Israël Hayom est le premier à révéler comment l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair a travaillé pendant des années pour rapprocher Israël et les Emirats Arabes Unis et renverser la formule acceptée de « paix avec les Palestiniens avant la normalisation ».
Vendredi dernier, le téléphone a sonné dans le bureau de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. C’était le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui appelait son vieil ami pour lui dire une chose : merci. Blair, comme Israël Hayom est le premier à le révéler, a joué un rôle clé dans la percée historique entre Israël et les Émirats arabes unis.
Les relations entre Israël et les Émirats du Golfe ont commencé à se dégeler en 2015. En 2010, la police de Dubaï avait dénoncé l’exécution ciblée de l’archi-terroriste Mahmoud al-Mabhouh, en janvier 2010. Les Emiratis étaient indignés. Ils ont cessé de faire confiance aux quelques Israéliens avec lesquels ils avaient secrètement entretenu des liens. La coopération a été gelée. La police émiratie, via Interpol, a émis un mandat d’arrêt contre 33 membres du Mossad qu’ils soupçonnaient d’avoir effectué la mission, coordonnée depuis un Hôtel de Bercy, à Paris, où certains membres du Commando se sont rendus avant de passer à l’action.
Cette affaire a provoqué des vagues au sein du Mossad. Ses tactiques avaient été dévoilées, ses membres étaient cloués au sol et risquaient d’être arrêtés. Pas moins grave : Israël a perdu une relation vitale avec une nation arabe. Non seulement les liens de défense ont été rompus, mais aussi les relations commerciales tranquilles qui duraient depuis des années.
Le changement est devenu possible lorsque Netanyahu s’est adressé au Congrès américain en mars 2015 et s’est prononcé contre l’accord nucléaire iranien. Comme d’autres États du Golfe, les Emiratis se sont sentis trahis par le président américain de l’époque, Barack Obama. La position prise par Netanyahu, contre l’accord et contre l’Iran, ainsi que contre l’administration américaine, a impressionné le prince héritier d’Abou Dhabi Mohammed Bin Zayed. Depuis sa prise de fonction en 2005, Bin Zayed a été le fer de lance d’un processus de modernisation, d’ouverture accrue sur le monde et de tolérance aux EAU. Il a qualifié l’Iran, ainsi que l’islam sunnite radical, de dangereux.
‘Une vie qui leur est propre’
C’est Blair qui a identifié une opportunité de construire une coopération avec Israël sur la base de cette vision commune. Lorsqu’il a démissionné de son poste de Premier ministre britannique en 2007, il a déclaré que le rêve de sa vie était d’apporter la paix au Moyen-Orient. Il a été nommé envoyé du Quatuor pour le Moyen-Orient (représentant les États-Unis, la Russie, les Nations Unies et l’Union européenne), mais il a démissionné en 2015, étant parvenu à une conclusion claire.
«J’ai pensé pendant longtemps que toute la position selon laquelle il fallait d’abord conclure un accord de paix [entre Israël et les Palestiniens], puis ouvrir les relations entre Israël et le monde arabe… devait être renversée et pratiquée dans l’autre sens. Je crois fermement que vous n’aurez pas de solution à la question palestinienne à moins que ce ne soit avec la pleine coopération et participation du monde arabe », a déclaré Blair à Israel Hayom depuis Londres.
Lorsqu’il s’est trouvé à l’abri de la pression des autres pays étrangers, Blair a commencé à diriger le processus selon sa propre vision. Par coïncidence ou non, cela s’est avéré être similaire à l’orientation de Netanyahu, avec qui Blair avait une relation solide il y a quelques années. Netanyahu, lui aussi, affirmait depuis 2015 que les États arabes ramèneraient les Palestiniens à la paix, et non l’inverse. Blair a courtisé les États arabes et a trouvé que les EAU étaient les plus disposés à écouter. Pourtant, pour que les Emirats reprennent contact avec Israël, l’affaire Mabhouh devait être surmontée.
Même cinq ans plus tard, les Emiratis étaient toujours furieux contre Israël. Ils ont qualifié cette élimination ciblée comme un acte « irrespectueux » et ont exigé des garanties qu’Israël n’utiliserait plus jamais son territoire pour des liquidations ciblées. Israël a accepté et a apparemment partagé des informations sensibles avec eux pour démontrer sa sincérité. C’était le brise-glace (le bon moyen de briser la glace).
Mais Blair n’était pas seul. Pour consolider sa confiance dans les messages de conciliation qu’il envoyait, Netanyahu a enrôlé son confident, Yitzhak Molcho. Blair a présenté Molcho à l’un des petits ministres de second rang de Bin Zayed. Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois à Londres fin 2015, où Blair est bien installé, et la réunion s’est bien déroulée. Cela a conduit à des contacts qui comprenaient de nombreuses réunions entre Molcho et le ministre émirati à Chypre et à Abu Dhabi, ainsi que de nombreuses conversations téléphoniques.
Réunions secrètes à Jérusalem
Le signe le plus important de la réussite du processus a été l’acceptation par les Emiratis en 2016 d’annuler le mandat d’arrêt des agents du Mossad. C’était un point important pour Israël, et c’était grâce à Molcho.
Une fois cette pierre d’achoppement initiale et majeure levée, les relations entre les deux pays ont continué de se réchauffer. Fin 2016, le même ministre émirati a commencé à tenir des réunions avec Netanyahu. Au début, les pourparlers ont eu lieu à Chypre, puis ont été transférés à la résidence du Premier ministre à Jérusalem. La confiance se construit finalement pour entrer en contact avec le prince héritier émirati lui-même. Cela a commencé par les appels téléphoniques, qui sont devenus plus fréquents. Netanyahu et Bin Zayed se sont exprimés une fois toutes les quelques semaines et ont échangé des opinions sur et analysé les processus régionaux.
Blair dit que Bin Zayed s’est avéré être « un talent politique et de leadership exceptionnel ». Plus ils étaient en contact, plus il devenait clair que lui et Netanyahu avaient des visions du monde similaires. Lorsque Netanyahu a dit des dizaines de fois au cours des dernières années que son opposition à l’Iran reflétait la position d’autres dirigeants régionaux, il parlait de Bin Zayed, et pas seulement de lui. Non moins important, le prince héritier a parlé avec Netanyahu de l’avenir de la région et de la nécessité d’utiliser des outils modernes pour résoudre les problèmes de la jeune génération sans emploi au Moyen-Orient.
En 2018, Netanyahu s’est rendu deux fois dans la capitale émiratie, à bord d’un vol israélien qui a traversé l’espace aérien saoudien. Compte tenu des liens étroits entre Bin Zayed et le prince héritier saoudien Mohammad Bin Salman, il semble fort probable que Riyad savait que l’avion traversant ses cieux transportait le Premier ministre israélien.
D’une idée commune à des intérêts partagés
Netanyahu a rencontré Bin Zayed pendant quelques heures, et les deux hommes ont immédiatement noué d’excellentes relations. Lors de l’une des deux réunions à Abu Dhabi, Netanyahu a même fait le tour de la ville même si son temps de présence était compté.
Ce qui a commencé par l’échange de perspectives similaires sur la situation régionale est devenu lentement le constat d’intérêts étroitement liés dans une grande variété de domaines. En tant que grand partisan de la science et de la technologie, Bin Zayed a également trouvé un terrain d’entente avec Netanyahu sur ces sujets. Ce n’est pas par hasard que l’une des cinq réunions à Abu Dhabi la semaine dernière était consacrée à l’espace. Les Emirats, croyez-le ou non, ont déjà envoyé un vaisseau spatial sur Mars.
Blair souligne que deux facteurs majeurs étaient nécessaires pour parvenir à une percée : « Créer le cadre politique de ces discussions. Bien sûr, il y a des raisons de sécurité pour lesquelles il est important qu’Israël et les États arabes coopèrent. Ils font tous face à la menace de l’extrémisme, qu’il soit la variété chiite promue par [l’Iran] ou la variété sunnite, promue par les Frères musulmans à travers le spectre de divers groupes. La menace commune à la sécurité est un élément essentiel de la discussion. «
Mais Blair dit que ce seul cadre politique sécuritaire n’était pas suffisant.
«Les relations avec Israël devaient devenir une priorité», dit-il. « La deuxième chose est que vous devez prendre les mesures pratiques de l’engagement. Ces mesures pratiques se sont déroulées sur une période de plusieurs années, consistant à instaurer la confiance, à s’assurer que les deux parties pensaient pouvoir se rencontrer, en toute confidentialité, en s’assurant de discuter des choses ouvertement. Faire en sorte que les individus au sein de chaque système se connaissent et se fassent confiance. Cela a été le travail de ces dernières années, jusqu’à maintenant. «
Blair souligne que ce n’est pas seulement le danger de l’Iran qui a rapproché Israël et les Émirats.
«La chose la plus importante à réaliser à propos de tout cela est qu’il ne s’agit pas seulement de sécurité. La conversation portait sur la région, son développement, son économie, sa culture», dit-il.
Blair loue le leadership de Netanyahu (le qualifiant de « politicien remarquable »), ainsi que la Maison Blanche, avec les bonnes relations entre Jared Kushner et Bin Zayed, et souligne qu’aux Emirats Arabes Unis, « ce n’était pas seulement la famille royale, mais les principaux responsables qui se sont impliqués. »
Blair dit que la véritable percée, l’annonce historique de la normalisation, s’est produite parce que l’occasion s’est présentée quand Israël a concédé de reporter ses projets d’appliquer la souveraineté à la vallée du Jourdain et aux implantations de Judée et de Samarie pour d’abord favoriser la normalisation avec les Émirats. «Cette opportunité a pu être saisie grâce à ce long processus d’engagement réciproque», explique-t-il.
Adaptation : Marc Brzustowski