On connaissait les falasha, ces milliers de juifs éthiopiens, affirmant leur filiation avec le roi Salomon et la reine de Saba. Moins connus sont en revanche les Lembas du Zimbabwe, les Igbo du Nigeria ou les Abayudaya d’Ouganda… qui se réclament eux aussi du judaïsme. Juifs par leur origine, juifs par conversion, ou encore par identification au peuple de la Bible, ces différents cas existent sur le continent africain.
Certains se disent descendants des « tribus perdues d’Israël » comme les falasha éthiopiens, d’autres se sont convertis plus récemment à la religion de Moïse, d’autres encore, nourris aux textes bibliques, observent des rituels très proches du judaïsme.
Cette présence juive au sud du Sahara reste une énigme qu’historiens et archéologues commencent seulement à explorer.
Juifs par leur origine
Dans son livre Black Jews (Albin Michel 2014), Edith Bruder, chercheuse associée à la School of Oriental and African Studies à l’Université de Londres, recense une dizaine de groupes ou d’ethnies qui se revendiquent comme juifs. « Les Lemba, présents au Zimbabwe et en Afrique du Sud, pratiquent des rituels très proches du judaïsme antique. » L’analyse ADN de leur patrimoine génétique a révélé qu’ils étaient d’ascendance non-africaine en lignée paternelle. Ce qui signifie que des hommes de ce groupe seraient probablement des sémites venus d’ailleurs et qui auraient épousé des femmes africaines.
D’est…
Le président de la Lemba Cultural Organisation, le professeur Mathiha, affirme que leur origine remonte, en l’an 600 de notre ère, à une tribu juive venue de Sanaa, capitale du Yemen actuel. Rien d’étonnant à cela: il est bien connu que depuis l’époque préislamique, des Hébreux et des marchands arabes judaïsés émigrèrent vers les côtes d’Afrique de l’Est pour des raisons commerciales, ou pour fuir les persécutions.
Déjà, le mythe d’Ophir, relaté dans l’Ancien Testament, situe les mines d’or du roi Salomon sur les côtes orientales africaines, où l’on a retrouvé les vestiges d’une cité antique, nommée Great Zimbabwe. Dans les temps anciens, il a pu y avoir des liens importants entre l’Arabie du sud et la côte sud-est de l’Afrique.
… en ouest
On trouve également des juifs en Afrique de l’Ouest. A Tombouctou, un groupe de musulmans s’est autoproclamé juif dans les années 1980. Ils ont fondé un mouvement qui s’appelle Zakhor, ce qui signifie « se souvenir » en hébreu. Ils disent descendre des Juifs du Touat, une région à la limite du Sahara, dans l’ouest de l’Algérie.
Les Juifs du Touat furent exterminés par le Cheikh el Meghili en 1492. Certains des rescapés purent sans doute s’enfuir vers le Mali actuel. C’est pourquoi l’affirmation, par les membres de Zakhor, qu’ils sont des descendants des Juifs du Touat n’a rien d’invraisemblable.
Il existe les traces (et les témoignages de voyageurs) d’une présence juive sur les routes caravanières transsahariennes et de l’existence de petites communautés juives notamment dans la région de Tombouctou jusqu’au 14ème siècle. Sans tirer de conclusions, le scientifique Théodore Monod a lui aussi été frappé par tout un faisceau d’éléments concordants. Du symbole de l’étoile de David au sceau de Salomon placé au-dessus d’une porte à Ouadane (Mauritanie), ou d’une pierre de Ghormali (Mauritanie), gravée en hébreu.
Juifs par conversion
Selon Edith Bruder, « les Abayudaya d’Ouganda ont adhéré à la religion juive à la suite de la décision d’un de leurs chefs charismatiques, qui aurait découvert les origines juives de sa communauté en lisant la Bible. Dans les années 1910, Samei Lwakilenzi Kakunguku s’est orienté vers le judaïsme après avoir pratiqué le protestantisme. Il entraînera une partie des membres de sa tribu derrière lui, exigeant d’eux une foi absolue en l’Ancien Testament et dans ses commandements, y compris la circoncision. » Cette adhésion se transformera en une conversion collective, lorsqu’en 2002 des rabbins israéliens et américains viendront les convertir officiellement au judaïsme.
Au Nigeria, les Igbo revendiquent également une identité juive depuis des décennies. Une trentaine de synagogues existent entre Abuja et Port Harcourt, et on peut considérer que plusieurs dizaines de milliers d’Igbo pratiquent le judaïsme. Ces derniers, qui s’appellent les Hebrewits, se considèrent d’ailleurs comme des juifs prétalmudiques, sur la base des traditions hébraïques de leurs ancêtres. Selon les différentes versions de leur tradition orale, les Igbo affirment que leurs ancêtres sont venus de la Palestine antique par les anciennes routes caravanières africaines et se désignent comme un fragment de la diaspora juive, voire comme une tribu perdue d’Israël. A ne pas confondre avec les Sabbatherians, qui sont plus deux millions à pratiquer une forme de judaïsme, tout en respectant également le Nouveau Testament.
De même, il existe au Ghana une communauté beaucoup plus ancienne, connue sous le nom de House of Israel qui adhère au judaïsme avec un engagement spirituel proche de la ferveur. Il y a une centaine d’années, un prophète s’est révélé au sein de ce groupe. A la suite d’une vision, il a décrété que son peuple était juif, et a établi des paralèlles entre des coutumes des religions traditionnelles africaines et les rites de l’Ancien Testament.
Prières rabbiniques traditionnelles
Pour Edith Bruder, l’adhésion au judaïsme des Jews of Rusape remonte aux années 1900. « Ces communautés, qui ont fait souche dans le nord-est du Zimbabwe, récitent les prières rabbiniques traditionnelles, pratiquent la circoncision, les interdictions alimentaires et les rites quotidiens. » Ils sont affiliés à la congrégation prophétique américaine Beth El en Virginie. « A l’occasion du shabbat, ils lisent la Torah et chantent une version de leur cru du Shema Israel où se mêlent l’hébreu, l’anglais et le shona. »
Toujours selon Edith Bruder, « le judaïsme syncrétique, pratiqué par ses membres, associe la théologie du judaïsme à celle du christianisme, dans la veine des mouvements black jews afro-américains. »
Au Rwanda comme au Burundi, des Tutsi affirment également descendre des Hébreux. Leur apparence physique et le génocide des Tutsi a renforcé cette identification aux juifs. Mais cette revendication est loin de convaincre historiens et spécialistes.
L’histoire des Beth Yeshorun au Cameroun est plus originale et plus récente. Elle date des années 2007-2008. Ils présentent la caractéristique de s’être formés au judaïsme en utilisant internet. Il est vrai que l’histoire étonnante des falasha a réveillé un peu partout en Afrique le « mythe » des tribus perdues d’Israël.
Falasha, descendants de la reine de Saba
Dans le récit fondateur de la royauté éthiopienne, le Kebra Naast (ou Gloire des rois), qui remonte au XIVe siècle, ce cycle de légende écrit en ge’ez (la langue ancienne des Ethiopiens), relate la conversion au judaïsme de la reine de Saba qui, de retour dans son pays, donna naissance à Ménélik 1er, fils de Salomon et fondateur de la lignée royale éthiopienne, dont l’éducation fut assurée par des religieux dépêchés par son père.
Lorsque Ménélik devint « roi des rois », il fonda la dynastie salomonique qui régna sur le pays durant trois mille ans. Le judaïsme fut instauré comme religion de la famille royale et de l’aristocratie d’Ethiopie jusqu’à leur conversion au christianisme au début de l’ère chrétienne. Il n’aurait persisté par la suite que dans la communauté des Falasha.
Une histoire juive, enracinée en Afrique noire depuis plus de 2000 ans, c’est tout à fait crédible. Cette histoire côtoie nombre de légendes, tant les personnages de la Bible hébraïque ont fortement influencé la spiritualité africaine.
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