Elles ont entre 18 et 19 ans, elles s’appellent Gali, Omer, Mor et Mika et rien ne les distingue d’autres jeunes Israéliennes sinon leur soudaine célébrité médiatique. Elles exigent que l’armée les autorise à se porter candidates pour intégrer les commandos d’élite, un des derniers bastions masculins de Tsahal. Dans le recours que leurs avocats ont présenté en leur nom devant la Haute Cour de justice, elles somment l’armée de défense d’Israël d’expliquer pourquoi l’accès aux unités d’élite est interdit aux femmes. « Cette situation inacceptable va à l’encontre du principe d’égalités des chances garanti par la loi », disent-elles.
En excellente condition physique, ces jeunes filles veulent participer à la sélection commando comme leurs collègues masculins « sans aucune concession ou le moindre allègement qui serait décidé en fonction de leur sexe. » Pour ce quatuor, le seul critère doit être l’aptitude ou non à servir au sein du commando d’état-major, du commando de marine Shaietet 13 et du commando antiterroriste Douvdevan. Ce n’est pas gagné. Un panel de juges dirigé par la présidente de la Cour suprême en personne vient d’annoncer à l’issue d’un long débat qu’il reportait sa décision dans l’attente des conclusions du rapport de l’armée chargé d’examiner cette question.
Il y a tout juste 25 ans, Alice Miller avait obtenu de la Haute Cour le droit d’être la première femme à intégrer la formation de pilote de l’armée de l’air. « Ce précédent a tout changé, nous confie la sociologue Tamar Hermann, du moins sur le principe qui jusqu’alors régentait l’armée : celui d’une séparation totale entre femmes et hommes concernant la répartition des tâches militaires. Cette révolution a eu un impact très fort sur la société civile. »
Si, en 25 ans, 56 femmes ont terminé avec succès l’académie de l’armée de l’air, la jurisprudence Miller est allée bien au-delà. En 2020, 85 % des métiers militaires sont ouverts aux femmes. Au sein des unités de garde-frontières, les soldates sont largement majoritaires. Même chose pour la défense aérienne ou les unités du commandement de l’arrière (la défense passive).
Tsahal n’a guère le choix : la conscription masculine est tombée à moins de 50 % d’une classe d’âge. Le nombre de futurs conscrits exemptés pour raisons médicales – y compris l’état de santé mentale – est passé en deux ans de 8 à 12 %. Ce à quoi s’ajoute la large exemption des jeunes ultraorthodoxes. Seuls 1 400 d’entre eux font leur service aujourd’hui. Par ailleurs 13 % des soldats mobilisés décrochent avant la fin de leur service. Enfin, dernier élément aggravant : la diminution depuis juillet dernier de la durée du service militaire qui est passé de 32 à 30 mois. Sans parler de la baisse de motivation des jeunes Israéliens pour servir dans les unités combattantes.
Selon le spécialiste des affaires militaires du quotidien Yediot Aharonot, Alex Fishman, la nécessité de maintenir les capacités opérationnelles de Tsahal explique le recrutement important de femmes comme combattantes et instructrices. « Pour l’armée, l’argument d’égalité des sexes et des chances est marginal, dit-il. C’est le principe de réalité et la situation sur le terrain qui la guident. »
La commission parlementaire des Affaires étrangères et de la Défense a reçu les représentants de l’armée pour qu’ils s’expliquent. Trois députés – un ancien chef adjoint du Mossad, une générale de réserve et un ancien chef d’état-major adjoint – leur ont tenu le même discours : « Nous ne pouvons nous faire les défenseurs d’une société libérale basée sur l’égalité des chances et en même temps affirmer qu’il y a des domaines réservés aux hommes et d’autres seulement aux femmes. Ce qui doit diriger le recrutement et l’intégration à telle ou telle unité, ce sont les capacités du combattant/e en fonction des standards professionnels, sur lesquels il ne faut rien céder… »
Mais les dirigeants du mouvement sioniste religieux refusent toute mixité dans les unités combattantes. Lors d’un débat organisé par l’Institut israélien pour la démocratie, le rabbin Péretz, ministre en charge de Jérusalem, a averti : « Si vous voulez des soldats sionistes religieux, il faut savoir que nous avons nos limites. On peut s’accommoder des problèmes de kashrout (les lois alimentaires du judaïsme), du shabbat, mais si vous voulez que des militaires religieux intègrent les unités mixtes, le sionisme religieux n’en sera pas. »
Des propos qui n’ont rien d’étonnant pour Tamar Hermann : « Vous savez, à la question sur la capacité des femmes à servir ou pas dans les commandos d’élite s’est ajouté le débat qui met aux prises laïcs et religieux au sein de la société israélienne. En fait, deux groupes de pression que tout oppose font pression sur l’armée : les sionistes religieux et les organisations féministes. »
Il y a quelques années, l’institut pour la démocratie avait publié une étude qui concluait que lorsque l’ampleur de la conscription obligatoire tomberait en dessous de 55 %, le modèle d’armée populaire tel qu’il fut défini par les pères fondateurs de l’État ne serait plus de mise, ni sur le plan économique, ni sur le plan social. Avec une conscription obligatoire à moins de 50 %, l’objectif de l’armée israélienne est donc de tout faire pour regarnir les rangs si elle veut éviter d’être contrainte d’ici quelques années à opter pour une armée de métier basée sur le volontariat. Ce n’est qu’au cours des prochains mois qu’on saura si l’armée accepte d’intégrer des femmes dans le saint des saints, les commandos d’élites.