Le paradoxe veut que Poutine nourrisse de bonnes relations avec les ennemis jurés d’Israël, à savoir l’Iran, la Syrie, le Hamas et le Hezbollah. Netanyahou a besoin de Poutine non seulement pour le commerce, lucratif depuis l’embargo contre Moscou, mais surtout pour éviter la vente accrue d’armes et de missiles russes à ses ennemis. Pour Israël, il s’agit d’une question de sécurité nationale et de survie –en fait, de la pure realpolitik.
La Russie trouve son intérêt en investissant des centaines de millions de dollars pour l’achat de drones israéliens. Le transfert de technologies militaires de pointe vers Moscou sert aux Israéliens à obtenir le gel de contrats d’armement avec certains pays arabes.
Le rapprochement entre la Russie et Israël est également dû à la montée de l’islamisme et à l’internationalisation du djihad, qui constitue un enjeu de taille pour les sécurités nationales. L’endiguement de l’islamisme, qui pollue certaines régions russes comptant une forte population musulmane, est l’un des axes de la politique russe au Moyen-Orient.
Poutine et Netanyahou ont établi des relations d’affaires et diplomatiques pragmatiques, par pur opportunisme militaire. Fondées sur des questions de sécurité nationale et d’influence politique au Proche-Orient, ces relations fragiles et imprévisibles restent de l’intérêt de chacun des deux pays. Comme l’a écrit Bertrand Badie, «c’est une loi banale des relations internationales; entre États, il y a toujours un minimum de complicité dans la mesure où il y a toujours une part d’intérêts communs». Un article de Slate par Jacques Benillouche (Journaliste)
LE PLUS. econostrum.info : Les bonnes relations russo-israéliennes vont certainement revenir à la normale. Voici pourquoi. A partir de septembre 2015 et le début de l’intervention russe en Syrie (afin de soutenir Assad), les généraux israéliens et russes se consultèrent régulièrement voire quasi quotidiennement. Israéliens et Russes avaient même mis en place un mécanisme de « déconfliction » afin d’éviter les accrochages entre leurs armées en Syrie.
Ainsi, la coordination entre les deux forces aériennes dans le ciel syrien n’avait connu, officiellement et jusqu’en septembre 2018, aucun incident grave. Par ailleurs, on ne compte plus les déplacements du Premier ministre Netanyahou à Moscou. C’est aussi la raison pour laquelle, depuis le début de la crise syrienne, Israël a pu frapper, en toute impunité et avec l’accord tacite russe, plus de 200 fois les forces iraniennes et du Hezbollah présentes sur le territoire syrien.
Or, depuis six mois et l’incident du Il-20, abattu accidentellement par le régime syrien, suite à une erreur et surtout, à une manœuvre des chasseurs israéliens, les relations entre Israéliens et Russes se sont effectivement quelque peu refroidies. Dans cette affaire, la colère des militaires russes fut réelle et on l’a vu, la gêne et le malaise des autorités israéliennes furent tout aussi palpables.
Israël ne veut pas se fâcher avec la Russie
Parallèlement, du côté israélien, il fut de mise de faire profil bas. De fait, il serait totalement contre-productif de se « fâcher » avec une Russie devenue incontournable dans la région. Israël a besoin notamment de l’influence et de la diplomatie russe afin de faire pression sur l’Iran et le Hezbollah (on l’a vu il y a quelques mois avec le retrait des forces chiites proches du Golan israélien…). De même, du côté russe, il est raisonnablement impensable que Moscou souhaite un jour couper définitivement les ponts avec Israël.
Maîtres du pragmatisme, les Russes en sont très conscients. Lorsqu’on arrive dans une cour d’école, on ne se met pas à dos le petit « caïd » aux gros bras, on s’en sert ! Ainsi, même si Moscou ne veut pas « se brouiller » avec Téhéran, Poutine préfèrera toujours l’Etat hébreu à l’Iran, qui n’est finalement qu’un partenaire et non un allié, et dont on se méfie toujours sur les bords de la Volga…
Enfin, l’histoire nous rappelle également ceci : la Russie a toujours eu des relations très compliquées avec son grand voisin du Sud (traités humiliants de 1813 et 1828 qui signifièrent la perte du Caucase pour la Perse). Sans aller encore jusqu’à la rupture, les Iraniens, malgré leur résilience légendaire, sont à présent en très grande difficulté.
Israël continue de frapper l’Iran en Syrie
Plus que jamais, c’est la Perse qui a désormais besoin de la Russie et cette dernière le sait pertinemment ! Pour ne pas se couper du dernier soutien de poids qu’est la Russie (suivie en cela par la Chine, autre ultime appui de l’Iran), les mollahs, qui ne sont pas stupides, choisiront sûrement, afin de sauver ce qui peut encore l’être, de faire d’énormes concessions, en Syrie et dans la région, plutôt que de se lancer dans une politique de nuisance et du pire qui s’avèrerait en définitive suicidaire.
En attendant, et en dépit des condamnations pour la forme de Moscou, Israël continue de frapper des sites militaires iraniens en Syrie (toujours sans représailles), comme en janvier dernier. De plus, nouveau paradoxe régional, Israël devrait conclure prochainement, comme l’Iran, un accord de libre-échange avec l’Union économique eurasienne (UEEA) dirigée par… la Russie !