Israël : Nétanyahou bien placé pour former une nouvelle coalition à l’issue de législatives très serrées

Un article copyrights Le Monde : « Après le dépouillement de 95 % des bulletins, le Likoud et la formation Bleu Blanc obtiennent chacun 35 députés. Mais le premier ministre israélien sortant apparaît en mesure de constituer une coalition avec les partis religieux et l’extrême droite.

Par Piotr Smolar Publié hier à 21h25, mis à jour à 10h32

Lorsque au petit jour, le brouillard se leva sur le champ de bataille électoral israélien, mercredi 10 avril, un redoutable combattant émergea en vainqueur. Un homme en passe de relever son pari, exceptionnel en démocratie, celui d’obtenir un cinquième mandat à la tête du pays, malgré l’usure du temps, les scandales qui l’escortent et un adversaire plus consistant que jamais.

Benyamin Nétanyahou, qui fêtera ses 70 ans en octobre, pourrait rédiger un manuel de survie à l’attention des mouvements populistes et identitaires en ascension ailleurs dans le monde. Après le dépouillement de 95 % des bulletins, mercredi matin, sa formation, le Likoud, obtenait 35 sièges (26,27 %, soit 1,06 million d’électeurs sur 6,3), le même nombre que celui de Bleu Blanc (25,94 %), l’agglomération constituée de trois partis autour de l’ancien chef d’état-major Benny Gantz.

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Ce dernier a réussi une performance remarquable en amenant si haut, avec son allié Yaïr Lapid et l’ancien ministre de la défense Moshe Yaalon, un attelage qui n’existait pas il y a encore trois mois. Mais l’égalité en nombre de députés ne peut dissimuler le succès du premier ministre israélien.

D’abord parce que le Likoud améliore de cinq sièges son score de 2015. Ensuite parce que l’arithmétique des blocs, la seule qui importe vraiment dans le système parlementaire israélien, lui offre un avantage décisif pour constituer une nouvelle coalition d’au moins 61 sièges.
« Dans un système parlementaire à partis multiples, il n’est pas très important de savoir qui arrive en tête, confirme le professeur Abraham Diskin, du groupe de réflexion Kohelet Policy Forum. On l’a vu en 2009 avec le parti Kadima de Tzipi Livni, qui croit encore aujourd’hui qu’elle a gagné cette élection contre Nétanyahou. » Mercredi matin, dans un message adressé aux cadres de son parti, Benny Gantz voulait encore croire à la possibilité de « manœuvres politiques » favorables. Mais un gouvernement d’union nationale, par exemple, semblait très improbable.

Bluff mutuel

Après la publication de sondages de sortie des urnes à 22 heures, les deux partis rivaux avaient tous deux proclamé leur victoire, dans un bluff mutuel qui ne trompait personne. « Nous avons gagné ! Ces élections ont un vainqueur clair et un perdant clair », annonçait un communiqué de Benny Gantz et de Yaïr Lapid. La formule hâtive était reprise sur toutes les antennes par leurs candidats. Illusion d’un soir, classique des élections israéliennes.
Dans un scrutin où la participation s’est élevée à 67,8 %, les deux principales listes se situent à un niveau qui n’avait pas été atteint depuis la victoire du Parti travailliste en 1992 avec Yitzhak Rabin (44 sièges). « Les sondages avaient perçu la dynamique générale, mais pas un niveau aussi élevé pour ces partis, dit l’analyste Dahlia Scheindlin. Les indécis n’ont pas porté leur choix sur des votes protestataires, contrairement à ce qu’on voit ailleurs dans le monde, mais sur les grandes formations. »
Cette polarisation puissante s’explique, d’un côté, par un vote utile en faveur de Benny Gantz, mû par une volonté d’alternance, davantage que par une forte adhésion pour ce nouveau venu aux convictions politiques incertaines. Conséquence : le Parti travailliste, autrefois pilier du centre gauche, s’effondre à un niveau sans précédent, avec six sièges (moins de 5 % des voix), autant que la liste arabe Hadash-Taal. Son chef de file, Avi Gabbay, ancien ministre de M. Nétanyahou, porte une part de responsabilité. L’identité travailliste est devenue une énigme qui suscite l’indifférence.
Un phénomène semblable de vote utile a eu lieu en faveur du Likoud. Dans ce camp, les questions identitaires, la stature d’homme d’Etat de M. Nétanyahou et la défense du projet colonial en Cisjordanie ont largement pris le dessus sur les considérations éthiques. Les appels à la mobilisation lancés par le premier ministre ont asséché, comme en 2015, certaines formations extrémistes.
Humiliés, Naftali Bennett et Ayelet Shaked, qui avaient lancé La Nouvelle Droite après avoir quitté Le Foyer juif, semblent au bord de l’élimination, avec un résultat juste sous la barre fatidique des 3,25 %, à moins que le dépouillement ultime du vote des soldats ne les sauve au final. Atomisé aussi, l’ancien extrémiste du Likoud, Moshe Feiglin. Les sondeurs et la presse avaient fait de son parti messianique libertarien, le Zehout, la révélation certaine du scrutin. Il ne dépasse pas 3 %.

Résultat plus élevé qu’annoncé des ultraorthodoxes

En revanche, les deux formations ultraorthodoxes, Shass et Judaïsme unifié de la Torah, obtiennent un résultat très significatif, plus élevé qu’annoncé, avec huit sièges chacun. Il confirme la discipline de vote quasi militaire de cette population suivant les instructions rabbiniques, et constitue une nouvelle déprimante pour les pratiquants d’un judaïsme plus ouvert et tolérant. Le monopole du grand rabbinat sur les cycles de la vie juive, du mariage aux funérailles en passant par la conversion, semble assuré.
Ces deux formations haredi pourraient faire partie d’une nouvelle coalition de 65 députés autour de Benyamin Nétanyahou, avec Israël Beitenou d’Avigdor Lieberman et l’Union des partis de l’aile droite (5 sièges chacun) et enfin Koulanou, du ministre des finances, Moshe Kahlon (4 sièges). M. Lieberman, au rôle pivot, continuait, mercredi matin, à faire durer le suspense sur ses intentions. « J’ai commencé ce soir à tenir des discussions avec les partis de droite, nos partenaires naturels », a dit, dans la nuit, le premier ministre.
Après la proclamation des résultats officiels, le président, Réouven Rivlin, désignera le responsable chargé de constituer une majorité dans la XXIe Knesset. Puis celui-ci aura quarante-deux jours pour accomplir cette tâche. Les tractations porteront sur la distribution des sièges à la table du gouvernement. Elles seront tendues, tant les interlocuteurs de « Bibi » comptent obtenir un prix élevé pour leur soutien, en attendant la présentation du plan de paix de l’administration Trump et, surtout, les prochaines échéances judiciaires du dirigeant.
« J’ai l’intention d’être le premier ministre de tous les citoyens d’Israël, de droite et de gauche, juifs et non juifs », a lancé « Bibi » devant ses partisans enflammés, dans la nuit. Comme si quelques mots de victoire pouvaient effacer par enchantement les discours de division et de stigmatisation qui avaient précédé pendant des mois.

Prêt à tout pour conserver son poste

M. Nétanyahou était prêt à tout pour conserver son poste. Le jour même de l’élection, mardi, la police a découvert que près de 1 200 militants du Likoud avaient été déployés avec des caméras cachées dans les bureaux de vote fréquentés par la population arabe, officiellement par souci de transparence. Jusqu’au dernier instant, « Bibi » a harangué ses partisans, décrétant une sorte d’état d’urgence électoral en raison d’une participation, selon lui, insuffisante pour assurer la victoire. Il s’est même rendu sur la plage en fin d’après-midi, à Netanya. « Sortez de l’eau et allez voter Likoud ! », a-t-il lancé aux baigneurs.

 

Mais c’est tout au long de cette campagne que Benyamin Nétanyahou a démontré son cynisme et sa rouerie. Il a voulu faire passer Benny Gantz pour une personne déséquilibrée. Il a qualifié les anciens généraux, réunis à la tête de Bleu Blanc avec Yaïr Lapid, de « gauchistes ». Il s’est appuyé sur de puissants relais, sur les réseaux sociaux, pour diffamer ses adversaires et mettre en cause la loyauté de la minorité arabe.
A droite, il a légitimé comme formation fréquentable les héritiers du rabbin Meir Kahane, suprémacistes et xénophobes. Il s’est aussi dit favorable, à trois jours du scrutin, à l’annexion des colonies en Cisjordanie, où vivent 400 000 juifs. Sans compter les discours violemment hostiles aux médias, aux policiers et aux magistrats chargés des enquêtes pour corruption et abus de pouvoir contre lui.
Malgré ce succès électoral, il apparaît très probable qu’une inculpation tombera d’ici à la fin de l’année, de la main du procureur général, Avichaï Mandelblit. Et c’est alors tout l’Etat de droit et l’équilibre des pouvoirs en Israël qui seront mis à l’épreuve, comme rarement dans l’histoire du pays depuis sa fondation. « Le spectacle donné compte trois actes, explique une ancienne figure du Likoud. L’élection, où Nétanyahou semble l’emporter. La formation d’un nouveau gouvernement. Et le troisième acte, le destin pénal. S’il ne parvient pas à bloquer les procédures judiciaires contre lui, “Bibi” risque de tout perdre et de finir un jour en prison. »

Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
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