais vous avez entièrement raison de dire que malgré le fait que nous soyons en campagne électorale depuis maintenant presque 2 ans les gouvernements qui sont censés gérer les affaires courantes uniquement, les ont très bien gérées y compris les affaires un peu moins courantes comme la crise du COVID-19 – on a été cité en exemple sur la gestion de cette crise, à la fois au niveau sanitaire, au niveau de l’anticipation dont on a fait preuve).
Le gouvernement israélien a été efficace dans l’achat, l’acquisition et l’approvisionnement des vaccins. Je rappelle régulièrement, que depuis le mois d’avril, début mai 2020, alors que la première vague était très modérée en Israël, le gouvernement israélien avait déjà pris toutes les dispositions pour essayer de négocier avec tous les laboratoires qui avaient annoncé travailler sur un vaccin sur le Covid.
Vous m’aviez aidé à approcher le grand laboratoire français qui avait annoncé travailler dessus, comme mes collègues aux Etats Unis ont été voir Pfizer et Moderna, le choix s’est porté sur ces 2 sociétés, un choix qui est mon sens seul le symbole de notre pays, un vrai pari parce qu’on a préempté les doses avec Pfizer à l’époque où ils étaient à la phase 2. Nous avons mis plusieurs centaines de millions de dollars en jeu, la phase 2 a été remportée avec succès, la phase 3 s’est très vite couronnée de succès aussi, nos amis de Pfizer ont augmenté le prix puisqu’on est passé de la phase 2 à la Phase 3 de 60-65% d’efficacité à presque 95% donc le prix a augmenté malgré les contrats ou les précontrats que nous avions signé. Notre Ministre des Finances de l’époque lorsqu’on lui a fait part de l’augmentation du budget pour confirmer l’achat des vaccins, a tout simplement fait le delta entre combien de jours de confinement l’augmentation du prix des vaccins représentait, lorsqu’il a vu que c’était une semaine il s’est dit qu’il valait mieux mettre la main à la poche et payer plus.
Je ne sais pas combien cela symbolise la capacité de prise de décision chez nous mais je sais que de belles histoires ont circulé sur internet pour expliquer pourquoi le patron de Pfizer a décidé de donner des doses à Israël mais je peux vous assurer que nous les avons négociées ardûment et nous les avons payées deniers comptants. »
Henri Cukierman: « Deux questions qui ont été posées par Hervé Uzan, Président de SDH Conseil et Administrateur à la CCFI: Israël a-t-il une idée du budget militaire annuel du Hamas? »
Daniel Saada: « Je n’ai pas la réponse à la question. Il y a incontestablement dans les dernières années une part importante de l’aide qui est apportée à Gaza qui est détournée par le Hamas. Une aide qui est apporté par l’Iran directement. Mais le dilemme dans lequel nous nous trouvons c’est de determiner la quantité de matériel qui est détournée.
Lorsqu’on fait rentrer du ciment, du sable, du béton à Gaza qui normalement devrait servir à faire construire des habitations, des écoles, des hôpitaux, des stades, quelle est la part qui est utilisé pour construire ce qu’on a appelé le métro, le réseau de tunnels, nous n’avons pas de réponse.
Essayons d’imaginer dans pratiquement tous les domaines de la vie civile, des engrais qui sont utilisés, qui sont détournés pour fabriquer des explosifs, des produits qui sont censés servir à des industries alimentaires ,des industries pharmaceutiques qui sont détournés, donc il n’y a pas de réponse réelle mais cela nous reporte à l’autre question que vous avez évoqué sur ce que nous devons faire aujourd’hui pour trouver les solutions pour empêcher ce détournement et ça c’est le vrai défi du lendemain de cette guerre.
Henri Cukierman: « Est-ce qu’on a une idée du patrimoine personnel des principaux dirigeants du Hamas ? »
Daniel Saadaa: « Je n’ai d’idée sur ce sujet mais le problème fondamental dans lequel nous nous trouvons c’est que la direction palestinienne n’a pas évolué.
Ils continuent de s’installer à peu près dans la même posture dans laquelle ils se trouvent depuis des dizaines d’années : la victimisation et l’irrédentisme.
On nous lance à longueur de journée ce principe de 2 Etats mais même pour cette solution il va falloir faire preuve d’une très grande créativité, de beaucoup d’intelligence pour la mettre en œuvre parce que la géographie n’est pas avec nous.
On voit bien Gaza d’un côté, la Cisjordanie de l’autre, donc de toute façon nous devons faire preuve de beaucoup d’intelligence et de beaucoup d’ innovations et de beaucoup de créativité pour trouver cette solution mais pour pouvoir la trouver la question fondamentale n’est pas le territoire, c’est la reconnaissance des uns par les autres.
Tant que la direction palestinienne continuera à s’accrocher dans cette posture de victimisation et de remise en cause des principes que nous avons pensé avoir obtenu à Oslo à savoir le dos tourné à la violence, au terrorisme et bien on ne pourra pas avancer.
Donc voilà. La clé est là, il faut impérativement qu’ à l’intérieur de la société palestinienne on rejette le Hamas. Il est anormal d’entendre le président de l’Autorité palestinienne soutenir le Hamas alors que c’est son ennemi le plus violent, le plus virulent.
Donc tant qu’il y aura cette ambiguïté à l’intérieur de la direction palestinienne, quels que soient les gouvernements israéliens, nous ne pourrons pas avancer. »