Ilana Ferhadian (Copyrights). « Liban-Israël : une paix impossible ? »
Après les accords Abraham signés en septembre dernier entre Israël et de nombreux pays arabes, les regards se tournent aujourd’hui vers d’autres horizons, d’autres pays plus proches encore de l’Etat Hébreu que les Etats du Golfe. Après la Jordanie et l’Egypte aux frontières d’Israël, un autre pays frontalier serait ainsi en bonne posture pour faire la paix avec l’Etat Juif. Le Liban ! Mais qu’en est-il ?
Car si les difficultés intérieures de Beyrouth pourraient l’amener à jeter du lest sur des dossiers stratégiques pour amadouer les décideurs internationaux, les négociations concernant la démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël en Méditerranée sont toujours au point mort, et le Hezbollah, allié de l’Iran, ennemi du peuple juif, est toujours une force vive dans le pays du Cèdre.
Une rancune tenace envers Israël
Aujourd’hui une réelle division se dessine dans la région du proche et du moyen orient… Car la région est actuellement divisée en effet en trois axes : l’alliance turco-qatarie, qui passe par une partie de la Libye et de la Syrie, l’axe iranien autoproclamé de la « résistance », qui va de l’Irak à la Méditerranée et enfin l’alliance israélo-émiratie, qui gagne en puissance depuis les accords de normalisation. Alors que la région se recompose donc autour de ces trois pôles essentiellement non arabes (soit la Turquie, l’Iran et Israël), le Liban est lui toujours empêtré dans ses contradictions stratégiques qui l’empêchent de se positionner, éventuellement en dehors de ces axes, de façon claire.
D’abord à cause du Hezbollah, qui ne veut absolument pas faire la paix avec Israel et qui tient sa rancune tenace, après les différentes guerres avec l’Etat Hébreu. Il est donc improbable pour le groupe terroriste libanais de poursuivre l’idée d’un remodelage de la région, à l’image d’un accord Abraham. Le Liban reste donc, de facto, dans l’axe iranien.
La question de la normalisation des liens avec Israël demeure d’ailleurs un vrai tabou au Liban. Il faut rappeler que les deux pays sont encore techniquement « en guerre ». Le Hezbollah islamiste, plus dur que ses prédécesseurs a gagné en puissance sur la scène libanaise.
Une volonté d’apaisement malgré tout
Mais la crise économique qui frappe actuellement le Liban pourrait toutefois pousser le Liban à faire des concessions, et donc des pas en direction d’Israël. D’ailleurs, le front est plutôt stable depuis la dernière confrontation de 2006, et la communauté internationale s’inquiète du risque d’opération militaire et encourage donc fortement un gel des hostilités, soit pratiquement un retour à l’accord d’armistice de 1949 avec Israel. Rappelons que les dernières négociations visant à aboutir à une paix remonte aux années 1990, décennie durant laquelle l’ensemble du Proche Orient, y compris la Syrie de Hafez el-Assad, était prêt à favoriser l’action diplomatique. Le Liban est également partie prenante de l’initiative arabe de paix de 2002 qui consiste à conditionner la paix avec Israël à la création d’un État palestinien dans des frontières d’avant la guerre des six jours, en 1967.
Très récemment, l’automne dernier, des négociations avaient également commencé entre Jérusalem et Beyrouth sur le fameux dossier de la délimitation de ses frontières maritimes avec Israël, et les hydrocarbures. Il faut dire que ceux-ci sont particulièrement stratégiques pour le Liban. Le pays, en faillite, mise sur la prospection pour enrayer un effondrement économique, renforcé depuis le terrible accident d’aout dernier au port de Beyrouth. pays a cependant fait un pas important au cours de ces derniers mois.
Ainsi, pour la première fois depuis des années, le 14 octobre 2020, le Liban et Israël avaient engagé un premier round de discussions afin de lever les obstacles à la prospection d’hydrocarbures dans une portion disputée de leur frontière en Méditerranée ; un signe certain d’une stabilisation du front nord, et des nouvelles dynamiques en cours.
Malheureusement, ces négociations sur les frontières maritimes sont actuellement à l’arrêt. Mis en cause, entre autre : le Hezbollah qui en a fait une nouvelle carte de pression, utilisable dans le cadre des négociations irano-américaines. Ces tensions sont un poids pour le Liban car la communauté internationale, qui souhaite aider le pays à se reconstruire, a justement imposé plusieurs conditions liées à des réformes en lien direct avec Israël.
Des discours politiques positifs au Liban
En tout cas, la souplesse dans l’approche des relations libano-israéliennes s’est aussi reflétée dans plusieurs discours politiques. Dans une interview à BFMTV, en août 2020, le chef de l’État Michel Aoun avait répondu par un «cela dépend» à une question sur une signature possible d’un accord de paix avec Israël, lorsque « les problèmes » entre le Liban et l’État hébreu seraient « résolus ».
De son côté, Gebran Bassil, le chef du CPL, le courant patriotique libre (NDLR :le parti fondé par Michel Aoun), avait suscité un tollé en 2017 en parlant d’une « absence de conflit idéologique » avec Israël. Plus tard encore, Gebran Bassil avait affirmé que le Liban « voulait la paix et non la guerre », mais qu’il se défendrait au cas où il était attaqué. Un pas en avant, deux pas en arrière ? En réalité, à travers ses positions, on peut penser que le chef du courant aouniste tente de concilier à la fois ses rapports avec son allié chiite, le Hezbollah, et la communauté internationale.
Enfin, le parti «courant du Futur » dirigé par Saad Hariri se réserve aussi sur son hostilité envers Israël, ce qui explique les bonnes relations qu’il entretient avec les Émirats Arabes Unis, qui seraient disposés à jouer un rôle au niveau de la délimitation des frontières.
Le Hezbollah, ennemi juré d’Israël
En revanche, d’autres sont beaucoup plus frileux et hostiles à la question de paix avec Israel. Du côté du Hezbollah, il va sans dire que la question de la normalisation n’est pas envisageable… D’ailleurs, le Hezbollah considère que les crises auxquelles le Liban est confronté et le refus de la communauté internationale de l’aider visent à affaiblir le pays pour le pousser à signer une paix avec Israël, dont la sécurité serait alors garantie.
Et que dire d’Hassan Nasrallah ? Sombre personnage, soutenu par l’Iran, le chef du Hezbollah est aujourd’hui considéré comme une cible d’Israël depuis des années. Certains officiels israéliens se sont, à propos, à plusieurs reprises moqué de lui parce qu’il vivrait aujourd’hui reclus dans un bunker et ne ferait que de très rares apparitions publiques.
Rappelons que la dernière grande confrontation entre le Hezbollah et Israël remonte à l’été 2006. Depuis, le groupe terroriste et l’armée israélienne échangent de manière sporadique des tirs le long de la frontière entre les deux pays, sans que cela n’engage de véritable guerre. De son côté, l’aviation israélienne frappe régulièrement en Syrie, et secrètement, des positions de milices pro-iraniennes, là où se trouveraient des caches d’armes du Hezbollah destinées à frapper Israel.
Estimant à plusieurs centaines de milliers le nombre de missiles possédés par le Hezbollah, le ministre de la défense israélien Benny Gantz dévoilait ainsi il y a quelques mois à la télévision américaine une carte montrant l’emplacement des forces terrestres, des sites de stockage, des bureaux de commandement et des sites de lancement de missiles du Hezbollah au milieu des infrastructures civiles au Liban.
Aujourd’hui, les menaces et mises en garde sont quasiment quotidiennes, à la fois des deux partis. « Si le Hezbollah mène des actions contre Israël, le Liban en paiera le prix », c’est ce que déclarait encore récemment Benny Gantz, ministre israélien de la défense. Et en février dernier, Tsahal effectuait un exercice surprise de trois jours simulant une guerre à grande échelle avec le Hezbollah, comprenant des frappes simulées sur quelque 3000 cibles en une journée.
Une menace claire pour le groupe terroriste libanais. Pour l’instant donc pas de paix en vue entre Israël et le Liban, tant que le Hezbollah, du moins, restera au pouvoir.