Le professeur Antoine Compagnon, du collège de France, a décidé de profiter de la période de confinement pour relancer un projet de recherche entamé il y plusieurs années sur la manière dont l’œuvre de Marcel Proust fut lue dans la communauté juive française au cours des années 1920, en particulier du côté des jeunes sionistes. Ce projet est présenté au public sous la forme d’un feuilleton hebdomadaire.
Toute une génération de lecteurs juifs a été influencée par Proust, après la publication Du côté de chez Swann lors de la publication du premier volume d’À la recherche du temps perdu en 1913, à la veille de la guerre, ou plutôt le deuxième tome, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, après le prix Goncourt de 1919 et grâce à la réclame qui suivit. Cette classe d’âge, revenue de l’illusion assimilationniste qui avait caractérisé le franco-judaïsme entre la monarchie de Juillet et l’affaire Dreyfus, fut volontiers tentée par le sionisme politique après la déclaration Balfour de novembre 1917 en faveur de l’établissement d’un foyer national juif en Palestine.
Quelle fut leur attitude à l’égard de leurs aînés, de Proust au premier chef ? Se méfièrent-ils de lui ? Furent-ils séduits ? Le rejetèrent-ils, l’annexèrent-ils, ou bien le méconnurent-ils, d’autant que Proust est parfois qualifié d’« antisémite » aujourd’hui, voire d’« antijuif » du fait du traitement de Bloch, Swann, Nissim Bernard ou Rachel dans ses romans.
Sauf que les jeunes sionistes proustiens des années 1920 ne furent point du tout alertés par ce relent. Comment jugèrent-ils Proust et son roman ? Les qualifier l’un ou l’autre, l’homme ou l’œuvre, d’antisémite, ou les deux, cela a-t-il vraiment un sens ? Ou bien cet arrêt repose-t-il sur un anachronisme, la projection sur le passé de nos susceptibilités actuelles et de notre bonne conscience, instruites de la Shoah ?
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