Dov Zerah (Editorial). La crise du Covid-19 remet en selle le Fonds monétaire international (FMI) pour participer à la résolution de ses effets économiques. Créé en juillet 1944, à la conférence tenue à Bretton Woods, le FMI avait pour mission principale jusqu’en 1976, de veiller au respect du système de changes stables et à la convertibilité des monnaies. L’objectif était d’éviter les dévaluations compétitives perturbant les échanges internationaux, considérées avec l’accroissement des droits de douane comme les principales causes de l’accentuation et de la durée de la crise ouverte en 1929.
Accords de la Jamaïque |
Les accords de la Jamaïque ont mis fin au système des changes fixes et modifient radicalement la mission du FMI même s’il est toujours chargé de mettre à la disposition des pays-membres les ressources financières leur permettant de rétablir leurs balances des paiements courants, sous réserve de conduire des politiques macroéconomiques appropriées. En 1976, il a perdu son rôle de gendarme des changes pour devenir le pompier du monde.
Dans les années quatre-vingt-dix, son rôle a été déterminant pour aider les pays d’Afrique sub-saharienne à sortir de la crise, avec notamment les plans d’ajustement structurel conduits sur la base du «consensus de Washington». D’autres pays comme l’Argentine ou le Mexique ont pu dépasser leurs difficultés financières grâce au FMI.
La crise financière de 2008 lui a donné de nouvelles perspectives avec un regain de l’activité de prêts à des États ayant des difficultés avec les marchés ; mais la perspective d’un rôle accru dans la gouvernance financière internationale ne s’est pas confirmée. Pour faire face à cette nouvelle crise, le monde a besoin du FMI. Saluons que le FMI n’a attendu l’invitation d’aucun État ou groupe d’États pour agir :
– Il a prêté à de nombreux pays, la Bolivie (320 millions£), la Côte d’Ivoire (886,2 millions$), Haïti (112 millions$), la Tunisie (745 millions$) … Les besoins sont importants compte tenu de la baisse attendue du PIB qui passerait, selon l’ONU, de 3,2 % à -2 %. Le spectre de la décennie quatre-vingt-dix resurgit !
– Il a accordé 215 millions$ d’allègements de dettes à 19 pays africains. Le sujet de la dette africaine peut très vite devenir un sujet de discorde avec la Chine. Les annulations de dettes réalisées au début du millénaire ont conduit à la mise en place d’une discipline collective supervisée par le FMI pour éviter de reconstituer à plus ou moins brève échéance un nouveau «mur de la dette». Mais, depuis plus d’une vingtaine d’années, la Chine a prêté à pratiquement tous les pays africains pour sécuriser ses sources d’approvisionnements en matières premières et conforter ses débouchés commerciaux. Elle l’a fait de son propre chef, de manière bilatérale ; le FMI et ses principaux actionnaires l’ont accepté.
La semaine dernière, mercredi 15 avril, les pays membres du G20 dont la Chine ont proposé de suspendre le paiement de la dette jusqu’à fin 2020. Mais les pays africains attendent un moratoire, voire des annulations. Á la différence de ce qui s’est passé au début du millénaire, tout nouveau plan d’annulations de dettes ne pourra se faire sans une implication totale de la Chine ; aucun chiffre n’ayant été rendu public par Pékin, ses créances seraient, selon certaines estimations de 150 milliards$, plus d’un tiers de la dette publique totale africaine.
La Chine a déjà annulé la dette de certains pays, mais elle l’a fait de manière bilatérale, en dehors des règles collectives du Club de Paris. La procédure multilatérale est essentielle pour empêcher qu’un créancier obtienne des contreparties dolosives.
Pour faire face à tous ces besoins, le FMI aura besoin de ressources. Comme chacun de ses principaux actionnaires, États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Chine…mobilise ses capacités pour relancer son économie, est logiquement réapparue l’idée d’émettre des droits de tirage spéciaux (DTS). Nouvelle monnaie internationale, le DTS a été créé en 1969 pour faire face à l’incapacité du dollar à jouer son rôle de monnaie véhiculaire du commerce international et des difficultés du système de l’étalon or. Depuis 2016, sa valeur est calée sur un panier de monnaies convertibles, le dollar, l’euro, le yen et la livre sterling auxquelles a été ajoutée la devise chinoise, le yuan.
Enfin, le FMI vient de publier sa mise à jour de ses données prévisionnelles, retracées dans le Word Economic Outlook. Sans grande surprise, elles annoncent la plus grave crise économique depuis la fin la seconde guerre mondiale, avec pour 2020 une baisse de 3% du PIB mondial. Ce chiffre global recouvre de très grandes disparités :
– La zone euro serait la plus durement touchée avec -7,5%, tous les pays étant particulièrement atteints, -7 % pour l’Allemagne, -7,2% pour la France, -9,1% pour l’Italie ; ses voisins le sont également, Algérie (- 5,2%), Maroc (- 3,7%), Royaume Uni (6,5%), Tunisie (- 4,3%), Turquie (-5%), Afrique sub-saharienne (-1,6%)…
– Le PIB des États-Unis reculerait de 5,9%. L’Amérique latine ne serait pas mieux lotie avec des baisses autour de 6% pour les grands pays.
– La croissance chinoise serait plus faible que les traditionnels 6 % par an, mais néanmoins positive à 1,2 % !
Ces perspectives sont susceptibles d’alimenter le discours sur la responsabilité de la Chine dans cette pandémie. Cette situation est un des effets collatéraux inéluctables du modèle économique chinois. Depuis trente ans, nous avons beaucoup accepté des Chinois pour leur vendre nos productions, voire nos technologies… dumping social, dumping environnemental et dumping monétaire… Ne fermons plus les yeux ! Depuis trente ans, la Chine a engrangé des excédents commerciaux au point d’avoir accumulé 3.000 milliards$ de réserves. Pendant ce temps, nous avons enregistré des déficits et accepté les fermetures de nos usines. L’échange international ne peut durablement perdurer sans respect d’un minimum de règles. Le fléau du virus peut permettre de mettre à plat les conditions de fonctionnement du commerce international. Á défaut le national-populisme va prospérer !
Nous avons un besoin urgent de coopération internationale pour déterminer les règles de fonctionnement de notre monde. L’apparition hier de prix négatifs pour le pétrole en constitue une preuve supplémentaire.
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