Un article publié dans La Tribune. « Les 28 et 29 septembre 2017, l’Estonie a accueilli, dans sa capitale Tallinn, le premier sommet européen dédié aux questions numériques, thématique qui devrait particulièrement retenir notre attention et susciter d’âpres débats : l’adaptation et l’harmonisation de la fiscalité européenne aux géants du numérique. Par Jonathan Rouach et Ruben Arnold, cofondateurs de QED-it
L’enjeu est immense. En dix ans, plusieurs dizaines de milliards d’euros ont échappé à l’imposition dans l’Union européenne. On se souvient par exemple que Google fut condamné par l’UE à verser 13 milliards d’euros à l’Irlande pour « privilège fiscal indu ». Et on reste coi en apprenant qu’Airbnb a payé moins de 93.000 euros d’impôts en France en 2016 pour un chiffre d’affaires estimé de 120 millions d’euros, soit à peine 775 euros d’impôts pour chaque million d’euros de chiffre d’affaires.
Pour la première fois, une solution coordonnée est envisagée pour résoudre ce problème qui pourfend le principe de l’égalité devant l’impôt. Proposée par Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie, celle-ci consiste à taxer les géants du numérique pays par pays, sur la base de leurs chiffres d’affaires.
Si l’idée paraît séduisante sur le papier, sa mise en œuvre demeure, elle, bien plus incertaine. Concrètement, cela revient à créer une base commune d’imposition. On imagine déjà la gageure. D’abord, des mois de discussions seront nécessaires pour aboutir – dans le meilleur des cas -, à un consensus politique : dans un contexte de désamour du projet européen, on parle en effet de la perte de souveraineté fiscale des États. Viendra ensuite l’heure des problèmes de conception d’une telle solution : que l’on pense seulement aux enjeux d’harmonisation des flux informationnels ou de synchronisation des calendriers fiscaux. On se penchera alors sur les impératifs de sécurisation : comment imaginer qu’une telle solution, dévoilant les chiffres d’affaires des GAFA pays par pays et les informations fiscales qui s’y rattachent, ne suscitent pas à terme l’appétit d’états hackeurs, voire un fiscaleaks ?
Bref, il faudra énormément de ténacité et d’ingéniosité pour que cette idée prenne corps. Et même menée à un rythme d’enfer, plusieurs années pour qu’elle soit opérationnelle. Disons le clairement : c’est bien plus de temps que nécessaire pour permettre aux GAFA, qui sont des champions de l’optimisation fiscale, d’adapter leur stratégie.

Battre les GAFA à leur propre jeu !

Choisir cette voie, c’est entrer dans une impasse… Face au GAFA, nous aurons, au mieux, une fiscalité européenne « Maginot » : bâtie aux forceps, elle ne servira plus à rien le jour où elle sera enfin disponible. Il est possible de disposer d’une solution plus rapide, moins coûteuse, tout aussi fiable, complètement décentralisée ? Que surtout, elle répond à tous les attendus sans contraindre aucun État à divulguer ses données fiscales ? Qu’elle n’oblige aucune partie à remettre en cause sa souveraineté fiscale ?
C’est le sens d’une forme particulière de Blockchain, dénommée « Zero-Knowledge Blockchain ». Celle-ci consiste à combiner la force de la Blockchain à savoir le partage décentralisé de l’information, aux propriétés de protection de données confidentielles du « Zero-Knowledge Proof ».
Concrètement, cette technologie permettrait d’agréger au niveau européen le taux d’imposition globale des entreprises internationales, sans dévoiler les informations fiscales confidentielles pour chaque pays. Plus besoin de taxer les chiffres d’affaires : on peut évaluer la taxation globale des GAFA au niveau européen et agir en fonction. En apportant un indicateur fiscal agrégé au niveau européen, la technologie peut alimenter sainement le débat démocratique sur la fiscalité.
Gestion distribuée de certificats et de réputation, contrôle du risque opérationnel d’un partenaire, visibilité en profondeur sur l’efficacité d’un supply-chain: ce type de solutions se met déjà en place dans les écosystèmes qui veulent partager en temps réel de l’information sans divulguer aucune donnée. Soyons-en convaincus : il est possible de battre les GAFA à leur propre jeu, celui de l’agilité fiscale et technologique. Si nous le voulons vraiment, c’est à portée de main.
 

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