Les opérations pas assez secrètes d’Israël.
Ce n’est pas la première fois qu’une opération militaire israélienne en territoire ennemi, se retrouve au cœur du débat public. Les derniers épisodes iraniens interviennent au moment où Israël se débat dans une nouvelle crise politique. Ce qui n’a certainement rien à voir avec l’opération en elle-même. Une action comme celle qui a visé dimanche l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz exige des mois de préparation. Et elle n’est lancée que lorsque tout est prêt. On imagine donc mal que le Premier ministre israélien ait donné son feu vert pour des considérations de politique intérieure, ni même pour mettre dans l’embarras le Secrétaire américain à la Défense, qui se trouvait en Israël le même jour.
Ce qui est plus troublant en revanche, c’est la publicité faite autour de l’opération. Dans la guerre, ou plus exactement la campagne entre les guerres, qui oppose Israël à l’Iran, une bonne partie de la doctrine repose sur l’absence de signature des actions menées par Israël. Cela permet d’atteindre l’objectif souhaité, en limitant les risques d’escalade qu’entrainerait une riposte de l’ennemi, qui peut préférer faire comme si rien ne s’était passé, ce qui lui est impossible quand l’attaque qui l’a visé est clairement revendiquée. Dans le cas de l’opération qui a ciblé la centrale de Natanz, tout comme dans celle qui a visé la semaine dernière un navire iranien en mer Rouge, des informations ont fuité vers la presse. Et ce n’est pas fortuit. Le journal qui a bénéficié de ces renseignements précieux est le New York Times et son analyste israélien Ronen Bergman, très introduit dans les milieux sécuritaires israéliens. Quiconque le juge opportun peut donc lui faire parvenir sans difficulté l’information qu’il souhaitera voir publier, en sachant que personne ne remettra en question sa crédibilité.
Dans certains cas, il peut être intéressant de médiatiser une opération sans en prendre officiellement la responsabilité, quand cela ajoute à la force de dissuasion d’Israël. Mais dans le cas présent, Israël est de toute façon déjà le « suspect habituel ». Alors, diffuser l’information à partir d’une source israélienne sous forme de revendication officieuse a d’autres implications. Il renforce les soupçons de l’Iran et le mettent en position presque obligée de désigner publiquement Israël et de promettre des représailles. Et sur la scène intérieure israélienne, cela renforce le sentiment que l’étau iranien se resserre et exige des mesures politiques adaptées, à commencer par la formation urgente d’un gouvernement.
Mais une revendication hâtive peut aussi avoir des répercussions graves pour ceux qui sont sur le terrain et qui peuvent se retrouver exposés. Dans le cas de l’attaque la semaine dernière contre le navire iranien, l’information a été transmise au New York Times un jour trop tôt. Une erreur qui aurait pu coûter des vies humaines. Il ne faudrait donc pas céder trop facilement à l’envie de clamer publiquement la paternité d’une attaque sans avoir tout vérifié au préalable. On peut comprendre à cet égard la mauvaise humeur de certains anciens hauts responsables des services de sécurité israéliens, qui ont condamné ces demi-revendications. De même que l’on peut comprendre la décision du ministre de la Défense Benny Gantz d’ouvrir une enquête interne sur les circonstances de ces publications. Et dans le climat de fébrilité actuelle, une escalade iranienne n’est jamais à exclure.
Pascale Zonszain (Radio J / Copyrights)