Le bruit des bottes, c’est l’étincelle qui souvent fait flamber les cours du pétrole. Or, de la fin de l’été 2019 aux premiers jours de 2020, le foyer s’est ranimé à deux occasions.

Une première fois début septembre après l’attaque d’installations saoudiennes qui a fait craindre un temps un asséchement des approvisionnements du géant pétrolier et fait grimper les cours de 13% en une seule séance, l’équivalent de 8 dollars. Le soufflé est vite retombé d’autant plus que les réparations et la reconstitution des capacités de production ont surpris par leur rapidité. Nouveau coup de chaud, début janvier après l’attaque au drone portée contre le général iranien Qassem Soleimani, fomentée par les Américains : la crainte d’une escalade des tensions entre Téhéran et Washington propulse le baril à la frontière des 70 dollars, qui redescend tout aussi rapidement.

Des prix fondamentalement faibles

Ces deux épisodes, nous envoient deux messages forts. Le premier, c’est que le marché est fondamentalement à des prix bas :

  • parce que le monde croule sous l’offre depuis que les Etats-Unis se sont massivement lancés dans l’exploitation des pétroles et gaz de schiste et suit sans difficulté une demande moins vigoureuse qu’attendue avec le ralentissement de la croissance mondiale ;
  • parce que l’Opep, même augmentée de la Russie, ne parvient plus à contrôler les prix même avec la mise en place de quotas ;
  • enfin parce que les États-Unis sont entrés en période électorale et que Donald Trump a fait des prix bas de l’essence l’un de ses chevaux de bataille. Pour faire court, il n’hésitera pas à puiser dans les réserves stratégiques si besoin.

Ormuz, un détroit incontournable

Second enseignement, tous ces fondamentaux peuvent être balayés par le contexte géopolitique sur un marché hautement spéculatif. Or 2020 est placée sous de hauts risques et il ne faudra pas simplement s’arrêter aux pays producteurs mais aussi porter son attention aux routes du pétrole. L’épisode iranien en donne une parfaite illustration. Si les cours ont brutalement pris leur envol après l’assassinat de Qassem Soleimani, ce n’est pas en raison du poids de l’Iran dans la production mondiale. Avec environ 5 millions de barils jours, la République islamique pèse environ 5% de l’offre totale. Non, si les cours se sont envolés c’est parce que l’Iran a la capacité de bloquer le détroit d’Ormuz, ce couloir maritime qui relie les producteurs d’hydrocarbures du Moyen-Orient aux marchés d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord. Avec 21 millions de baril jours, c’est la route principale du commerce pétrolier mondial, le détroit le plus stratégique du monde par lequel transite un tiers du pétrole transporté par mer, soit l’équivalent de 20% de la consommation mondiale. C’est aussi une artère incontournable pour le gaz liquéfié.

Frictions avec Ankara

Le contrôle des routes du pétrole est un enjeu stratégique fondamental et souvent source de conflits. Faute d’accord sur les modalités de livraison, la Russie a ainsi brutalement cessé de livrer du pétrole à la Biélorussie en coupant les vannes de l’oléoduc Droujba. Or le pétrole est une ressource vitale pour ce pays enclavé. C’est aussi le Congrès américain qui fin 2019 promulgue une loi imposant des sanctions contre les entreprises associées à la construction du gazoduc russe Nord Stream 2. Le but est de bloquer ce projet de pipeline qui passe sous la mer Baltique en contournant l’Ukraine, privant ainsi l’allié des États-Unis d’importantes ressources financières.

La liste n’est évidemment pas exhaustive et s’est enrichie d’un nouveau front, plus inquiétant, qui concerne directement l’Europe. Six pays sont principalement concernés : la Grèce, Israël, Chypre et à un degré moindre l’Egypte d’un côté, la Turquie et la Libye de l’autre. L’enjeu est double :

  • Il y a d’abord l’accès à des nouvelles ressources gazières et pétrolières au large de Chypre dont les gisements seraient équivalents à ceux de la mer du Nord. Une zone historique d’affrontement entre la Grèce et la Turquie qui s’est alliée avec la Lybie pour étendre ses frontières maritimes. Cet accord lui permettrait d’augmenter de 30% la superficie de son plateau continental et sa zone économique exclusive, compliquant encore un peu plus le conflit d’appropriation des réserves avec Chypre et les îles  grecques (Crête et Rhodes notamment).
  • À cela se superpose le projet de gazoduc EastMed qui consiste à acheminer entre 9 et 11 milliards de mètres cubes par an de gaz naturel en provenance de Chypre et d’Israël (qui a décidé de contourner la Turquie, son allier historique) et qui se reliera aux projets de gazoducs Poséidon (interconnexion entre la Grèce et l’Italie) et IGB (interconnexion entre la Grèce et la Bulgarie). C’est une zone de plus de frictions avec Ankara.

Les fondamentaux du prix des hydrocarbures sont à la baisse, mais rarement les routes du pétrole n’ont été aussi tortueuses avec un risque d’embasement. Bref, 2020 risque d’être très agitée.

https://www.latribune.fr/

 

 

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