Qui pouvait bien en vouloir au jeune et sympathique Yaniv Meidan, directeur marketing d’une boîte typique de la « start-up nation »?
Neuf témoins, sans compter les centaines de milliers d’internautes, sont pourtant formels : le gamin a bel et bien été enlevé en plein jour, au terminal 2A de l’aéroport Charles-de-Gaulle, à Roissy, en France.
Une blonde renversante dans un uniforme d’hôtel rouge l’attendait. Problème, le passager est israélien.
Une nationalité à emmerde maximale. Le commissaire Jules Léger le sait, d’ailleurs il a déjà mal à la tête et hâte de rentrer chez lui.
Et ça ne loupe pas. Deux responsables de l’Etat hébreu arrivent sur les lieux, sans crier gare.
Léger connaît l’un d’entre eux, celui qui a des yeux bleus, des cheveux poivre et sel et une cicatrice horizontale sur le menton. Il s’agit du colonel Zeev Abadi, un militaire du renseignement.
Léger n’aime pas les hasards. Ils le lui rendent bien. L’affaire va être tordue parce que, principe de base, dealer avec Israël, n’est jamais simple.
Une enfance française
Dov Alfon, 58 ans, a vécu en France jusqu’à l’âge de douze ans. « A cette époque, mes parents ont connu un épisode antisémite et ils se sont dit, ce n’est pas possible, on part en Israël.
Exit donc le lycée Henri IV. Je suis allé à l’école puis réserviste, et à l’âge de 21 ans je me suis retrouvé officier à la tête d’un budget équivalent à cinq millions de dollars! »
Deux ans plus tard, il rejoint les bancs de l’école hébraïque et se lance dans l’écriture. Ce sera le premier chapitre d’Unité 8200 même s’il ne le sait pas encore.
« Je l’ai mis de côté ne sachant pas trop quoi en faire. Et puis je l’ai ressorti après toutes ces années, et le premier chapitre du livre est pratiquement celui que j’avais écrit à l’époque.
Cela se voit parce que c’est un peu immature. » Dov Alfon s’exprime dans un Français impeccable et sans le moindre accent.
Mais reprenons le fil du roman. « Le chef de la sécurité d’El Al à Paris rapporte un possible enlèvement d’un citoyen de l’aéroport Charles-de-Gaulle. Détails à venir. »
« Priorité immédiate/secret, niveau d’habilitation : Code noir. » Les notes internes des différents services crépitent.
Piste criminelle ou terroriste, pour l’heure, tout n’est que conjecture mais le principe même d’un ressortissant israélien enlevé en plein jour, demeure toujours une priorité. En bref, on ne touche pas un cheveu à l’un des nôtres.
Une conférence exceptionnelle se tient à Tel Aviv. Le lieutenant Oriana Talmor est présente.
On y compte la sécurité de l’information, le groupe du renseignement de l’air, le Département du renseignement naval, pas moins de trois représentants du Mossad, le 504, l’Unité 8200.
Tous les poids lourds du monde opaque des services secrets d’un pays. La sécurité, l’obsession de l’Etat d’Israël, ce qui l’autorise ainsi à franchir allègrement les frontières.
La mafia chinoise et les Russes
Retour à Paris. Un xiake, sorte de guerrier dont le nom vient tout droit des dragons de la mythologie chinoise, se félicite. Pour lui l’opération s’était bien déroulée.
Erreur. Il le comprend lorsqu’il voit sa bobine aux informations. Zhulong a échoué dans sa mission. La pègre chinoise ne va pas laisser passer ça. Un groupe de tueurs à gage en costard noirs, façon Reservoir Dogs, va alors se mettre en chasse dans les rues de la capitale.
On est en plein Far-West post-moderne où Français, Israéliens et Chinois vont s’affronter.
Manque plus que les Russes. C’est chose faîte après la découverte d’un autre passager qui s’appelle Vladislav Yerminski et qui figure dans le registre du personnel actif de la fameuse Unité 8200.
Il est noté qu’il parle couramment le Russe. Mais depuis quatre mois, il avait été transféré au département El Dorado, à la base Sud de la 8200, dans le désert du Néguev.
Le lieutenant Oriana Talmor visualise immédiatement les dégâts. Et si c’était lui qui était visé et non pas ce pauvre jeune directeur de marketing?
« Si elle devait estimer les dommages potentiels consécutifs à l’enlèvement d’un soldat de l’unité 8200, du fait des secrets dont il avait pu avoir connaissance, l’enlèvement d’un membre d’El Dorado était le pire des scénarios. »
Cafouillages au plus haut niveau des hommes de l’ombre. L’affaire sent mauvais.
« J’ai donc repris ce livre bien longtemps après, poursuit Dov Alfon. Je ne suis plus ce jeune innocent et immature, mon message est devenu plus politique. Je dénonce une corruption qui n’existait pas au début du sionisme et cela ne touche pas seulement la sphère politique mais aussi nos services. »
Des ashkénazes jusqu’ici tout puissants
Dov Alfon a été le premier rédacteur en chef d’origine séfarade en cents ans d’existence du journal Haaretz.
« Il y a toujours eu un racisme de supériorité de la part des Ashkénaze, 90% des officiers des services de renseignement le sont. Et il y a cinq ans, les autorités ont changé de braquet.
Ils ont compris qu’ils avaient besoin de gens qui parlaient couramment et naturellement l’Arabe, le Perse ou le Russe. » Il y a sans doute un peu de lui dans le personnage du colonel Abadi. La relation avec sa maman est à mourir de rire.
L’homme est malmené par ses supérieurs. Problème : il est l’un des meilleurs dans sa discipline. L’alliance contre nature, entre le commissaire français fatigué Léger et le bouillonnant colonel israélien, est finement observée.
L’auteur connaît bien les qualités et travers des deux pays. Il les scénarise de façon bien sympathique.
Deux grands géants sont aussi passés au crible : les Chinois et les Russes. Dov Alfon n’hésite pas une seule seconde. « Le ton du livre est léger pour une situation en réalité très grave.
Il faut savoir qu’aujourd’hui, si la NSA des Américains et les Chinois sont les meilleurs au monde, ils le doivent au budget que leur gouvernement respectif leur alloue, et qui concerne essentiellement la défense du pays.
Mais en termes d’attaque d’une nation envers une autre nation, la Russie est Number One. Les Russes sont derrière tous les derniers tremblements de terre qui ont ébranlé les démocraties d’Europe de l’Ouest, comme le Brexit, ou même les Gilets jaunes.
J’étais en signature il n’y a pas longtemps à Birmingham, en Angleterre. Un lecteur s’est approché et avant d’acheter mon livre, il voulait être sûr que je n’avais rien écrit de pro-européen.
Ce qui est très habile pour les Russes, c’est qu’ils ont réussi à enclencher une colère de la part des gens contre le système et les élites qui échappent à tout discours politicien. »
S’engage alors une course-poursuite entre les pays, les mafieux et les services de renseignement entre eux.
Si l’intrigue d’Unité 8200 est menée tambour battant, Dov Alfon reste clairement un journaliste averti. Et son propos est aussi de tirer la sonnette d’alarme. « L’ennemi n’est pas là où l’on croit, il est au-dessus des nuages. Tous ceux qui ont recours aux satellites pour espionner ce qui se passe sur terre. Il n’est pas visible mais en fait, il est tout le temps au-dessus de nos têtes. On est dans l’urgence. »
Les droits de l’ouvrage ont été vendus au producteur de Fauda qui a inspiré Homeland. No wonder.
Unité 8200, par Dov Alfon, traduction de Françoise Bouillot, Editions Liana Levi, 448 pages, 21 euros. Sortie le 4 avril 2019
Correspondant du journal israélien Haaretz à Paris, l’ancien officier des renseignements Dov Azlon publie son premier roman, Unité 8200, qui a fait un carton en Israël et est déjà traduit dans douze langues. Broder du faux sur du vrai, ou vice versa, qui mieux qu’un espion pour s’aventurer dans un tel canevas!
Source Le Journal du Dimanche