Un article de Catherine Dupeyron.
Nombres de recettes de cuisine devenues célèbres sont le fruit d’une exécution maladroite comme la fameuse Tarte Tatin. En sciences aussi, le hasard peut faire des merveilles. C’est ainsi que le professeur Uri Banin, fondateur du Centre des nanosciences et nanotechnologies de l’Université hébraïque de Jérusalem, et ses collègues, le professeur Richard Robinson et le professeur Tobias Hanrath de l’Université Cornell, ont fait, de manière tout à fait inopinée, une découverte révolutionnaire dans le domaine des nanosciences.
Il y a trois ans, Robinson était en congé shabbatique au laboratoire de nanosciences de Banin à l’Université hébraïque. À Jérusalem, Robinson a demandé à l’un de ses étudiants aux Etats-Unis de lui envoyer par courrier des nanoparticules de la plus grande taille. L’étudiant s’exécute mais une fois arrivées, Robinson constate que les nanoparticules envoyées sont beaucoup plus petites que ce qui était convenu. L’étudiant se serait-il trompé dans sa sélection ? Non, après vérification, l’étudiant n’a commis aucune erreur. Banin, Robinson et Hanrath en déduisent alors que les particules se sont transformées au cours du voyage. Robinson explique : « Cela a déclenché une cascade de questions et d’expériences qui nous ont conduits à cette nouvelle découverte » à savoir que de minuscules particules peuvent basculer d’une phase à l’autre. Les résultats de leurs recherches ont été publiés récemment dans la revue Science dans un article intitulé « Isomérisation chimiquement réversible des grappes inorganiques ».
Concrètement, l’isomérisation – la transformation d’une molécule en une autre molécule avec les mêmes atomes, mais dans un arrangement différent – est courante dans la nature. Cela est souvent provoqué par l’ajout d’énergie, comme lorsque la lumière provoque le basculement d’une molécule de la rétine, ce qui nous permet de voir. Autre exemple, celui de l’huile d’olive qui lorsqu’elle est trop chauffée, s’isomérise en une forme connue sous le nom d’acides gras trans. Les matériaux solides tels que le graphite peuvent également changer de phase – en diamants par exemple – mais ils nécessitent beaucoup plus d’énergie et le changement se produit de manière plus progressive, le changement se propageant lentement à travers la molécule.
Pendant des années, les scientifiques ont cherché le pont entre les gros matériaux qui changent plus lentement et les petits matériaux organiques qui peuvent basculer de manière cohérente entre deux états. Cela restait le chaînon manquant insaisissable dans la quête des nano-scientifiques pour cartographier et comprendre le passage de l’isomérisation moléculaire aux transitions de phase. Pour découvrir ce pont, ils devaient trouver à quelle taille les nanocristaux modifieraient leur structure interne en une seule étape rapide, comme le font les molécules lors de l’isomérisation. Banin et Robinson ont donc trouvé ce chiffre magique grâce au transport par avion des nanoparticules d’Ithaca (Etat de New York) à Lod.
L’équipe conjointe de l’Université hébraïque et de Cornell a commencé à étudier la transition de petites molécules, en particulier de « nanoclusters de taille magique ». L’équipe a ainsi découvert le lien manquant entre les transitions de phase en masse et l’isomérisation moléculaire.
Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires, les applications futures possibles incluent l’utilisation de ces particules comme commutateurs dans l’informatique ou comme capteurs, a souligné Banin. La découverte pourrait également avoir des utilisations relatives à l’informatique quantique ou en tant que graine pour la génération de nanoparticules plus grosses.
« Il y a cent ans, Albert Einstein n’aurait pas pu prédire que sa théorie de la relativité serait la base des systèmes GPS et de l’application Waze sur laquelle nous nous sommes appuyés pour la navigation, remarque Banin. Les nanoclusters sont des produits chimiques pouvant être utilisés pour créer d’autres matériaux plus volumineux. Être capable de manipuler leur basculement précis d’un État à un autre pourrait avoir de nombreuses applications importantes à l’avenir. »
Rédaction : Catherine Dupeyron
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