L’étendue et la vitesse de la pandémie nous bousculent. Nos capacités à comprendre la situation et à réagir sont mises à l’épreuve. Or le temps est compté…
Alain Rajchman-Richemond, auteur de « La résilience économique » a répondu aux questions de Béatrice Nakache pour Mosaïques :
– Les appels à la responsabilité des gouvernements, y compris en Israël, n’ont pas été entendus et suivis avec rigueur ? Cela va-t-il retarder notre résilience face à crise du coronavirus ?
A.R. Je le crains, car le déni a toujours été un frein à la résilience. Si l’on reste dans une fausse représentation comme « tout va bien, il ne s’agit que d’une grippe… « , il est difficile d’affronter la réalité de la situation, aussi dramatique soit-elle. Les distorsions cognitives entretiennent le déni et donc retardent le suivi des mesures à prendre. Dès lors, on comprend mieux la sévérité croissante des mesures gouvernementales face à l’indiscipline des citoyens.
D’après Boris Cyrulnik, le monde vivant se reconstruit, mais autrement après une crise majeure. Quelle fracture voyez-vous se mettre en place dans le monde économique ? Sur quelle nouvelle base devrait-il se reconstruire ?
A.R. La planète va devoir apprendre à passer brusquement d’un monde de l’hypermobilité à un monde de l’immobile. Pouvait-on imaginer nos grandes capitales désertes, les sites touristiques abandonnés et le monde du travail soudainement transporté de l’entreprise à la maison ? Ce sont des changements profonds qu’il va falloir intégrer pour travailler et vivre autrement.
Quel est selon vous notre principal facteur de résilience pour y parvenir ?
A.R. Claude Lévi-Strauss parlait des « bricoleurs » pour désigner dans chaque civilisation ceux qui imaginent un nouveau futur et des solutions nouvelles pour rebondir. Je perçois dans la créativité d’Israël toutes les ressources pour faire face à cet enjeu de résilience. Le pouvoir d’innovation du pays devrait placer Israël en tête des pays capables d’apporter des solutions nouvelles à la planète en voie de reconstruction.
Mais comment le monde économique durement touché pourra-t-il se reconstruire ?
A.R. La première vague du tsunami que nous vivons est sanitaire : l’urgence est de sauver le plus de vies possibles. La seconde vague du tsunami sera économique en raison de la mise à l’arrêt des activités économiques. Les niveaux de chômage vont exploser et il est à craindre de nombreuses faillites d’entreprises. Les déclarations des États pour soutenir les chômeurs, les entreprises et l’activité vont vite rencontrer des limites financières. Ici aussi des réactions coordonnées et solidaires seront nécessaires. Il faudra trouver des sources de financement et on peut rappeler que dans des temps difficiles de nombreux pays ont fait appel à des « Emprunts Obligatoires » pour puiser – avec autorité – dans l’épargne du pays les moyens de financer le redressement. Cela s’est fait par exemple en France lors de la Première Guerre Mondiale ou en 1983 sous le gouvernement Mauroy.
Enfin il est à craindre que face à une telle catastrophe économique, il faudra du temps et des efforts pour retrouver un niveau de croissance et d’emploi satisfaisant. Je prendrai un exemple relatif à la globalisation de l’économie : le taux d’exportation de la France juste avant la catastrophe de la Première Guerre Mondiale s’élevait à 18% du PIB, ce niveau ne sera retrouvé qu’au milieu des années 70, soit plus de 60 ans plus tard…En revanche l’exemple de la reprise d’activité dans la province chinoise de Wuhan donne une lueur d’espoir en faveur d’un rebond massif et rapide de l’économie.
Que vous inspire la multiplication des programmes gouvernementaux au nom de la « résilience » ?
A.R. La résilience ne se décrète pas, la mobilisation de toutes nos ressources pour faire face n’obéit pas à la seule volonté. Je ne suis pas surpris que le Président Macron comme B. Gantz aient dénommé leurs programmes ainsi pour se donner une crédibilité, créer un mot d’ordre. La réalité montre que des pans entiers de la population ont ignoré les mesures, soit par déni, soit pas défi.