Pour les 70 ans d’Israël une conférence importante à eu lieu l’an dernierà Lyon. Le CRIF AUVERGNE-RHÔNE-ALPES avait été à l’initiative de cette rencontre. A la demande de nos lecteurs nous transmettons le texte de synthèse réalisé par Sylvie Altar, secrétaire générale du CRIF Auvergne Rhône-Alpes:
Le CRIF Auvergne-Rhône-Alpes a célébré l’an dernier les 70 ans de l’État d’Israël, à l’Hôtel de Région, en présence de nombreux invités et de personnalités dont le Maire de Lyon George Képénékian représentant également la Métropole de Lyon et Ido Bromberg, directeur des relations publiques à l’ambassade d’Israël,.
Pierre Bérat, conseiller régional, qui représentait Laurent Wauquiez président de la Région, a accueilli chaleureusement cet événement ainsi que les personnalités qui ont honoré le CRIF ARA de leur présence et leur sympathie pour Israël : les consuls d’Allemagne, d’Espagne et de Roumanie, Marie-Danièle Campion rectrice d’académie, chancelière des universités de Lyon et la région, Eric Maurincome président de l’INSA, Jean-Dominique Durand adjoint au maire de Lyon, Jean Paul Chich adjoint au maire de Villeurbanne,…
Les associations de la région ont aussi participé à cet anniversaire à commencer par Alain Sebban président du Consistoire régional, Benjamin Orenstein président d’honneur de l’Amicale des anciens déportés d’Auschwitz, Hubert Boulet délégué général du Souvenir Français, Roland Minodier délégué départemental de soutien à l’armée française, Jean Massonnet président des Amitiés judéo-chrétiennes de Lyon, Delphine Baya présidente de l’AMAF, le pasteur Daniel Thévenet, …
Les discours de bienvenue prononcés dans l’impressionnant amphithéâtre de l’Hôtel de Région ont salué la longue amitié franco-israélienne tissée par des échanges économiques (en 2017, les exportations de la Région vers Israël ont progressé de 9% ), par des partages culturels que la nouvelle saison croisée France-Israël intensifie et par le jumelage ancien, depuis 36 ans, de la capitale des Gaules avec la ville de Beer Sheva.
Chacun n’a pu s’empêcher de rappeler le paradoxe d’un État relativement jeune mais dont l’aspiration est millénaire. G. Képénékian a tout particulièrement insisté sur l’idée que pour comprendre la puissance des liens qui relient les Juifs à Israël il faut avoir à l’esprit comme le dit Élie Barnavi « un minimum d’intelligence historique ». L’odyssée du peuple juif ; la Bible et la Terre promise, le Sionisme, la Shoah, les guerres d’indépendance etc., légitime l’État d’Israël qui « n’est pas né de rien ».
Chacun a salué la seule démocratie prospère que représente Israël dans un environnement hostile, une démocratie qui s’est construite de surcroît en intégrant au fil des ans toute la diversité diasporique. Et chacun a rappelé combien Israël est un pays moderne reconnu pour sa capacité d’innovation, « un pays si petit soit-il, qui semble par moment être au centre du monde » comme comme l’a rappelé Nicole Bornstein. Israël est admiré par les uns, vilipendé par d’autres, mais Ido Bromberg exprime avec justesse comment son pays se préoccupe de construire des ponts entre les peuples et à l’intérieur même de la société israélienne en encourageant l’esprit d’entreprise et la collaboration technologique dans tous les domaines et à toutes les échelles, des initiatives qui sont alors des armes pour relever les défis du vivre ensemble et de la paix.
Ces discours ont précédé deux brillants exposés d’universitaires français et israéliens qui ont donné à voir et à penser Israël autrement. Plus de 250 personnes ont tout d’abord écouté avec attention l’exposé tout en nuance de Denis Charbit, maître de conférences au département de sociologie, Science Politique et Communication à l’Université ouverte d’Israël, qui a proposé un « bilan raisonné de ce jeune État » sous l’intitulé : Israël 1948-2018 : Les épreuves, les acquis, les défis.
Denis Charbit a proposé un récit problématisé des 70 ans de ce pays qui attise les passions en démontrant ce qui a été accompli et ce qu’il reste à faire.
Il a tout d’abord exposé les trois grandes épreuves qu’Israël a dû ou doit encore relever :
- Gagner la légitimité auprès des Juifs dans le monde entier et qui a été acquise par l’émancipation individuelle notamment en France en 1791, exprimée dans le projet révolutionnaire en Europe au XIXe siècle et dans le combat remporté du projet sioniste qui pense la nation juive comme une entité en terre d’Israël.
- Gagner la légitimité internationale dont le premier acte a été la Déclaration Balfour et sa ratification par la SDN en 1920 lors de la Conférence de San Remo. Un tournant qui a permis aux Nations de reconnaître le peuple juif jusque-là considéré comme une culture, une religion voire pour certains comme une « race ». Le deuxième acte majeur a été le plan de partage du 29 novembre 1947 qui prévoyait, dans la Palestine mandataire dont les jours venaient à expiration, la création de deux États l’un juif, l’autre arabe. Une légitimité appuyée par la reconnaissance des Nations Unies en mai 1949 de ce jeune État comme membre de son assemblée générale.
- Gagner la légitimité d’Israël par le monde arabe et par les Palestiniens. Cette dernière épreuve reste le défi majeur même si des avancées sont à considérer avec les accords de paix qui ont été signés avec l’Égypte et la Jordanie. Des accords fragilisés par moments mais qui, depuis 40 ans, n’ont pas été altérés malgré deux guerres du Liban, deux guerres à Gaza et deux Intifada. On peut donc considérer que des relations avec le monde arabe peuvent être nouées quand bien même le problème palestinien subsiste.
Des épreuves qui montrent que si Israël est un des rares États au monde à être né du droit, il s’est réalisé par la force compte tenu du refus des pays voisins de reconnaître cette légitimité d’où le primat de la sécurité dans cette société. C’est justement le deuxième point qu’à abordé le conférencier, les épreuves et les acquis de la société israélienne. Tout d’abord l’édification d’une démocratie qui se perpétue dans un État en guerre et dans une société particulièrement hétérogène. Une démocratie qui a inventé sa manière de vivre ensemble, respectant les identités communautaires, bien loin du modèle unificateur français. La société israélienne, sans cesse en mouvement, fonde son contrat social sur un continuum sociétal qui au final, ne se segmente pas. Cela s’exprime dans la vie active dont l’enjeu actuel est d’augmenter la part des femmes musulmanes et des hommes juifs orthodoxes.
Ce tableau de la société israélienne met l’accent sur des relations qui au quotidien ne présentent pas les mêmes tensions que celles relatées dans les médias. Au final, chacune des 4 tribus « Juifs laïcs, Juifs sionistes religieux, Juifs ultra-orthodoxes et Arabes israéliens[1]», selon les termes du président de l’état d’Israël Reuven Rivlin, vit aux côtés des unes et des autres ; elles se croisent, échangent parfois mais elles ne se sentent pas menacées dans leurs spécificités.
Ensuite le défi majeur pour Israël est celui de la paix avec les Palestiniens. Pour éclairer l’auditoire, Denis Charbit énumère les problèmes profonds qui rendent la paix difficile mais pas impossible. Tout d’abord il évoque le sujet de l’exiguïté du territoire (25000 km2). Ensuite il explique le face à face de deux nations à la mémoire meurtrie. Enfin, il note que si les deux peuples qui s’opposent ont une conscience intime du caractère moral et éthique de leur cause, ils ne sont pas convaincus de la légitimité de leur adversaire.
Une légitimité qui ne fait pas défaut à Israël en matière d’innovation et de start-up comme l’a habilement présenté Daniel Rouach, professeur à l’ESCP Europe, enseignant à l’université de Tel-Aviv et au Technion de Haïfa, et président de la Chambre de Commerce et d’Industrie Israël-France. En marquant ses 70 ans, Israël célèbre aussi la prospérité de la « nation start-up » et sa réussite économique face aux menaces régionales renouvelées et aux incertitudes intérieures. Cette intervention intitulée « des start-up pour la paix », pose la problématique de la spécificité d’Israël en matière de High Tech parmi les 600 Valley dans le monde.
Pour notre spécialiste les ingrédients d’Israël Valley sont les universités d’un niveau exceptionnel, les IDE (investissements direct à l’étranger) du monde entier et le venture capital ( capital risque) très développé, la base culturelle des Juifs qui ont toujours été intéressés par l’Étude, la politique gouvernementale en matière de R&D d’abord pour la défense mais pas seulement, et enfin la capacité naturelle à intégrer les vagues successives d’immigrants. Il faut ajouter à ces caractéristiques un état d’esprit propre à Israël acquis dans l’armée ; la persévérance, la ténacité, l’intérêt à créer des liens et à ne pas avoir peur de l’échec. Ainsi la « marmite de l’innovation » est sans cesse en ébullition, dans des incubateurs que les Israéliens n’ont pas inventés mais qu’ils ont surdéveloppés, créant ainsi des lieux extraordinaires pour apprendre l’esprit entrepreneurial, transmettre et permettre la progression en commun. Pourquoi Google, Appel, Yahoo, Airbus… signent des contrats avec Israël ? Car Israël est le lieu de la « disruption » c’est-à-dire « cette méthodologie dynamique tournée vers la création (…) qui fonctionne comme un outil qui accélère la remise en cause des conventions qui brident la créativité des entreprises (…) et permet de faire émerger les visions nouvelles qui sont à l’origine des grandes innovations[2] ».
Le modèle en Israël est sans arrêt en mouvement et l’implication des Israéliens ne faillit pas avec cette capacité à se remettre sans cesse en question et à créer sans limite. La fertilisation croisée, le dialogue technologique, l’ouverture sur le monde, l’esprit d’initiative et la Houtspa (culot) israélienne sont également des points d’accroche pour se développer et créer des start-up qui peuvent aussi servir la paix. Situées majoritairement en Galilée, « les start-up de la paix » œuvrent en synergie dans le pôle technologique de Rawabi où se trouvent des software developers. ASAL technologies, spécialisée dans la sous-traitance de logiciel et de services informatiques intéresse la société israélienne Mellanox experte dans le domaine du haut débit et le poids lourd Microsoft. 5,7% des Arabes israéliens sont employés dans le High Tech avec des progressions incroyables ; en 2010 – 26 000 étudiants arabes fréquentaient les universités israéliennes, actuellement ils sont 47 000. Israël préfère l’action aux paroles et Daniel Rouach nous l’a montré tout au long de son brillant exposé.
Les deux conférenciers ont répondu respectivement aux nombreuses et pertinentes questions d’un auditoire conquis par leur intervention. La salle comble du conseil régional a fait chaud au cœur et nous rappelle qu’Israël, habité par deux idées, la normalisation et l’exigence, a aussi beaucoup d’amis.
Sylvie Altar
[1] Discours du président Reuven Rivlin en 2015.
[2] Jean-Marie Dru, président du groupe de communication américain TBWA