Un article de Sabine Roitman.
Les autorités rabbiniques ont fort à faire de nos jours, sur des questions dont les réponses ne sont pas forcément évidentes, bien que le terme de Hala’ha désigne comme chacun sait une loi religieuse « en marche ». Avec le développement de la science et des technologies à un rythme de plus en plus effréné, surgissent des nouveautés qui bouleversent notre façon de vivre, qu’il s’agisse de se nourrir, de se loger, de se déplacer, de communiquer ou simplement d’assurer sa propre sécurité. Du coup se posent de plus en plus nombreux des problèmes qui obligeront les rabbins à prendre position, à trouver des solutions, à décider.
Et demain ? Des scientifiques israéliens ont récemment annoncé qu’ils avaient réussi à produire « in vitro » de la viande artificielle à partir de cellules-souches prélevées sur un animal vivant, processus de croissance accélérée produisant en trois semaines dans des incubateurs un tissu musculaire ayant le goût, l’apparence et la texture de la viande naturelle. Le coût de la nourriture produite avec cette technologie est encore élevé, mais il faut déjà se poser la question de savoir si elle sera ou non considérée comme cachère, si elle dispensera de la che’hita, ou encore si elle pourra être consommée avec des produits lactés.
Avec Israël qui en visant la Lune vient de se lancer dans la conquête de l’espace, et même si la question semble encore bien théorique, les rabbins ne vont-ils pas devoir réfléchir aux règles à faire respecter par d’éventuels astronautes juifs orthodoxes ?
Cette question qui était autrefois une blague est devenue réalité… Autre défi avec la GPA (gestation pour autrui), domaine dans lequel les autorités rabbiniques, en s’appuyant sur les précédents bibliques de Sarah et de Rachel, ont fait preuve d’une rare ouverture d’esprit qui les montre modernes et éclairés, en acceptant le principe de la mère porteuse, là où d’autres religions restent particulièrement frileuses.
On a souvent parlé de l’inventivité et du génie créatif des juifs, qui s’étendent aussi au domaine religieux. Il est sûr que d’avoir été persécutés et pourchassés pendant des siècles leur a imposé de développer un rare sens de la vigilance, et à les a rendus particulièrement adaptables afin de survivre sans renier leur essence profonde : expulsés de pays en pays, ils sont devenus polyglottes. Isolés dans des ghettos, ils ont accru leur amour de l’étude.
Vivant dans un présent souvent misérable, ils ont cultivé la transmission de leurs valeurs et de leur passé glorieux, une priorité à l’éducation et leur espérance d’un futur meilleur : le peuple juif est ainsi une vivante illustration du darwinisme, raflant près de de 30% des Prix Nobel alors qu’il ne représente que 0,3% de la population mondiale…
Le judaïsme a toujours cherché à maintenir un équilibre entre morale et monde matériel, entre spiritualité et rituel. Lorsque les tenants du seul rituel en oublient le sens profond pour le dévoyer en pure ritualité, on verse dans un intégrisme ultra-orthodoxe.
Et quand la seule spiritualité prime, ses adeptes finissent par oublier leurs propres racines pour exalter un réformisme « libéral », voire pour aller quêter chez d’autres un graal hypothétique, tels ces jeunes partis à la recherche d’eux-mêmes dans les drogues hallucinogènes ou dans des ashrams en Inde.
Au plan spirituel en effet, le judaïsme est à beaucoup d’égards la religion du « en même temps » : la seule qui connaisse à la fois un Nouvel An de Nissan qui commémore le début de l’Histoire Juive avec la sortie d’Egypte et Pâque, mais aussi un autre en Tichri, anniversaire de la création du monde, Nouvel An universel avec Roch Hachanah.
La seule sans doute qui privilégie de manière aussi égale l’individu et le groupe, qui ne ressente aucune contradiction morbide entre Dieu et sa création, face à l’homme qui à la fois en fait partie et en est l’agent de progrès, de « réparation », de Tikoun Olam. La seule enfin qui espère qu’un jour le loup finira par paitre avec l’agneau, si l’on en croit le prophète Isaïe…