Mais il serait injuste et superficiel de réduire l’actuel directeur du Mossad (les services civils de renseignements extérieurs) à son physique avenant. Outre son hébreu natal, l’homme de 59 ans parle arabe, anglais et français.
Ce mardi, il était à Abou Dhabi, cinq jours après l’annonce de la « normalisation » entre les Émirats arabes unis et Israël, un événement diplomatique majeur commenté dans le monde entier.
Selon l’agence officielle WAM, le Conseiller à la sécurité nationale émirati, cheikh Tahnoun ben Zayed, a salué les « efforts déployés par M. Cohen pour parvenir à un accord de paix entre les Émirats arabes unis et Israël ».
Alors que les ministres centristes des Affaires étrangères et de la Défense d’Israël ont été tenus dans l’ignorance des discussions entre les deux États, Yossi Cohen apparaît donc comme le véritable vice Premier ministre d’Israël ou, à tout le moins, le principal collaborateur de Benyamin Netanyahou.
Ce dernier « a toujours eu des problèmes avec ses collaborateurs mais là, il a trouvé quelqu’un qui travaille bien avec lui », explique à France Inter Seth Frantzman, spécialiste des affaires diplomatiques au Jerusalem Post.
L’obsession iranienne
Élevé dans une famille sioniste et religieuse de Jérusalem, Yosef Meir Cohen a servi dans les parachutistes avant d’être recruté par le Mossad en1983.
Dans Lève-toi et tue le premier, publié aux éditions Grasset, le journaliste Ronen Bergman rappelle l’impeccable parcours de l’agent opérant sous le nom de code « Callan » : chef des opérations iraniennes en 2004, recruteur d’informateurs en Iran et au sein du Hezbollah à partir de 2006, sous-directeur du Mossad entre 2011 et 2013 puis Conseiller à la sécurité nationale avant de devenir directeur du Mossad en 2015.
La partie déclassifiée de ses états de services atteste qu’il est un spécialiste de la question iranienne et chiite.
Or, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou considère Téhéran comme une menace existentielle pour Israël, rappelant les déclarations belliqueuses et antisionistes des dirigeants iraniens.
Entre 2010 et 2012, quatre scientifiques atomistes iraniens sont assassinés. Leurs meurtres ne seront jamais revendiqués mais Téhéran accuse le Mossad. En janvier 2018, Israël récupère une quantité phénoménale d’informations relatives au programme nucléaire iranien.
Une opération attribuée au Mossad sur laquelle le Premier ministre communique abondamment, en posant devant une armoire de classeurs et une vitrine de CD censés contenir les précieux secrets.
Début octobre 2019, Yossi Cohen affirme dans une interview au magazine ultra-orthodoxe Mishpasha que le très influent général iranien Qassem Soleimani « sait très bien que son assassinat n’est pas impossible.
Ses actions sont identifiées et ressenties partout. Il est indubitable que l’infrastructure qu’il construit pose un grave défi à Israël. » Deux mois après, Soleimani était pulvérisé par une frappe à Bagdad…
L’architecte et le contremaître
Autre levier pour contenir l’Iran chiite : rapprocher Israël des États arabes sunnites du Golfe. Netanyahou se veut l’architecte de cette nouvelle diplomatie et Yossi Cohen est son contremaître, qui se rend régulièrement dans les capitales des pays concernés.
Ainsi le directeur du Mossad annonce-t-il le 2 juillet 2019 lors d’une conférence près de Tel Aviv :
« Le rétablissement de relations officielles avec Oman [est la] partie visible d’un effort bien plus large, qui reste secret. »
Moins secret, pendant l’épidémie de coronavirus, l’achat dans le Golfe de dizaines de milliers de kits de tests (dont certains défectueux) et de respirateurs par le Mossad.
L’annonce officielle de relations diplomatiques entre les Émirats et Israël la semaine dernière est le point d’orgue de cette diplomatie régionale Netanyahou-Cohen avant, peut-être, d’autres « normalisations » avec Bahrein, Oman, le Soudan voire l’Arabie saoudite.
Et après ? Que fera Yossi Cohen, en fonction depuis quatre ans et demi ? Il n’y a pas de durée de mandat à la tête du Mossad mais, en moyenne, ses directeurs sont demeurés près de six ans à leur poste.
« Il fait partie des directeurs du Mossad les plus connus. Il a ce côté James Bond et ce n’est pas un sale type. »
« Et cela aide », poursuit Seth Frantzman. Effectivement, outre ses fonctions officielles, Cohen s’est forgé une bonne image en agissant pour l’inclusion des personnes handicapées dans l’armée ou les services, l’un de ses fils officier souffrant d’une affection dégénérative.
Voilà pourquoi plusieurs médias israéliens affirment que Netanyahou le considère comme l’un de ses successeurs potentiels avec Ron Dermer, actuel ambassadeur israélien aux États-Unis.
Mais « Bibi », comme on le surnomme en Israël, a toujours coupé les têtes qui dépassaient et détesté que d’autres prennent la lumière.
« Cohen est un homme-clé mais Bibi ne le créditera jamais trop de ses succès », poursuit Frantzman.
Le « mannequin » a-t-il une vision propre ou n’est-il qu’un talentueux exécutant ? Son patron, l’omnipotent Bibi, âgé de 71 ans et jugé pour corruption, est-il prêt à lui transmettre le flambeau ou bien préférera-t-il le marginaliser comme tant d’autres ?
La politique intérieure israélienne est aussi impitoyable que le monde de l’espionnage.
Source France Inter