IsraelValley, à la demande de lecteurs assidus, reproduit le compte rendu d’une réunion exceptionnelle qui a eu lieu au Sénat et qui traite des relations France-Israël.
Titre de l’évènement : « LA START-UP NATION ET LA FRENCH TECH EN ACTION ».
Modérateur : Mme Élisabeth LAMURE, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, sénateur du Rhône
Éric COHEN, fondateur et Président-directeur général du groupe Keyrus
Élisabeth LAMURE – Monsieur Cohen, vous avez fondé le groupe Keyrus en 1996. Depuis, vous dirigez ce groupe d’origine française. Vous accompagnez les entreprises dans leur transformation digitale. Voici quelques années, vous avez ouvert un bureau en Israël. Aujourd’hui, vous disposez de votre propre accélérateur de start-up, le Keyrus Innovation Factory, qui accompagne les grandes entreprises dans leur recherche de technologies innovantes, et qui offre également aux start-up l’opportunité de proposer leurs offres à de grands groupes.
Comment Israël s’est-il imposé comme partenaire pour votre groupe ? Dans quels secteurs voyez-vous des opportunités de partenariats entre groupes français et start-up israéliennes ?
Éric COHEN – Notre venue en Israël s’est imposée naturellement. L’entreprise, qui a été créée en 1996, s’est immédiatement positionnée sur l’expertise dans le domaine de la data. On parlait à l’époque de systèmes d’information décisionnels. Aujourd’hui, les technologies permettent de traiter la data de manière massive et multistructurée. On parle à présent de big data, de data science. C’est le vecteur de développement de l’entreprise. Notre culture de l’innovation très forte nous permet, même si nous sommes une entreprise de conseils et de services, d’offrir les dernières technologies à nos clients. Nous sommes reconnus pour cela aujourd’hui.
Au début des années 2000, on s’est plutôt tourné vers l’Amérique du Nord, qui reste une place très importante en termes de veille technologique et de start-up. La Silicon Valley demeure selon moi le leader pour les prochaines années – même si Israël la talonne.
Nous avons d’abord détecté, aux États-Unis et au Canada, un certain nombre d’éditeurs ou de plateformes qui nous ont permis, avec l’arrivée du cloud, d’offrir de nouvelles solutions sur le marché français.
Au fil des années, nous avons répertorié les innovations technologiques susceptibles d’aider nos clients et les entreprises à se transformer. Israël s’est très vite positionné de ce point de vue dans un environnement bouillonnant.
Nous avons décidé de nous y implanter il y a une dizaine d’années afin d’y installer une veille, identifier des partenaires potentiels, notamment dans le domaine du logiciel et des cloud.
Nous nous sommes très vite rendu compte que les « GAFA » étaient déjà présents, avec des centres de recherche et développement et une vraie capacité à tester ces nouvelles technologies, le bassin d’entreprises en Israël étant un bassin de start-up. Ces clients étaient les premiers consommateurs de nouvelles technologies, notamment de big data.
À partir de 2009-2010, nous nous sommes dit qu’il nous fallait une véritable implantation locale en Israël. Nous avons recherché des cibles en vue d’une fusion-acquisition. Nous avons rencontré un certain nombre d’acteurs spécialisés dans le domaine de la data, et nous avons découvert une société assez jeune, créée par trois ingénieurs de l’université de Beer-Sheva, qui avaient eux-mêmes une expérience dans l’industrie militaire et civile. La société proposait à la fois un conseil aux entreprises en matière de nouvelles technologies, mais aussi de la recherche et développement.
En termes de business model, il était intéressant d’avoir une vision du produit et d’être capables de nous démarquer de la concurrence pour gagner de nouveaux projets.
Nous avons investi fin 2011 dans cette société et avons pris le contrôle du capital. Pour moi, il était très important de conserver les entrepreneurs au capital. Ils y sont d’ailleurs toujours.
Keyrus est un groupe international depuis son origine, présent dans une vingtaine de pays. Il compte 3 000 consultants et représente 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pour cette entreprise, rejoindre le groupe Keyrus lui permettait d’exporter son savoir-faire. Le marché israélien est tout petit. On se tourne donc très vite vers l’international et les États-Unis – même si on commence à s’intéresser à l’Europe.
J’ai très vite proposé de monter un bureau aux États-Unis. Cette société possédait parmi ses clients beaucoup de start-up cotées au NASDAQ. Cela a été une très bonne opportunité pour Keyrus de s’implanter aux États-Unis.
Nous avons également abordé le marché israélien. C’est un marché très intéressant en termes d’innovations. Nous avons commencé à comprendre l’écosystème, très riche, à la fois académique, gouvernemental, etc.
Nous avons beaucoup appris et nous nous sommes attachés à apporter cette connaissance de l’écosystème israélien à nos clients, notamment français. Je rappelle que le siège de l’entreprise est en France, où nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires, notamment avec de grandes entreprises.
Nous avons commencé en 2014 avec un programme permettant un co-investissement entre le chief scientist israélien et BPIFrance pour financer des projets de co-développement.
Nous avons financé un programme de recherche et développement pour une start-up spécialisée dans le big data et l’analyse prédictive liée au comportement des internautes, qui était très en avance dans ce domaine. Elle a ensuite été rattrapée par Facebook, mais elle est toujours sur le marché.
Ce qui est important pour les start-up, c’est de cultiver la persévérance, apprendre de l’échec et rebondir. Nous l’avons quant à nous vécu à travers cette entreprise et à travers d’autres qui ont connu pas mal de difficultés, mais qui cherchaient à survivre et changeaient de business model.
Nous avons commencé à constituer notre plateforme et à attirer des start-up dans l’écosystème israélien en leur proposant un go to market en Europe – et plutôt en France au départ. Nous avons appelé notre projet Keyrus Innovation Factory – KIF !
Étant présents en France, nous sommes également très à l’aise pour comprendre l’écosystème français, qui s’est bien développé depuis cinq ou six ans. Le Gouvernement a fait beaucoup d’efforts – programmes BPIFrance, CIR.
Contrairement à ce qui se dit, je trouve que la France s’est aujourd’hui considérablement adaptée, même s’il y a encore des choses à faire sur le plan fiscal, les investisseurs et le capital-risque. Certains programmes sont très intéressants et permettent d’aider les entreprises à se développer.
Je le vois tous les jours. Je monte des projets à titre personnel en tant que business angel : les mentalités changent. Un jeune sur deux qui sort des universités ou des écoles a envie de monter sa société. Cela ne veut pas dire qu’il va réussir : on ne sera pas tous entrepreneurs, mais on sent cette dynamique.
Nous sommes un laboratoire d’expériences. Nous essayons également d’amener les entreprises françaises à comprendre l’écosystème israélien, l’idée étant de se nourrir mutuellement.
Le besoin de pragmatisme, l’audace, le mélange des genres, font partie de la mentalité israélienne. C’est ce que l’ancien ambassadeur de France en Israël, Patrick Maisonnave, qualifie de « taroubal », abréviation tirée de trois mots hébreux qui expriment ces différentes notions.