Jean-Marc Moskowicz, Président d’Europe-Israël explique qu’il parait difficile de pouvoir évaluer l’impact qu’aurait un exode massif des Juifs sur l’économie européenne. En France, les données chiffrées sur leur place dans l’économie est formellement interdit. Mais ce que l’on sait, poursuit Moskowicz, c’est que le salaire moyen des Juifs est généralement supérieur à la moyenne nationale.
On sait également qu’ils participent activement à l’économie du continent. Bien que le chiffre soit difficile à estimer, beaucoup d’entre eux se retrouvent dans les professions libérales : médecins, avocats, entrepreneurs. Même plus. Pour Jacques Sapir, économiste, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales (CEMI-EHESS) de Paris, il y a une surreprésentation de ces professions par rapport à la taille des communautés. Pourtant, selon lui, elle n’aurait pas un effet de masse suffisant pour créer un manque d’avocats ou de médecins en cas d’exode.
Il n’y aurait d’ailleurs plus d’activité totalement déstabilisée si les Juifs devaient partir, insiste Sapir. Car aujourd’hui, nous ne somme plus dans le macro-économique mais dans l’individuel, explique-t-il.
A l’opposé, Moskowicz soutient qu’une alya massive impacterait l’économie européenne. Citant la confidence d’un concessionnaire de voitures marseillais, Moskowicz illustre son propos : « Le jour où les Juifs quitteront la France, Mercédès et BMW déposeront le bilan » s’est-il entendu dire. Le Président d’Europe-Israël pense donc que les déclarations de Kantor se montrent très réalistes.
Il croit que cela peut et même va arriver car « la situation des Juifs en Europe ne risque pas de s’améliorer à court terme ». Et pour cause. « Il n’y a pas de mesure contre l’islam radical en Europe. La situation va devenir invivable comme à Malmö en Suède, pourtant un pays calme, où il n’y a plus de Juifs. Malheureusement, les gouvernements des différents pays européens ne font pas grand-chose ». Que les Juifs quittent le continent, « C’est inéluctable, sauf si des mesures draconiennes sont prises. Mais je vois mal l’Europe prendre des mesures contre l’immigration massive d’Afrique du Nord et d’Afrique et pour la fermeture des frontières. L’immigration va continuer. »
Le problème ne vient pas de l’immigration en-soi mais de ce que « ces gens (pas tous) transportent avec eux une idéologie de l’islam radical importée en France », voire en Europe. « Je vois mal un mouvement qui va stopper cela. Il faut essayer de mobiliser les gouvernements » poursuit Moskowicz. « Depuis 5 ans, nous les alarmons sur l’islam radical, sur le danger de cette frange minoritaire.
A l’époque, on nous a traité de racistes et d’islamophobes ». A contrario, le Directeur d’études de l’EHESS juge que la déclaration de Kantor relève d’une « volonté de provoquer une réflexion car en réalité, l’impact serait minime ». Mais il est bon de poser le problème, dans les termes du Président du Congrès juif européen : « avez-vous imaginé ce que représenterait un nouvel exode des communautés juives qui vivent en votre sein ? »
Quoi qu’il en soit, pour Sapir, il ne peut y avoir de conséquence économique ne serait-ce qu’à cause de la taille des communautés qui sont beaucoup plus faibles qu’au début du siècle. Celles qui restent n’ont plus de poids très important. Donc « l’argument économique ne tient pas mais l’argument culturel est plus réaliste ». Par contre, un antisémitisme de type nazi et ses menaces de morts qui exigeraient une autre émigration aurait « des conséquences sur l’imaginaire culturel tout à fait considérable. On pourrait parler de tremblement culturel. C’est pourquoi cela n’arrivera pas » confie Sapir. Pour ce dernier, l’interrogation au sujet d’un possible départ semble donc plus justifiée dans le domaine culturel qu’économique.
Car selon lui aujourd’hui, il ne s’agit plus « d’un problème politique comme dans les années 20. Cet antisémitisme là n’est pas d’actualité. » Par conséquent, Jacques Sapir minore les propos de Kantor. Pour lui, il convient de savoir quelles seraient les communautés les plus susceptibles de partir. Cela revient à se demander qui est considéré comme Juif, suivant la définition restrictive (celui qui pratique, le croyant), soit 200 à 300.000 personnes en France ou l’extensive (celui défini par les antisémites, celui qui a des grands-parents juifs ou celui d’ascendance juive), soit 1,3 à 1,5 million.
Selon la définition, on arrive à un rapport de 1 à 4, voire 5. Sur cette question de savoir « qui est Juif », les deux interviewés se rejoignent, même si leurs chiffres divergent. D’après Moskowicz, dans l’Hexagone, « sur les 500.000 Juifs que compte la communauté, seuls 120.000 sont impliqués dans la vie communautaire ou religieuse. Le reste est assimilé ou contracte des mariages mixtes ». Aussi, ce problème de définition empêche-t-il une discussion sérieuse pour Sapir. En fait, la place des Juifs dans l’économie européenne dépend du pays.
Par exemple, le commerce du diamant à Anvers (Belgique) serait très durement touché si les Juifs quittaient la ville. Pourtant, ce secteur tenu par les orthodoxes, n’est pas très important économiquement. Malgré tout, un hypothétique départ des Juifs du Vieux continent ressemblerait-il à celui des enfants d’Israël sortant du pays d’Egypte, emportant avec eux de grandes richesses ? « Oui, on peut voir un parallèle » admet Moskowicz. Pourtant, « On dit dans la Tora que seul 20% des Juifs ont quitté l’Egypte. Ce sera pareil pour l’Europe ».
Noémie Grynberg 2015